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Esclavage, traite et exploitation des êtres humains
« Loin d’être un phénomène révolu et propre à l’époque coloniale, les diverses formes d’asservissement et d’exploitation des êtres humains sont en pleine expansion et constituent l’un des grands défis planétaires du XXIe siècle » (in J.-F. Niort et O. Pluen (dir.), Esclavage, traite et autres formes d’exploitation et d’asservissement des êtres humains. Du code noir à nos jours, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2018). Olivier Pluen, maître de conférences à l’Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Université Paris-Saclay), a bien voulu répondre à nos questions.
Quelles étaient les formes de l’esclavage par le passé ?
Ces formes étaient dans l’absolu les mêmes qu’aujourd’hui, mais, pour une majorité du corps social, elles n’étaient pas perçues comme de l’« exploitation des êtres humains », ni, pour celles autres que l’« esclavage » stricto sensu, comme des dérivés de ce dernier. Aussi choquant que cela puisse paraître pour l’Homme du xxie siècle, ces formes revêtaient deux particularités. D’abord, elles ont été, jusqu’à leur abolition dans tel ou tel pays, non seulement tolérées mais le plus souvent réglementées par le pouvoir lui-même. Il est par exemple possible de citer, en France, l’esclavage stricto sensu jusqu’au décret du 27 avril 1848, ou le travail forcé ou obligatoire dans les territoires d’outre-mer jusqu’à la loi du 11 avril 1946 et, en Russie, le servage jusqu’à l’oukaze du 3 mars 1861. Ensuite, certaines de ces formes d’exploitation se traduisaient, pour ceux qui y étaient soumis, par un véritable statut juridique les distinguant d’autres catégories de la population : celui d’« esclave », celui de « serf »,…
Quelles en sont les formes aujourd’hui ?
Les formes « contemporaines » d’esclavage recouvrent à la fois des formes d’exploitation qui ont survécu aux grandes abolitions des xixe et première moitié du xxe siècles, et d’autres qui ont été ultérieurement considérées comme telles et des dérivés de l’esclavage stricto sensu. Ce périmètre ressort d’ailleurs de l’instrument juridique faisant actuellement référence en matière d’esclavage « moderne », à savoir la Convention relative à l’esclavage adoptée en 1926 par la SDN, dont l’article 1er prévoit que l’esclavage est « l’état ou la condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ». Alors que ce texte devait inciter les États parties à éradiquer les formes anciennes d’esclavage, la disposition énoncée permet aujourd’hui de définir l’esclavage stricto sensu, et les autres formes d’exploitation associées. Mais – et c’est là le problème –, la notion de « formes contemporaines d’esclavage » n’a jamais été juridiquement définie, celle-ci englobant, au gré notamment des conventions et des institutions internationales, l’esclavage stricto sensu, la servitude, la traite des êtres humains, le travail forcé,…, interrogeant sur ses limites avec d’autres situations.
Quel est le dispositif juridique en vigueur aujourd’hui pour lutter contre la traite et l’exploitation des êtres humains ?
Au niveau international et européen, ce dispositif repose sur un très large éventail de conventions, dont celle de 1926 précitée, la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage adoptée par l’ONU en 1956, ou encore, plus récemment, le Protocole « de Palerme » des Nations unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes de 2000, la Convention de « Varsovie » du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains de 2005, et la directive de l’Union européenne concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène de 2011. En droit interne français, en dehors de l’incrimination de l’esclavage organisé et de grande ampleur au titre du crime contre l’humanité, le Code pénal réprime à l’heure actuelle l’esclavage, la servitude, le travail forcé, la traite des êtres humains, ainsi que les conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine ou abusives.
Comment selon vous pourrait-on l’améliorer ?
L’amélioration du dispositif français de lutte contre les formes contemporaine d’esclavage passe a priori par une vraie prise de conscience de ces phénomènes et de leur gravité. Au niveau national, la lutte contre celles-ci se trouve envisagée sous le seul angle de la traite, avec le Plan national de lutte contre la traite des êtres humains de 2014, dont la gestion est qui plus est assurée par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, et non par une autorité dédiée.
En effet, alors que la France pensait en quelque sorte être « immunisée » contre ces phénomènes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et du processus de décolonisation, elle les redécouvre pour les formes les plus anciennes, ou les découvre pour les formes nouvelles, depuis quelques années. C’est ainsi qu’il a fallu attendre la loi du 5 août 2013 pour qu’elle intègre la répression de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé dans son Code pénal (V. C. pén., art. 225-4-1 s.), à la suite de deux condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme en 2005 (26 juill. 2005, Siliadin c/ France, n° 73316/01) et 2012 (11 oct. C.N. et V. c/ France, n° 67724/09). Mais il est vrai que, en introduisant un article 4 § 1 interdisant l’esclavage et la servitude dans la Convention de 1950, les rédacteurs de cette dernière n’avaient pas imaginé que cette disposition, supposée viser un passé révolu, se verrait attribuer une telle portée plusieurs décennies plus tard. Or cette prise de conscience de la part des pouvoirs publics et de la population est d’autant plus nécessaire au moment où plusieurs quotidiens nationaux et locaux se trouvent amenés à faire état, comme cela a été le cas le 8 août dernier, du démantèlement en Espagne et en France d’un réseau de passeurs suspecté d’avoir vendu 350 migrants originaires d’Afrique de l’Ouest à des réseaux criminels en vue d’activités de mendicité forcée…
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur : un périple en vélo Paris-Colmar avec un ami de Faculté, débuté le lendemain des partiels de fin de Licence, une année de canicule.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Disraeli, homme de lettre qui a été le héros, avec Gladstone, d’une épopée parlementaire britannique du xixe siècle, « œuvre » qu’il a vécue avec autant de force que s’il l’avait écrite.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit de chacun au respect : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (première phrase de l’article 4 de la Déclaration de 1789).
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