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[ 18 février 2021 ] Imprimer

Environnement et droits fondamentaux : quels recours pour les justiciables ?

Comment défendre la protection de l’environnement devant les juges ? Vous saurez tout sur le procès environnemental (atouts, limites, améliorations) grâce à la publication des actes du colloque sur ce thème, sous la direction de Mathilde Hautereau-Boutonnet et Ève Truilhé. Deux des auteures de cet ouvrage collectif, Marthe Fatin-Rouge Stefanini, directrice de recherches au CNRS, directrice de l’UMR 7318, DICE et Laurence Gay, chargée de recherches au CNRS, directrice-adjointe de l’Institut Louis Favoreu-GERJC, répondent à nos questions en matière de droit comparé.

Par quelle voie la justiciabilité du droit à l’environnement est-elle mise en œuvre dans la plupart des États ? 

L.G. : Le constat ressortant du droit comparé est celui d’une grande diversité des recours dans le cadre desquels le droit à l’environnement, généralement consacré dans la Constitution, est appliqué selon les pays. On se trouve en quelque sorte face à un spectre, qui va de la non-justiciabilité du droit à l’environnement à son utilisation dans le cadre de recours directs en protection des droits individuels, en passant par un contentieux de normes de type objectif. La thèse de la non-justiciabilité paraît toutefois en net recul et désormais minoritaire. La France est dans une situation intermédiaire : le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement de 2004, peut servir au contrôle d’actes administratifs devant le juge administratif (CE 26 févr. 2014, n° 351514) comme au contrôle de la loi, y compris en QPC, cette dernière procédure demeurant toutefois un contrôle objectif de normes. Il est intéressant en revanche de relever qu’au fond, la jurisprudence constitutionnelle des derniers mois manifeste la volonté de renforcer la portée de l’article 1er (en l’utilisant pour contrôler les lois de programmation de l’action de l’État : Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC ; ou en systématisant les critères de contrôle des atteintes qui sont portées au droit à l’environnement : Cons. const. 10 déc. 2020, n° 2020-809 DC).

Quels avantages présentent les recours individuels en protection des droits fondamentaux dans le cadre des contentieux environnementaux ? 

M. F-R. S. : Les recours individuels en protection des droits fondamentaux sont des outils puissants conférant des compétences étendues aux juridictions saisies pour assurer la protection des droits fondamentaux en cas d’atteinte ou de menace de violation, généralement grave et immédiate, d’un droit fondamental due à des actes ou des négligences (omissions) de la part d’autorités publiques. Si le préjudice est avéré, la juridiction peut ordonner la suspension totale ou partielle de l’acte. Les juridictions saisies peuvent généralement prendre des mesures provisoires et/ou préventives en attendant de statuer et assurer le suivi de leur décision. Le contrôle opéré est concret donc la violation est appréciée en droit et dans les faits par rapport à la situation du requérant. La tendance générale est l’ouverture de ce type de recours à la protection de l’environnement ainsi qu’une interprétation large de l’intérêt à agir et des effets de la décision, étendus au-delà des requérants.

Existe-t-il des recours contre l’inaction de la puissance publique en matière environnementale ?

L.G. : S’agissant de cas concrets, de nombreux recours directs en protection des droits individuels permettent de mettre en cause une omission des pouvoirs publics et confèrent au juge, s’il constate cette omission, un pouvoir d’injonction pour y remédier. 

S’agissant de l’omission législative, l’idée tend à prévaloir en France que seul un recours ad hoc - comme celui prévu par l’article 283 de la Constitution portugaise de 1976, qui n’a jamais servi en matière environnementale - peut conduire à la sanctionner. Or, en pratique, les juges constitutionnels ont développé, dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité de la loi, différentes techniques pour constater une omission - par hypothèse relative ou partielle - voire, parfois, y remédier. 

De même, sans avoir été conçu dans ce but, un recours peut être utilisé avec la même finalité devant d’autres juges ; le contentieux climatique, qui est en grande partie un contentieux de l’inaction ou de l’insuffisante action des pouvoirs publics, en offre différentes illustrations. Dans l’affaire Urgenda, par exemple, c’est par le biais de la responsabilité que les requérants sont parvenus à faire constater l’insuffisance des objectifs de réduction des GES fixés par les Pays-Bas. En France, une voie pour contester la carence des autorités publiques devant le Conseil d’État a consisté à demander l’annulation d’une décision implicite de refus d’agir, première demande assortie de celle d’injonctions permettant d’assurer l’exécution de l’annulation. C’est cette voie qui a été empruntée avec succès en matière de lutte contre la pollution de l’air (CE 12 juill. 2017, n° 394254), et qui l’est encore dans le recours climatique engagé par la commune de Grande-Synthe (CE 19 nov. 2020, n° 427301). Il reste que les effets d’un jugement constatant une omission sont, d’un pays à l’autre comme d’un recours à l’autre, très variables, et que les juridictions ne peuvent en tout état de cause jamais contraindre à l’édiction d’une législation.

Que retirer de l’expérience du modèle philippin de writ of Kalikasan, recours spécifiquement dédié au droit à l’environnement ?

M. F-R. S. : Depuis la décision Oposa de 1993 reconnaissant pour la première fois un intérêt à agir pour la protection de l’environnement au nom des générations futures, les Philippines ont une certaine fierté à adopter des mesures avant-gardistes en matière environnementale. Le writ of Kalikasan fait partie de ces mesures en dotant les justiciables d’une voie de recours qui, bien qu’exceptionnelle, accorde aux juridictions des compétences très étendues afin d’assurer la protection de leur droit constitutionnel à un environnement sain et équilibré. Combiné avec d’autres dispositifs, tel que le mandamus permanent, les juridictions se voient dotées d’outils permettant notamment d’enjoindre à des personnes publiques ou privées d’assurer la préservation ou la réhabilitation de l’environnement. La Cour suprême des Philippines a ainsi souhaité permettre une véritable effectivité du droit fondamental à la protection de l’environnement même si en pratique les défis sont nombreux et les conditions difficiles. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

« Je garde un excellent souvenir de ma première année à l’Institut d’Études Politiques de Rennes, au cours de laquelle j’ai découvert des disciplines qui me passionnent encore, et qui a donc largement déterminé mes choix d’orientation ultérieurs » (L.G.)

« Au-delà des études elles-mêmes, le meilleur souvenir lié à la période, ce sont bien sûr les longues soirées entre amis, notre pensée allant à cet égard en soutien aux étudiants actuels qui sont privés de tels moments depuis trop longtemps » (M. F-R.S. et L.G.)

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

« Pas un super-héros ou une super-héroïne, c’est sûr ! Je suis plus sensible à la figure du non-héros, comme Ben Du Toit, dans Une saison blanche et sèche d’André Brink : un homme ordinaire qui entre néanmoins en résistance, inéluctablement » (L.G.)

« Wonder Woman avec une tenue plus discrète » (M. F-R.S.)

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

« Impossible de choisir, je mettrais plutôt en avant un principe, celui de fraternité » (L.G.) 

« Le droit à l’instruction pour tous et dans des conditions égales comme facteur de justice sociale » (M. F-R. S.)

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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