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Expert traducteur et interprète
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Dans notre société multiculturelle, la fonction d’expert traducteur et interprète apparaît comme un maillon essentiel de la chaîne judiciaire afin de rendre l’institution et ses décisions lisibles, compréhensibles, accessibles pour tous. Expert traducteur et interprète en portugais près la Cour d’appel de Bordeaux, Tania Cerejo Marques a répondu à nos questions.
Quel cursus avez-vous suivi ?
Nous sommes beaucoup à avoir des parcours atypiques. Ce n’est pas nécessairement en faisant sa licence en langues que l’on se dit qu’on va devenir expert traducteur ou interprète, en tout cas cela n’a pas été mon cas ni celui de beaucoup mes collègues. Je suis portugaise et j’ai fait une licence de français à Porto pour être professeur de français au lycée. Je suis partie avec le programme Erasmus en France pendant ma licence et j’y rencontré une enseignante de littérature qui m’a vraiment fascinée. Je l’ai recroisée une fois rentrée au Portugal. Elle m’a alors suggéré de venir faire un Master en France pour avoir une expérience supplémentaire, ce que j’ai fait. Puis, elle m’a convaincue de faire une thèse en littérature à la Sorbonne. J’ai alors obtenu différents CDD à l’Université en France comme chargée de cours, lectrice, puis ATER en littérature portugaise (attaché temporaire d'enseignement et de recherche, ndlr) pendant que je préparais ma thèse. Néanmoins chaque année j’avais peur que mon contrat ne soit pas renouvelé, j’ai donc commencé à faire de la traduction. Cela a été la révélation. Je n’ai plus jamais pu m’arrêter, reléguant ma thèse au placard. La première mission d’interprète judiciaire était chez un notaire. Il m’a appelée pour une vente. Cela avait l’air simple. En réalité c’était très technique. Ensuite, j’ai été assermentée à Rouen en 2006, en période probatoire. Puis, je suis venue à Bordeaux où j’ai obtenu une seconde assermentation. L’assermentation est renouvelée tous les cinq ans. A Bordeaux, j’ai passé un diplôme universitaire d’expertise judiciaire même si cela n’est pas obligatoire et j’ai enchaîné beaucoup de formations courtes avec les organismes de formation en traduction et en interprétation.
Comment se déroulent vos semaines ?
Elles sont toutes différentes, cela dépend des missions que l’on m’attribue. D’abord, je suis traducteur et interprète libérale. Je fais des traductions et des missions d’interprétation pour des clients privés, par exemple dans le domaine du juridique, cela peut, par exemple, être des conférences. La semaine dernière j’interprétais une conférence sur l’habitat. Ensuite, j’ai mes activités d’interprète et de traductrice judiciaire. Ce sont des audiences, des instructions, des gardes à vue. Je peux être appelée en pleine nuit pour cela mais, dans mon cas, ça n’arrive pas si souvent, pas plus de six fois par an. J’interviens à toutes les étapes de la procédure judiciaire et je vais dans toutes les juridictions. On peut m’appeler à Libourne ou à Périgueux, à 1h30 de Bordeaux. Je n’y vais pas souvent. En portugais, les tribunaux éloignés ont en principe quelqu’un sur place, moins formé à l’expertise judiciaire, pour « dépanner ». Un enseignant par exemple. Mais s’ils ont un dossier très important, ils nous font venir de Bordeaux.
Après, s’il me reste du temps, je fais des traductions de procédures. Par exemple, dans le cadre de mandats d’arrêts internationaux ou d’enquêtes entre plusieurs pays, nous sommes amenés à traduire toutes les commissions rogatoires et les transmissions entre pays. Mon agenda change tout le temps. On est obligé de jongler entre les différentes missions. A Bordeaux, nous sommes quatre interprètes portugais pour toute la cour d’appel et 178 en tout pour l’ensemble des langues.
Qu’est-ce qui vous plait dans cette activité ?
C’est déjà l’impression d’avoir un impact immédiat sur la vie des autres, en leur permettant de s’exprimer immédiatement. Le fait d’être sur le terrain aussi. Et pourtant, je pensais que les horreurs de la justice m’effraieraient. J’étais loin de la vie judiciaire, je ne connaissais pas les tribunaux.
Le premier contact a été au tribunal pour enfants. C’était une famille portugaise vraiment dévastée : deux parents et leurs trois enfants venus dans le cadre de l’assistance éducative (ensemble de mesures décidées par un juge pour préserver l'autorité parentale tout en assurant la protection de l'enfant considéré en danger, ndlr). Les enfants parlaient français mais pas les parents qui avaient vraiment besoin de comprendre les propos du juge. C’était tellement fin comme travail, ça m’a tout de suite passionnée : transmettre les valeurs que le juge veut faire passer avec la difficulté de la langue, aiguiller sans juger ces parents qui ne retrouvent pas les ressources en eux pour aider leurs enfants à grandir. Cette famille, je l’ai accompagnée pendant des années. Ils ont évolué positivement. Et même si nous n’avons pas à montrer nos sentiments, on reste des êtres humains et on peut quand même être satisfaits. J’aurais apporté ma petite pierre à l’édifice en les aidant à comprendre la justice.
Qu’est-ce qui vous plaît le moins ? Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Ce que j’aime le moins, c’est aller en prison. Je ne m’y sens pas vraiment en sécurité même si je n’ai jamais eu peur. C’est un lieu hostile avec une certaine ambiance, des bruits de fond, une tension. Ce qui est difficile c’est aussi de traduire lorsqu’une personne est accusée de viol. En cour d’Assises, l’interprète est à l’intérieur du box, assis à côté de l’accusé, et lui traduit à l’oreille. Puis l’interprète traduit ensuite à l’assistance, à la première personne : « j’ai fait ça ». Il doit traduire les mots de l’accusé avec la même intention. S’il insulte, on insulte. L’interprète suit, le plus souvent, la personne depuis sa garde à vue. Ainsi, par exemple, lorsqu’un psychiatre va voir cette personne en prison, l’interprète l’accompagne. Je pense à un homme en particulier que je suis depuis déjà dix ans. Au bout d’un certain temps, je connais son histoire et il est moins difficile d’être assise à côté de lui. J’ai suivi toutes les horreurs qu’il a dîtes pendant l’instruction, les insultes à la victime…
La semaine prochaine, je vais chez le juge d’instruction pour une affaire d’inceste d’un père sur sa petite fille de quatre ans. J’y suis allée déjà une fois pour traduire à l’enfant qui ne parlait pas encore français car elle n’était pas scolarisée. J’avoue que pendant l’audition, tout le monde avait les larmes aux yeux. Et quand je manque de force, je pense à toutes ces victimes. Je me dis que si je traduis bien ce que la personne mise en examen ou l’accusé exprime, il sera peut-être condamné le plus justement, équitablement possible.
Vous disiez ne pas montrer vos sentiments. L’expert traducteur et interprète se doit de rester neutre en toutes circonstances, même lorsque la personne ne trouve pas ses mots ?
Bien sûr ! Récemment, j’ai discuté avec une dame qui se renseignait pour être assermentée. Elle m’a dit que lorsqu’elle intervenait comme interprète à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr), elle essayait toujours de tourner les propos des demandeurs d’asile pour qu’ils réussissent à obtenir leur demande d’asile. Nous sommes vraiment démunis face à cette partialité. La personne veut les aider mais ce n’est pas son rôle.
Dans le sens inverse, il ne faut pas non plus juger. Lors de la première garde à vue à laquelle j’ai assisté, un policier m’a dit : « vous ne devez pas porter sur vous toutes les bêtises que font les personnes de votre communauté. N’oubliez jamais ça ». Dans tous les pays, dans toutes les communautés, il y a des infractions et il y a des victimes donc nous n’avons pas à avoir honte.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?
Le meilleur c’est certainement l’échange culturel pendant l’année Erasmus. C’était d’une richesse humaine, ça a été un rayon de soleil dans ma formation. Aujourd’hui, c’est devenu naturel quand on étudie des langues notamment. Mais à l’époque, en 2009, nous étions au début d’Erasmus. J’étais à Pau. C’était tout petit mais il y avait des gens du monde entier : Jordanie, Chine, Japon. Ce sont des rencontres exceptionnelles qui m’ont ouverte au reste du monde.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
J’adore Tintin, il est curieux, il aime voyager.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Avoir le droit de ne pas être arrêté, jugé de façon arbitraire, je trouve ça important. C’est quelque chose qui pourrait être amélioré dans le système judiciaire français. Il y a trop d’informations administratives qui ne dépendent pas du juge et n’arrivent pas jusqu’à lui. On le voit notamment avec l’état d’urgence quand des individus commettent des attentats alors qu’il existait déjà des informations sur eux. Seulement, celles-ci ne sont jamais arrivées au juge parce qu’elles n’ont pas été judiciarisées. Il faudrait aussi qu’ils soient plus nombreux : 7000 en France, c’est insuffisant. En réalité, les politiciens ont peur du pouvoir des juges et préfèrent le donner aux préfets.
Carte d'identité de l’expert traducteur et interprète
Un décret pris fin 2015 (n° 2015-1869 du 31 déc. 2015) par Christiane Taubira alors garde des Sceaux a clarifié le statut et la rémunération des experts traducteurs et interprètes dont certains n’étaient jusqu’alors assujettis à aucune cotisation sociale et dont l’ensemble se plaignait des retards de paiement de plusieurs mois. Ceux-ci sont missionnés dans les tribunaux, prisons, commissariats, centres de rétention pour des gardes à vue, des audiences, des débats contradictoires, des auditions ou à l’écrit pour des traductions de documents.
■ Les chiffres
Environ 14000 experts judiciaires toutes catégories confondues seraient inscrits sur les listes des juridictions en France, parmi ces experts, environ 3000 seraient traducteurs et interprètes.
Une étude réalisée par l’UNETICA (union nationale des experts interprètes près les cours d’appel) en 2016 sur trois cours d’appel révèle que l’âge moyen des experts traducteurs et interprètes près la cour d’appel de Caen est de 39 ans sur 124 inscrits en 2015, à Montpellier 44 ans sur 150 inscrits, à Bordeaux 46 ans sur 149 inscrits (178 aujourd’hui).
■ La formation et les conditions d'accès
Comme les autres experts judiciaires, les traducteurs et interprètes sont régis par la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 et le décret n° 2004-1463 du 23 déc. 2004.
Un expert traducteur et interprète ne peut être inscrit ou réinscrit sur une liste d'experts que si il réunit les conditions suivantes :
« 1° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes mœurs ;
2° N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ;
3° N'avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d'une autre sanction en application du titre II du livre VI du code de commerce ;
4° Exercer ou avoir exercé pendant un temps suffisant une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité ;
5° Exercer ou avoir exercé cette profession ou cette activité dans des conditions conférant une qualification suffisante ;
6° N'exercer aucune activité incompatible avec l'indépendance nécessaire à l'exercice de missions judiciaires d'expertise;
7° Sous réserve des dispositions de l'article 18, être âgé de moins de soixante-dix ans ;
8° Pour les candidats à l'inscription sur une liste dressée par une cour d'appel, dans une rubrique autre que la traduction, exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n'exercent plus d'activité professionnelle, y avoir sa résidence. » (Décr. préc., art. 2).
■ Les domaines d'intervention
Ils peuvent intervenir dans tous les domaines juridictionnels (pénal, civil, administratif) y compris dans les prisons, centres de rétention administrative, commissariats pour des gardes à vue.
■ Le salaire
Il s’agit d’une rémunération qui est dématérialisée et facilitée depuis 2015 grâce au dispositif Chorus instauré dans toutes les cours d’appel. « Nous sommes payés à la tâche et à l’heure donc il n’est pas possible de donner un salaire moyen », explique Tania Marques. Soit 25€ la page pour la traduction, 30€ l'heure pour l'interprétation. « Tout est en net, les cotisations sont payés à part, directement par le ministère de la justice », précise-t-elle.
■ Les qualités requises
Technicité, disponibilité, transparence, diligence, indépendance, impartialité, éthique, probité, rigueur, perfectionnisme, capacité d'écoute, pédagogie, humilité, discrétion.
■ Les règles professionnelles
L’expert traducteur et interprète doit être bilingue, il a une obligation de formation afin de conserver son niveau de langue et pour acquérir des connaissances relatives au code de procédure. Il doit respecter les textes qui régissent son activité de traduction et n’a qu’une seule mission : traduire fidèlement tous les propos. Il a donc une obligation de neutralité. « L’interprète n’a pas vocation par exemple à donner son avis sur la nationalité d’une personne en fonction de son accent, non seulement cela ne fait pas partie de ses missions, mais il pourrait en plus commettre une erreur d’appréciation, parce qu’une personne peut avoir l’accent d’un pays et avoir été naturalisé par un autre », souligne Tania Marques.
L’expert traducteur et interprète est indépendant et il travaille en toute discrétion. « L’idéal serait qu’on ne le voit pas et qu’on ait l’impression de parler à un français, commente l’interprète portugaise. L’expert traducteur et interprète ne doit jamais oublier qu’il doit être disponible et servir le service public ».
■ Le site Internet :
Unetica : Union nationale des experts traducteurs interprètes près les cours d’appel
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