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[ 29 janvier 2014 ] Imprimer

Fin de LA vie ou fin de SA vie

Jean Hauser est professeur émérite de l’Université de Bordeaux (Faculté de Droit), directeur honoraire de l’École de Droit et du Centre de droit de la famille et consultant du CRIDON Sud-Ouest. Il a bien voulu répondre à nos questions sur la fin de vie tout en faisant le point sur le statut juridique du fœtus, celui des proches et la définition juridique de la mort.

Peut-on maintenir en France quelqu’un médicalement en vie dans l’intérêt de l’enfant qu’elle porte ?

Si l’on s’en tient à une lecture des textes (en dehors de toute discussion philosophique), c’est l’interprétation de l’article L. 1111-13 CSP qui est en cause puisqu’on prévoit, avec une procédure appropriée, la possibilité de «  limiter ou d’arrêter un traitement, inutile disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne ».

Toute la question nous paraît être d’interpréter la notion de traitement « inutile » : l’inutilité doit-elle être interprétée comme concernant la seule personne elle-même ou pourrait-on étendre le concept à l’enfant qu’elle porte pour lequel le traitement de la mère, qui la maintiendrait simplement en vie le temps de la gestation, pourrait être, au contraire, utile ?

Il nous semble que le texte ne vise que l’utilité ou l’inutilité par rapport à la personne qui est soignée. Si le traitement considéré est inutile pour la mère on ne voit guère pourquoi le traitement serait maintenu. Par contre si l’on choisit de situer le débat sur le dernier membre de la phrase, soit le traitement «  n’ayant d’autre objet… » on pourrait discuter puisqu’ici le traitement aurait bien un autre objet qui serait de maintenir l’enfant en vie jusqu’à l’accouchement.

Pourtant ce dernier argument ne nous paraît pas convaincant.

On rappellera en effet que, en l’état actuel des textes, de la jurisprudence tant nationale qu’internationale, le fœtus n’a pas le statut de personne juridique dont l’intérêt pourrait être apprécié de façon autonome ; que l’IVG est autorisée sous certaines conditions (qui pourraient être élargies prochainement) ; que la jurisprudence française a refusé expressément d’appliquer l’infraction d’homicide par imprudence en cas d’accident de la mère ayant entraîné la mort du fœtus qu’elle portait et que l’intérêt de ce fœtus a toujours été envisagé à travers l’intérêt de la personne qui le porte.

Bien entendu il ne serait pas inconcevable, à condition d’en tirer toutes les conséquences logiques, de donner au fœtus une existence juridique autonome mais, toutes les fois qu’une telle solution a été envisagée, elle s’est heurtée à la crainte de voir remise en cause la possibilité d’une IVG sur la base de l’intérêt du fœtus.

Quel est le statut de la personne en mort cérébrale ?

La définition de la mort est juridiquement une question de fait et a varié historiquement en fonction des évolutions médicales de maintien en survie artificielle.

Pour trouver une définition plus précise et plus opérationnelle de la mort, il faut se tourner vers le droit des prélèvements d’organes soit les articles R. 1232-1 s. CSP qui fournissent des critères très précis et détaillés qui permettent de juger du passage d’un état à l’autre. Mais il a été décidé que ces critères ne s’appliquaient pas automatiquement en dehors du cas prévu, c’est-à-dire un prélèvement d’organe sur une personne décédée, et donc qu’en dehors de ce cas cela demeurait une pure question de fait, la preuve de la date étant libre.

Dans tous les cas, dès lors que la mort n’est pas juridiquement constatée selon la procédure prévue et la déclaration d’un médecin (CGCT, art. L. 2223-42), la personne jouit de tous les droits d’une personne en vie. Ainsi, par exemple, a-t-il été décidé, malgré de vives discussions, que, même en état de mort cérébrale, la personne a droit à l’indemnisation de tous les chefs de préjudice, y compris du préjudice moral.

Quel est le statut des proches ?

Il faut voir que le mot de « proche » (voire d’entourage) n’a juridiquement aucun sens et qu’il ne permet pas une délimitation claire de ceux qui peuvent invoquer des droits.

Le législateur moderne se pique de «  définitions » de fait qui n’en sont évidemment pas ! Ainsi la référence à « ses proches », par exemple dans l’article L. 1111-13 CSP, n’avance guère quand lesdits « proches » sont en désaccord et ne permet aucune hiérarchisation dans un tel cas.

La question se trouve compliquée par l’évolution du droit familial moderne qui refuse en général toute hiérarchie entre la parenté, l’alliance, les liens de droit, de fait, etc. Les textes visent en priorité les directives anticipées de la personne elle-même puis la personne de confiance (qui peut être un proche…).

Si l’on s’en tient à l’examen des lois récentes de droit de la famille on peut constater — sans que la conclusion soit automatique — que la tendance est très nettement de privilégier le conjoint, s’il en existe un, au détriment des parents par le sang, voire des enfants. C’est un effet connu du resserrement de la famille sur le couple dont on trouve la manifestation majeure depuis 2001 dans le fait que, dans l’ordre successoral, le conjoint élimine pratiquement les ascendants ou encore, depuis 2007, dans le fait que, dans le droit des tutelles, le conjoint se trouve aussi dans une position dominante pour œuvrer à la protection. Mais, bien sûr, ce n’est qu’une comparaison qui ne saurait être analogique.

Dans l’affaire « Vincent Lambert », il nous semble que c’est la décision du conjoint qui devrait prévaloir si la question était posée aux juridictions judiciaires.

Souhaitez-vous une évolution de la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie ?

Je ne souhaite pas une évolution de la loi dite « Leonetti » de 2005 parce que, dans ces questions délicates et malgré une propension regrettable du législateur français de tous bords à ramener constamment sur le devant de la scène, et le plus souvent pour des raisons purement politiques, des polémiques largement stériles, il est urgent de tester ce qui a été fait avant de le modifier.

De toutes façons il ne faut se faire trop d’illusion sur l’efficacité de la norme juridique dans ce type de domaine, elle ne fait le plus souvent qu’entériner une évolution des moyens, des mœurs, des pensées plutôt que décider véritablement.

Enfin on ne légifère pas sur des cas particuliers mais sur une addition de cas particuliers qui permet alors de retenir une disposition générale et abstraite, ce qui est la définition même de la loi.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Ma soutenance de thèse devant les Professeurs P. Raynaud, J. Carbonnier et H. Batiffol.

Le pire ?

L’exposé de la saisine héréditaire par mon bon maître de droit civil !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Les héros mis en scène en général par Jean Giono.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Le droit au respect de ma vie privée dans le cadre d’un strict et sauvage individualisme, opposable au législateur moderne, bavard et dégoulinant apparemment de vertus… !

 

Références

■ Sur l’affaire d’une texane enceinte en mort cérébrale qui a été « débranchée », v. Le Monde, 27 janv. 2014.

■ Sur l’affaire « Vincent Lambert », v. TA Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2013, n° 1400029Dalloz actualité, 23 janv. 2014, obs. Poupeau.

■ Code de la santé publique

Article L. 1111-13

« Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. 

Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. »

Article R. 1232-1

« Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents : 

1° Absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée ; 

2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ; 

3° Absence totale de ventilation spontanée. »

■ Article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales

« L'autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu'au vu d'un certificat, établi par un médecin, attestant le décès. 

Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de la santé, précise la ou les causes de décès, aux fins de transmission à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et aux organismes dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Ce même décret fixe les modalités de cette transmission, notamment les conditions propres à garantir sa confidentialité. 

Ces informations ne peuvent être utilisées que pour des motifs de santé publique : 

1° A des fins de veille et d'alerte, par l'État, les agences régionales de santé et l'Institut de veille sanitaire ; 

2° Pour l'établissement de la statistique nationale des causes de décès et pour la recherche en santé publique par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. 

En outre, si lors de l'établissement de l'acte de décès mentionné à l'article 87 du code civil l'identité du défunt n'a pu être établie, l'autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu'après exécution, dans un délai compatible avec les délais régissant l'inhumation et la crémation, des réquisitions éventuellement prises par le procureur de la République aux fins de faire procéder aux constatations et opérations nécessaires en vue d'établir l'identité du défunt. »

 

Auteur :M. B.


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