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[ 28 mars 2019 ] Imprimer

Frais d’inscription dans l’enseignement supérieur

La hausse annoncée par le Gouvernement des frais d’inscriptions des étudiants étrangers hors UE devrait entrer en vigueur à la rentrée 2019. Elle fera, par exemple, passer les frais à 2 770 euros en licence contre 170 euros aujourd’hui. Fernanda Sabrinni, docteur en droit de l’Université Panthéon-Assas Paris II et de l’Université de Rio de Janeiro, ATER à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), répond à nos questions sur une préoccupation essentielle pour l’enseignement supérieur.

La gratuité et l’égal accès à l’enseignement supérieur sont-ils garantis par des textes en France ?

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 proclame dans son alinéa 13 que « L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ». Cette règle, intégrée au bloc de constitutionnalité, affirme ainsi le principe de gratuité́, confirmé par le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et repris par l’article L. 141-1 du Code de l’éducation. L’article L. 132-2 du Code de l’éducation dispose quant à lui que « L'enseignement est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent l'enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles et à l'enseignement supérieur des établissements d'enseignement public du second degré ». Si le principe de gratuité́ est explicitement affirmé́ pour l’enseignement primaire et secondaire par les articles L. 132-1 et L. 132-2 du Code de l’éducation, cela n’est pas le cas pour l’enseignement supérieur. Un versement de droits d’inscription est prévu par l’article 48 de la loi de finances n° 51-598 du 24 mai 1951 qui dispose que « seront fixés par arrêtés du ministre intéressé́ et du ministre du Budget (...) Les taux et modalités de perception des droits d’inscription, de scolarité́, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État (...) ». Ce versement de droits d’inscription prévu par la loi a été contesté devant le Conseil d’État (CE 28 janv. 1972, Conseil transitoire de la faculté des lettres de Paris, n° 79200 A). Les requérants contestaient un arrêté ministériel fixant le montant des droits d’inscription en invoquant comme fondement le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le Conseil a fait usage du principe de l’« écran législatif », pour refuser d’examiner la conformité de l’arrêté à la Constitution (le principe de la loi écran signifie que, n’étant pas compétent pour contrôler la conformité́ d’une loi à la Constitution, le Conseil d’État refuse de vérifier la constitutionnalité́ des actes réglementaires d'application de cette loi, la loi faisant « écran » entre l’acte réglementaire et la Constitution (énoncé dans l’arrêt CE, sect., 6 nov. 1936, Arrighi). 

Il y a donc une quasi-gratuité de l’enseignement supérieur en France. Les étudiants étrangers en France paient, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi « ORE » du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, des droits d'inscription identiques à ceux des étudiants français. Les montants de ces droits sont faibles, au regard du coût réel de l’enseignement supérieure. 

Pourquoi les frais d’inscription des établissements sont-ils décidés au niveau national ?

En France, le financement du système public d’enseignement supérieur est assuré pour l’essentiel par des fonds publics. Le modèle français repose donc sur le financement par l’État de l’enseignement supérieur public. Le montant des droits d’inscription à une formation sanctionnée par un diplôme national est fixé nationalement par arrêté́ conjoint du ministre intéressé́, c’est-à-dire ayant tutelle sur l’établissement d’enseignement supérieur concerné, et du ministre du budget. Néanmoins, l’article 48 de la loi de finances du 24 mai 1951 ne s’inscrit pas dans la répartition entre domaine législatif et domaine règlementaire issue des articles 34 et 37 de la Constitution du 9 octobre 1958. Rien n’est précisé quant à la nature juridique des droits d’inscription (taxe ou redevance), alors que celle-ci aurait des conséquences sur le niveau de texte nécessaire en cas de modification de la base légale pour la fixation des droits d’inscription.

En ce qui concerne la loi « ORE » les universités et écoles pourront, comme c’est le cas actuellement, prévoir l’exonération totale ou partielle de droits d’inscription dans le cadre des accords de partenariat qu’elles concluent avec des universités et écoles étrangères. Cela concerne notamment les étudiants inscrits en cotutelles de thèse.

Selon vous, qu’est-ce qui fait l’attractivité des études en France pour un étranger ?

Les étudiants étrangers viennent en France attirés par un certain rayonnement intellectuel et scientifique, à la recherche d’une université ouverte à tous, donnant accès à des enseignants qualifiés et à un environnement ouvert à la recherche et au savoir. De plus, les étudiants ont envie de pouvoir s’immiscer dans la culture et la langue françaises et de découvrir des valeurs d’égalité et de liberté du savoir. Le label « Bienvenue en France » présenté par le Premier ministre Édouard Philippe le 19 novembre 2018 reflète une stratégie visant à « opérer une forme de révolution pour que notre attractivité ne soit plus tant fondée sur la quasi-gratuité que sur un vrai choix, un vrai désir, celui de l’excellence ». À mon avis, l’excellence de l’enseignement est toujours le premier choix de la majorité des étudiants étrangers qui viennent en France. Il convient de souligner que les étudiants étrangers rencontrent déjà de nombreuses difficultés économiques et administratives pour arriver en France et poursuivre leurs études.

Faut-il craindre l’augmentation de l’ensemble des frais d’inscription de tous les étudiants ?

Il convient de souligner que la nouvelle loi ne concerne pas les étudiants déjà présents dans l'enseignement supérieur français et les ressortissants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen, d’Andorre, de la Suisse ou d’un État ayant conclu un accord international avec la France le prévoyant. Ces étudiants continueront à acquitter des droits d’inscription identiques à ceux des étudiants ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne : l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit toute discrimination exercée à l’encontre de citoyens de l’UE en raison de la nationalité́. La Cour de justice a rappelé́ que ce principe implique que les étudiants de l’UE qui étudient dans n’importe quel pays de l’Union ont le même droit à des prestations que les étudiants du pays (CJUE 4 oct. 2012, Commission c/ Autriche, n° C-75/11). Selon l’annonce de la ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, les doctorants seront épargnés par la hausse des frais d'inscription prévue pour les étudiants étrangers extracommunautaires à la prochaine rentrée universitaire. Les étudiants étrangers qui résident en France et qui bénéficient d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » ne seront également pas concernés. Seront en revanche concernés les étudiants internationaux qui s'inscrivent pour la première fois dans un cycle d'enseignement supérieur (première inscription en Licence, Master ou Doctorat). Néanmoins, le fait d'augmenter les frais d’inscription pour les étudiants étrangers pourrait en effet être le début d'une mesure qui s'étendrait à tous les étudiants. Autrement dit, cette mesure ne serait que le commencement de l'augmentation des frais d'inscription pour tous les étudiants indépendamment de leur nationalité. Le fait que la mesure soit destinée seulement aux étudiants étrangers résulte potentiellement d’une discrimination. En revanche, si la mesure était appliquée à tous les étudiants, cela pourrait avoir un côté positif dans le sens où elle permettrait de réparer le caractère inégalitaire. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Je garde un très beau souvenir de ma soutenance de thèse. Cela a été pour moi, en tant qu’étudiante étrangère, l’accomplissement d’un projet académique, mais aussi d’un choix de vie personnelle. Je souhaitais faire du droit comparé et pour cette raison connaître une autre culture juridique était indispensable. Le chemin a été long et m’a permis de faire de très belles rencontres. Je garde l’image de mes deux directeurs de thèse, MM. les Professeurs Denis Mazeaud et Gustavo Tepedino, réunis le jour de ma soutenance autour de notre projet de cotutelle après plus de quatre ans de travail commun.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Mon héros préféré, c’est mon père, qui malheureusement n’a pas pu être là le jour de ma soutenance de thèse, mais grâce à qui j’ai pu accomplir ce projet. Il m’a toujours poussée à donner le meilleur de moi et vers la connaissance d’autres cultures et du savoir ; ce sont les seules richesses que nous pouvons garder pour toute notre vie et qui nous appartiendront pour toujours, quoi qu’il arrive. 

Dans la fiction, j’aime beaucoup Antigone. 

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Sans aucune hésitation la dignité humaine, dans la version développée par Estelle Fragu dans sa thèse Des bonnes mœurs à l'autonomie personnelle : essai critique sur le rôle de la dignité humaine, autour des concepts de dignité-liberté et dignité-égalité.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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