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[ 17 octobre 2024 ] Imprimer

Élément intentionnel, consentement et drogue

C’est une sordide affaire que le procès Mazan qui vient de s’ouvrir au Palais de justice d’Avignon ce mois de septembre 2024 : celle des viols d’une femme organisés par son époux qui l’a droguée pendant des années à son insu à cet effet. Catherine Ginestet, professeur à l'Université Toulouse Capitole, directrice de l'Institut de droit privé, coauteur avec Thierry Garé de l’HyperCours de Droit pénal Procédure pénale (2024, Dalloz), répond à nos questions sur l’élément intentionnel, le consentement et la drogue. 

Quels sont les éléments composant une infraction pénale ? 

L’infraction se compose d’un élément légal, le texte incriminateur, d’un élément matériel, l’action ou l’omission exigé et d’un élément moral, la faute intentionnelle ou non intentionnelle. Le texte incriminateur relève de la loi pour les crimes et délits, du règlement pour les contraventions, même si la loi encadre précisément les peines contraventionnelles. L’élément matériel est défini de façon plus ou moins complexe selon l’infraction considérée et un commencement d’exécution peut valoir tentative si le désistement est involontaire. L’élément moral est également très différent d’une infraction à une autre. Les infractions intentionnelles se fondent toutes sur le dol général, c’est-à-dire la volonté et la conscience d’enfreindre la loi pénale. Les infractions non intentionnelles correspondent à une absence de volonté d’obtenir le résultat prévu par le texte. Il existe toutefois une gradation du comportement qui va de la faute simple (imprudence, négligence, manquement) à la faute qualifiée (délibérée, caractérisée). Cela permet de distinguer l’imprudence consciente (le comportement est voulu, pas le résultat) de l’imprudence inconsciente (impéritie totale). 

Qu’est-ce que l’élément intentionnel du viol ?

Le viol est une infraction intentionnelle. Ce crime suppose la volonté de l’auteur d’accomplir l’acte matériel (pénétration sexuelle ou acte bucco-génital) en ayant conscience de l’absence de consentement de la victime (C. pén., art. 222-23). La difficulté est précisément d’établir ce dernier point, le code évoquant « la violence, contrainte, menace ou surprise » exercés sur la victime, notions très proches à certains égards. Si l’accusé a pu légitimement croire au consentement de la victime, il n’y a pas viol. La jurisprudence se penche régulièrement sur le défaut de consentement pour en caractériser les contours. Au-delà de la contrainte physique qui suppose l’emploi de la force, la contrainte morale et la surprise sont plus difficiles à appréhender. La contrainte morale suppose l’exploitation d’une faiblesse de la victime, la surprise est avérée quand la victime est inconsciente ou en état d’alcoolémie. La chambre criminelle admet que « la contrainte doit s’apprécier de manière concrète en fonction de la capacité de résistance de la victime » (Crim. 8 juin 1994, n° 94-81.376, pour une victime atteinte d’une pathologie sévère). Une victime complétement ivre par exemple n’est pas en état d’avoir une relation sexuelle consentie (Crim. 1er oct. 2013, n° 13-84.944). Il devrait a priori être jugé de même dans le cas d’une victime sous narcotique, même si les juges du fond apprécient souverainement les faits de l’espèce. 

L’usage de drogue est-elle une preuve de l’intention coupable ? Ou une infraction autonome ?

Que la victime soit sous l’emprise de drogue au moment des faits permet de dire qu’elle n’était pas consentante. L’usage de drogue sert à prouver la matérialité du viol. Cet élément n’établit pas l’intention coupable de l’infraction. En l’espèce, la complexité de l’affaire réside dans le fait que la victime a été droguée par son époux à son insu et qu’elle a été violée par des tierces personnes. Il faut alors s’interroger sur une aggravation du viol eu égard à la particulière vulnérabilité de la victime (circonstance aggravante réelle de l’art. 222-24, 3° C. pén.). S’il était démontré que la particulière vulnérabilité de la victime était préexistante aux faits, apparente (eu égard à son comportement ou à son inaction) ou connue des violeurs, le crime serait plus sévèrement puni. L’époux pourrait de son côté être poursuivi pour complicité de viol puisqu’il a sciemment aidé à la consommation de l’infraction. La complicité est un mode de participation à une infraction qui suppose un fait principal punissable et une aide antérieure ou concomitante octroyée en connaissance de cause (C. pén., art. 121-7). Le complice est alors passible des mêmes peines que l’auteur principal, circonstances aggravantes réelles comprises. Dans l’absolu enfin, faire usage de drogue envers une personne tombe sous le coup de l’administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui (C. pén., art. 222-15), infraction punie de peines criminelles. Selon le contexte des affaires, l’usage de drogue sera donc sanctionné sur le fondement d’une infraction autonome ou pas.

Le consentement de la victime est-il un fait justificatif désarmant la réaction sociale ?

Il est classique d’enseigner que le consentement de la victime n’est pas un fait justificatif ; il ne neutralise pas l’élément légal de l’infraction, il n’est pas une cause objective d’irresponsabilité pénale. Rien de comparable donc avec la légitime défense ou l’état de nécessité qui désarment la réaction sociale dans la mesure où l’utilité sociale de l’acte est caractérisée. Tourné vers l’intérêt général et ayant pour but la protection de l’ordre public, le droit pénal ne peut prendre en considération un intérêt particulier. Il est pourtant des hypothèses dans lesquelles le consentement de la victime peut se révéler efficace pour la défense de la personne poursuivie. Ainsi, le viol et les agressions sexuelles ne sont pas constituées si la victime est consentante. Mais il faut alors que ce consentement soit antérieur ou concomitant à la commission des faits et qu’il soit donné librement, en connaissance de cause. La preuve du consentement permet d’écarter la qualification dans ce cas. On comprend alors que cette question cristallise le débat. Dans d’autres circonstances, il faudra établir par exemple que la victime mineure a pu comprendre la portée de son consentement. Sans être un fait justificatif, le consentement de la victime exclut le recours à certaines incriminations, précisément celles fondées sur une violence, sur une contrainte ou une fraude.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

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Le jour où l’on dépasse l’étude scrupuleuse de la somme des règles et de leurs compréhensions pour savoir jongler avec elles, choisir une stratégie et construire des solutions en toute régularité. Après avoir fait ses gammes, devenir un juriste à part entière.

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Question complexe en réalité, mais puisqu’il faut en choisir un ce sera le droit à l’éducation. Il est porteur d’un potentiel de développement et d’espérance inouïs ; en s’appliquant à chaque personne, sans discrimination (c’est déjà un autre droit !), il change la société toute entière. 

 

Auteur :MBC


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