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[ 18 décembre 2009 ] Imprimer

Françoise Dekeuwer-Defossez

« Le couple […] dont la démarche en vue d’adoption s’inscrit dans la durée, présente une solidité certaine » (TA Besançon 10 novembre 2009, E. B.). Fait une inexacte application des dispositions légales le président du Conseil général qui a rejeté, par deux fois, la demande d’agrément d’adoption d’un enfant à Emmanuelle B., homosexuelle, qui partage sa vie depuis plus de vingt ans avec sa compagne. Ce jugement qui clôt une procédure de douze ans tire les leçons, sans la citer, de la condamnation prononcée le 22 janvier 2008 par la Cour européenne de droits de l’homme à l’encontre de la France dans la même affaire. Le 25 novembre, l’agrément a été accordé par la collectivité publique locale. Quel est l’avis de Françoise Dekeuwer-Defossez, doyen honoraire de la Faculté des sciences juridiques de l'Université Lille 2, professeure à la Faculté libre de droit, spécialiste du droit de la famille ?

Puisqu’en France, aucune disposition légale n’interdit l’adoption d’un enfant par un homosexuel, qu’est-ce qui justifie les refus d’agrément opposés aux homosexuels ?
De manière générale, les refus d'agrément sont fondés sur des raisons d'ordre psychologique, familial ou autre. Ils sont toujours très mal vécus, et font assez souvent l'objet de recours. Dans le cas des personnes homosexuelles, on vérifie qu'il existe dans l'entourage de l'adoptant une personne pouvant donner à l'enfant une référence à l'autre sexe, pour garantir son bon développement psychique. Si le candidat vit en couple, (hétéro ou homosexuel) on recherche aussi quelles seront les relations entre l'enfant et ce « tiers ». Il serait pour le moins malvenu et dangereux de confier un enfant à un « célibataire » dont le concubin serait hostile à la présence d'un enfant au foyer !

 

A-t-on déjà des éléments empiriques, des statistiques fiables sur les enfants éduqués par des couples homosexuels ?
Les études scientifiques sont peu nombreuses, et contestées, reposant parfois sur les dires des parents… Globalement, il ne semble pas que des pathologies particulières aient été décelées. Mais il est encore trop tôt pour avoir un recul suffisant, la plupart de ces enfants n'étant pas encore arrivés à l'âge adulte et n'ayant pas formé eux-mêmes de couple.
Il faudrait d'ailleurs distinguer les enfants nés dans un couple classique, et ensuite élevés par un ménage homosexuel après recomposition familiale, et les enfants nés d'assistance médicale à la procréation ou adoptés ayant toujours vécu en famille homoparentale. Le vécu et les problèmes psychologiques sont probablement très différents.

 

Existe-il une liste d’indices permettant de déterminer l’intérêt de l’enfant en vue de son adoption ? Ce standard n’est-il pas un alibi avancé pour protéger ou pérenniser un ordre moral ou un modèle social dominant ?
Quel que soit le contexte dans lequel il est utilisé, l'intérêt de l'enfant n'est jamais autre chose que ce que les adultes pensent qu'il est. Chacun le voit à sa manière. Il est extrêmement rare que des parents, quels qu'ils soient, reconnaissent que ce qu'ils souhaitent faire est contraire à l'intérêt de leur enfant. Quant à la société et à ses représentants, elle ne peut raisonner qu'en fonction de « standards » qui changent en fonction de paramètres nombreux. Il faut se souvenir qu'en 1983, la garde alternée après divorce était encore interdite parce que jugée contraire aux besoins de l'enfant… Il semble, dès lors, bien difficile de décider de manière générale s'il est conforme ou contraire à l'intérêt de l'enfant d'être élevé par un couple homosexuel. En tout cas, il n'y a certainement pas de réponse générale à cette question.

 

Quel est, selon vous, le critère d'adoption déterminant : l'altérité sexuelle ou la solidité affective ?
On ne voit pas pourquoi l'altérité sexuelle ne se combinerait pas avec la solidité affective !
Il ne s'agit pas de donner un enfant à une famille, mais une famille à un enfant. Pour chaque enfant abandonné, par hypothèse privé de ses parents par le sang et donc meurtri par la vie, il faut trouver la meilleure famille de remplacement possible. Les besoins de chaque enfant sont différents, selon son origine, son âge, son tempérament… Quoi que l'on puisse penser, l'amour n'est pas suffisant, ce qui explique nombre d'échecs d'adoption, et justifie la procédure d'agrément.

 

L’adoption par une personne célibataire, autorisée par le Code civil, ne neutralise-t-il pas l’argument de ceux qui, pour refuser l’admission par un couple homosexuel, affirment que l’intérêt de l’enfant suppose nécessairement qu’il ait un père et une mère ?
'adoption par un célibataire a été permise en 1966 pour permettre l'adoption d'enfants « à particularités » dont les familles « normales » ne voulaient pas à l'époque. Il s'agissait de « caser » le plus d'enfants possibles, dans un contexte où les enfants adoptables étaient plus nombreux que les couples d'adoptants. À l'heure actuelle, le nombre d'enfants adoptables étant bien inférieur à celui des demandeurs, les services sociaux préfèrent confier les enfants dont ils ont la charge à des couples, qui leur semblent présenter de meilleures garanties affectives et éducatives que des célibataires.

 

Les décisions de la CEDH, de la HALDE et du tribunal administratif liées à l’espèce pourraient-elles avoir une incidence sur la législation relative à l’adoption par un couple homosexuel ?
La législation française n'est pas discriminatoire puisque l'orientation sexuelle des adoptants n'est (heureusement !) pas un critère législatif de l'adoption. Seule, parfois, est discriminatoire la délivrance de l'agrément administratif. On ne voit pas, dès lors, pourquoi la loi devrait changer. Par contre, il est évident que la politique des agréments en vue de l'adoption va être modifiée.

 

Dans quelles circonstances peut-on dire qu’une distinction de traitement s’agissant de droits est discriminatoire ?
Il y a discrimination lorsque l'on traite de manière inégalitaire des situations semblables. Qualifier une distinction de discrimination, c'est donc décider implicitement que les situations sous-jacentes sont comparables. Peut-on estimer actuellement que les concubins, hétéros ou homosexuels présentent les mêmes garanties de sécurité juridique et d'équilibre affectif pour un enfant adoptif que des époux ? C'est la question à laquelle il faut préalablement répondre, et à laquelle chacun répond en son âme et conscience. Pour le moment, le législateur estime encore que le mariage traditionnel constitue le meilleur fondement possible pour une famille. Il n'y a donc nulle discrimination à lui réserver la faculté d'adopter.

 

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

 

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur souvenir, c'est un voyage qui avait été organisé par l'un de nos enseignants de droit public pour visiter les institutions communautaires à Luxembourg. C'était en 1969, et la démarche montrait une ouverture sur le droit européen qui; à l'époque, n'était pas si évidente. Nous avons visité la Cour de justice, les bureaux luxembourgeois de la Commission européenne… et cela a aussi été un grand moment de convivialité étudiante ! Peut-être est-ce à cause de ce voyage que j'accorde tant d'importance au droit européen, sous toutes ses formes.

 

Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
C'est probablement Pierre Besoukhov, de La Guerre et la Paix de Tolstoï. Je trouve qu'il est très attachant, avec ses contradictions, ses espoirs et ses désillusions, sa volonté permanente de s'élever et d'aller vers le bien, ses tentatives maladroites pour affranchir ses paysans ou pour assassiner Napoléon, une grande fraicheur de sentiments et un véritable courage.

 

Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?
Mon droit de l'homme préféré serait plutôt… le droit des Femmes ! Toute plaisanterie mise à part, celui des droits humains auquel je suis le plus attachée est probablement l'égalité, et l'égalité des sexes me parait l'une des bases fondamentales de notre société. Je suis également très attachée aux droits des enfants, qui me paraissent quelque peu marginalisés à l'heure actuelle, comme le montre la prochaine disparition de la défenseure des enfants.

 

 


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