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[ 14 novembre 2019 ] Imprimer

Du droit et des séries télévisées

Fabrice Defferrard est un écrivain, juriste et universitaire français. Il enseigne le droit à l'université de Reims Champagne-Ardenne. C’est pour ses deux livres « Le droit selon Star Trek » (Prix Olivier Debouzy) et « La pensée juridique de Sheldon Cooper. Ou comment faire du droit avec The Big Band Theory » chez mare & martin que Dalloz Actu Étudiant a souhaité l’interviewer.

Quels droits essentiels sont défendus dans les séries Star Trek ?

Star Trek repose sur deux socles juridiques : d’abord, une Charte de la Fédération des Planètes Unies, largement inspirées de la Charte de l’ONU ; elle contient un ensemble de libertés publiques et de droits fondamentaux. Ensuite, pour l’exploration de l’espace par les héros et les héroïnes des séries, nous avons la Directive première, qui est un principe de non-ingérence dans les mœurs et les lois des civilisations extra-terrestres rencontrées. À partir de ces deux socles, de nombreuses intrigues sont construites qui mettent en conflit les normes de la Fédération avec d’autres, qui créent des situations humaines très complexes et des paradoxes. Le capitaine du vaisseau, au cours de ses diverses missions, doit alors trouver une solution qui respecte les principes juridiques et soit, autant que possible, pacifique. Par exemple, que faire, sans déroger à la Directive première, lorsque l’un de ses officiers est accusé de meurtre par les autorités d’une planète étrangère, mais que le système judiciaire de cette planète ne connaît pas la présomption d’innocence, principe fondamental de la Fédération ? C’est le pitch de l’un des épisodes de Star Trek : La Nouvelle génération. Pour résumer, Star Trek, aux yeux du juriste, se présente en partie comme un ensemble de cas pratiques qu’il faut résoudre… 

De quel grand penseur juridique se rapproche Sheldon Cooper, le personnage principal de la série The Big Band Theory ?

Sheldon Cooper a développé une pensée juridique très personnelle que je nomme « Positivisme atomiste ». Elle est en partie inspirée du « Normativisme juridique » du théoricien du droit bien connu Hans Kelsen (avec notamment sa fameuse pyramide des normes). Sheldon est un positiviste pur et dur, et il déteste le jus naturalisme. Il est obsédé par le respect de la loi, il adore rédiger des contrats en toutes occasions et son existence s’organise selon des procédures très élaborées, quoique souvent farfelues. Bref, grâce à lui, les grands axes universels du droit sont mobilisés. Forcément, cela impacte la vie de ses proches (Leonard, Howard, Raj, Amy, Bernadette et, bien entendu, Penny). The Big Bang Theory est très drôle car les scénaristes ont joué sur la confrontation entre un Sheldon hyper-juridique et les autres protagonistes qui ne le sont pas, en particulier Penny qui, c’est le moins que l’on puisse dire, incarne son antithèse.

Quel est l’intérêt pédagogique selon vous d’ouvrir le droit à la fiction ?

Depuis le début du XXe siècle, le droit et la fiction se rencontrent. Il existe des mouvements de pensée très sérieux comme « Droit et littérature » ou « Droit et cinéma », qui nous viennent des États-Unis. Il s’agit notamment d’étudier comment la fiction s’approprie les règles de droit et les représente. La fiction – et surtout la science-fiction – permet aussi, en toute liberté, d’imaginer ou d’anticiper des sociétés différentes, avec nos propres règles ou bien des règles originales que l’on peut alors tester sans risque, pour voir ce que cela donne. La série télévisée Black Mirror est un chef-d’œuvre dans ce schéma. Même chose pour La Servante écarlate, qui est une adaptation de l’œuvre littéraire de Margaret Atwood. Ici, ce sont des dystopies angoissantes fondées sur un totalitarisme juridique, sociétés qui, hélas, restent possibles. Star Trek, en revanche, propose une utopie dans laquelle un droit bienveillant est à l’œuvre. 

Faut-il craindre de voir du droit partout ?

Qu’on le regrette ou non, le droit est partout. Les prétendues « zones de non-droit » sont une escroquerie de langage. Même dans un monde corrompu, violent, tyrannique ou dépravé, il y a du droit. La question est de savoir de quel monde nous rêvons pour les autres et pour nous-même. Le droit est d’abord le produit d’une volonté tendue vers un certain but. Il peut servir la justice, la paix et l’amélioration de la condition humaine. Mais il a aussi, d’une certaine façon, validé le nazisme pour le temps qu’il a duré. Il n’y a jamais « trop de droit ». Je crois même qu’il y en aura de plus en plus à mesure que la société deviendra toujours plus complexe. En revanche, le nombre de mauvais juristes qui en font un mauvais usage pullule. Il n’y a pas de droit supportable sans un peu de morale, d’empathie et de volonté pour équilibrer des forces et des intérêts souvent contradictoires. Pour paraphraser Clémenceau, je dirais que le droit est une chose trop grave pour la laisser entre les mains des seuls juristes.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Mon premier cours de droit en première année, sans hésitation. C’était à la faculté de droit de Reims, dans un immense amphi plein comme un œuf. Le professeur Jacques Le Calvez, costume sombre et nœud papillon, très chic, est entré pour nous faire son cours de droit des obligations. En l’espace de vingt minutes, je me suis senti écrasé par le choix que j’avais fait d’étudier le droit. Mais j’ai aussi compris. Quelle immensité ! Quelle exigence ! Comme la plupart des étudiants, je m’étais inscrit en fac. de droit sans idée bien nette de ce qu’était vraiment cette discipline. Après les trois heures réglementaires de cours du professeur Le Calvez, je suis sorti à la fois accablé par la tâche à venir si je voulais réussir mes études et gonflé à bloc par le défi. Après la littérature, je venais de découvrir une nouvelle passion.

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

Il y en a beaucoup, mais s’il faut choisir, ce sera une héroïne. Il s’agit du capitaine Kathryn Janeway, commandant le vaisseau spatial U.S.S. Voyager dans la série télévisée Star Trek : Voyager. Elle réunit pour moi tout ce que j’aime et admire chez une héroïne : le courage, l’autorité, le sens de l’équilibre dans le commandement, l’empathie, la compassion et la conscience que le vrai pouvoir n’est pas de nuire à autrui, mais d’épargner son semblable. Elle dispose en outre d’une grande culture générale, d’une intelligence du cœur et de ce « je ne sais quoi » d’éminemment féminin qui la rend plus que séduisante. Dans la série, que je recommande vivement, l’équipage du vaisseau ne survit que grâce à elle. 

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Il ne s’agit pas d’un droit de l’homme à proprement parler, mais plutôt d’une liberté publique. Je veux parler de la « liberté d’entreprendre ». À mes yeux, il s’agit de l’une des libertés les plus importantes et les plus indispensables à l’être humain. Chacun doit être en mesure d’entreprendre librement, mais dans le respect des lois, l’activité qu’il estime bonne pour lui : créer une entreprise, écrire un roman, faire des études ou du sport (voire les deux), se lancer dans un tour du monde, etc. La liberté d’entreprendre est l’expression juridique de la capacité de l’homme à se projeter avec conscience dans l’avenir, à manifester des goûts et des préférences, à transcender son génie. Elle le distingue sans doute de toutes les autres créations de la nature. Il n’y a pas d’humanité sans liberté d’entreprendre.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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