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Droit de l’Union : les amendes records infligées aux entreprises
Le montant de certaines contraventions contre les entreprises pour infraction à la législation du droit de la concurrence (V. la condamnation d’Apple en août 2016 à verser à l’Irlande 13 milliards d’euros) est si élevé qu’on en oublie notre latin ou en tout cas les règles de base dans ce domaine. Cyril Nourissat est professeur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, ancien Recteur de l’Académie de Dijon et auteur d’un manuel sur le droit de la concurrence tant interne que de l’Union européenne. Il va donc pouvoir nous éclairer sur le sujet.
Sur quels fondements juridiques la Commission européenne peut-elle agir à l’encontre des entreprises enfreignant le droit de la concurrence ?
À la base de toute action de la Commission européenne, il y a le traité sur l’Union européenne. C’est en cela qu’elle est « gardienne des traités ». Concernant la concurrence, et depuis l’origine sans que cela n’ait été modifié depuis, la Commission a reçu mission de lutter aussi bien contre les comportements anticoncurrentiels des entreprises (TFUE, art. 105) que contre les aides d’État qui menacent de fausser la concurrence (TFUE, art. 108). A ainsi été adopté un corps de règles de droit dérivé (règlements essentiellement) dont, en ce qui concerne la lutte contre les ententes et les abus de domination, le trait marquant depuis un peu plus de dix ans est qu’il assure une surveillance et une sanction essentiellement décentralisées des comportements au travers des Autorité Nationales de Concurrence (ANC). Le règlement n° 1/2003 laisse cependant place à une action directe de la Commission européenne (V. art. 7 s. du règlement).
Quelles sanctions peut-elle prendre ?
La Commission sera amenée à prononcer des mesures correctives de nature structurelle ou comportementale afin de faire cesser effectivement l’infraction, comme dit le règlement n° 1/2003. Surtout elle pourra infliger des amendes à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires des entreprises.
Ses décisions sont-elles susceptibles de recours ?
Les décisions de la Commission européenne sont susceptibles d’être contestées devant le Tribunal de l’Union. En effet, ce dernier connaît des recours introduits visant à l’annulation des actes des institutions dont les personnes (au cas précis, morales) sont destinataires. Les arrêts du Tribunal peuvent eux-mêmes faire l’objet d’un pourvoi, limité aux questions de droit, devant la Cour de justice qui, le cas échéant, évoquera l’affaire.
Quelle décision de la Commission (Apple, Citalopram, Pilkington, Luxleaks (Starbucks et Fiat), Amazon, etc…) est pour vous la plus marquante en ce domaine ?
Plus que les décisions de la Commission européenne qui peuvent en effet apparaître spectaculaires en raison des montants des sanctions financières prononcées, je retiens les arrêts du Tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne. Ils sont presque toujours beaucoup plus riches d’enseignements juridiques, rappelant que la concurrence n’est pas uniquement une question économique mais aussi une question de droit(s). Par exemple, j’ai récemment été marqué par une série d’arrêts prononcée par la Cour de justice dans l’affaire dite des « ciments ». À la faveur de ces quatre arrêts du 10 mars 2016, la Cour de justice a procédé à certains rappels salutaires à destination de la Commission européenne, notamment en matière de motivation des demandes de renseignements qu’elle peut adresser aux entreprises dans le cadre de l’enquête. L’autorité de la concurrence doit donc indiquer la base juridique et le but de la demande, préciser les renseignements qu’elle attend et quel délai est fixé à l’entreprise pour répondre. C’est essentiel, dit la CJUE, car c’est alors le seul moyen pour une ou des entreprises d’être en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration avec l'autorité dans le respect des droits de la défense. Et la Cour insiste, au passage, sur le caractère tout aussi essentiel d’un accès direct et immédiat au juge. Je crois personnellement, et ce n’est pas un paradoxe, que l’efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ressort renforcée et davantage légitimée par de tels rappels fondamentaux…
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Mon meilleur souvenir d’étudiant, c’est le cours de droit de la concurrence de maîtrise (à l’époque…) dispensé par celui qui allait devenir mon directeur de thèse en cette matière (le Professeur Jacques AZEMA). Le pire souvenir, c’est le cours de droit administratif de deuxième année (mais je ne vous dirai pas qui le dispensait…)
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Archibald Olson Barnabooth : le seul rentier qui trouve grâce à mes yeux !
[Valéry Larbaud, Les poésies de A.O. Barnabouth, Gallimard]
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’entreprendre (DDH, art. 4 et Charte UE, art. 16 ). Car tout (ou presque) reste à construire….
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