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[ 15 décembre 2016 ] Imprimer

Huissier de justice

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Ils sont vingt fois moins nombreux que les avocats, trois fois moins nombreux que les notaires. Huissier de justice est pourtant une profession tout aussi connue des universités de droit bien que ne bénéficiant pas d’une image aussi séduisante. L’installation est pourtant nettement plus aisée et la compétence territoriale ne cesse de s’étendre comme en témoigne Me Jean Fourgeron, huissier à Beauvais, dans l’Oise.

Quel a été votre parcours avant de vous installer en tant qu’huissier dans l’Oise ?

Je suis arrivé un peu par hasard dans la profession. J’ai fait une maîtrise de droit à Assas puis un troisième cycle dit LLM en droit du commerce international à l’Université d’Ottawa au Canada, une spécialisation qui ne me sert à rien aujourd’hui (rires). De retour en France après deux ans, j’ai renoncé au dernier moment à passer le barreau parce qu’un ami m’a dit que le métier d’huissier était intéressant, qu’il y avait du travail. Je me suis inscrit à l’École nationale de procédure et j’ai trouvé un stage dans le Val de Marne, à Fontenay-sous-Bois, chez Me Cazenave. Au bout de deux ans, j’ai passé mon examen d’huissier. Après cela, j’ai travaillé deux ans dans une étude des Yvelines, à Meulan-les-Mureaux comme clerc habilité aux constats. C’était le temps pour moi de trouver une étude à acheter. Je l’ai trouvé à Beauvais. J’ai acheté les parts sociales d’un associé qui partait rejoindre ses terres natales en Normandie. 

Est-ce facile pour un jeune huissier de s’installer ?

Il n’y a pas de frein financier à l’installation. Il faut juste être un peu souple géographiquement. Et d’ailleurs un certain nombre d’huissiers trouve difficilement un repreneur. J’ai acheté mes parts il y a sept ans. J’avais 20000 € d’apport personnel gentiment avancé par mes parents. Le reste de la somme m’a été financé par la Caisse de dépôts et de consignations et par la Caisse des prêts de la chambre nationale des huissiers de justice à laquelle tous les huissiers cotisent. Nous bénéficions d’un taux d’emprunt sans concurrence.  

Les huissiers qui ne s’installent pas c’est parce qu’ils préfèrent rester salarié dans une étude. Depuis quelques années, il existe un statut d’huissier salarié (loi du 22 décembre 2010 et décret du 25 juillet 2011, ndlr). C’est un schéma qui peut correspondre à certaines personnes car vous avez vos congés payés, vos horaires de travail, les congés maladie. D’autres étudiants, une fois l’examen professionnel en poche, quittent la profession. C’est un diplôme assez reconnu et beaucoup de responsables de contentieux dans des grosses entreprises de recouvrement ont l’examen d’huissier de justice. C’est le cas de deux clients importants de l’étude : l’un est directeur d’une société de crédit à la consommation, l’autre d’un grand office HLM.

Enfin, il est aussi question d’assouplir l’installation. Le Gouvernement a abandonné l’idée de la libre installation mais il va revoir la carte de France afin de repérer les endroits où il y aurait un besoin de nouveaux huissiers. Dans ces territoires, il pourrait éventuellement autoriser la création d’une ou deux études, sans rachat de parts sociales d’une étude existante donc. Cela concernerait souvent les zones de la région parisienne où, comparé au nombre d’habitants, il n’existe pas assez d’huissiers. Toutefois, ce n’est peut-être pas si évident car en achetant des parts, vous achetez une clientèle, l’outil de travail fonctionne déjà. Mais si vous posez votre plaque sans avoir de clientèle c’est plus compliqué car personne ne vous connaît et vous n’avez pas le droit de faire de publicité. 

Quel est votre journée-type, votre quotidien en tant qu’huissier de taille moyenne ?

C’est un métier varié. Vous pouvez faire exécuter une décision de justice, faire des constats, du conseil, de la gestion d’immeuble, des jeux concours. Dans la même journée vous pouvez faire un jeu concours puis un constat de contrefaçons - la semaine dernière c’était sur des claquettes de piscine - puis le constat d’une voierie qui va faire l’objet de travaux car l’entreprise de BTP souhaite que nous constations les façades avant de venir avec ses bulldozers. Cela prend deux heures, il faut réaliser des photos, constater les faits, dresser un procès verbal. Concernant l’exécution des décisions de justice, elles nous sont confiées par des personnes qui ont gagné leur procès et qui veulent récupérer l’argent que la partie adverse leur doit mais ne leur paie pas. Nous allons les voir pour leur demander de payer, et si ce n’est toujours pas le cas, il existe différents moyens prévus dans le code des procédures civiles d'exécution notamment la saisie de leur compte bancaire, du mobilier, de leur véhicule. En plus de cela, il y a un travail administratif assez conséquent à produire car toute la procédure est émaillée d’actes qui doivent être préparés, écrits, signés, contrôlés. 

Votre compétence territoriale s’étend peu à peu. Depuis le 1er janvier 2015, vous êtes compétent sur l’ensemble du ressort du TGI de votre étude, soit tout le département de l’Oise. En janvier 2017, la compétence s’élargit au ressort de la cour d'appel de chaque étude soit pour vous, les départements de l’Oise, de la Somme et de l’Aisne. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes des auxiliaires de justice de proximité. Nous travaillons bien parce que nous connaissons nos débiteurs, nos clients, notre territoire et nous nous déplaçons beaucoup. Nous donner la possibilité d’exercer notre ministère à 200 km de notre étude n’a aucun sens. Je ne vais pas aller faire un constat ou une saisie d’enlèvement de voiture à 200 km de chez moi, sinon j’y passerai la journée, et je ne connais pas le débiteur. 

La demande n’est pas venue de nous les huissiers mais de nos clients. On suppose que cette mesure est le fruit d’un travail de lobbying de clients qui raisonnent à l’échelle nationale et ne souhaitent pas s’embarrasser d’une multitude de petits huissiers avec chacun leur petite compétence territoriale. Ils veulent travailler avec trois ou quatre professionnels disposant d’une compétence régionale. 

Par conséquent, nous sommes désormais en concurrence avec nos confrères sur le même territoire ce qui nous oblige à nous organiser de manière différente. D’un point de vue logistique, cela nous pousse à nous rapprocher d’autres études et à réaliser des fusions, former des holdings pour gérer ce territoire qui s’est extrêmement agrandi. 

La loi Macron a réformé certains points concernant votre profession (révision du tarif des actes, élargissement de la compétence territoriale, élargissement du champ d’activités…). Cela vous satisfait-il ? 

Cette réforme était surtout orientée vers les notaires et nous avons été englobés parce que nous avons le même statut d’officier ministériel mais personne ne se plaignait de notre façon de travailler et les jeunes confrères n’avaient pas de difficulté à s’installer. Ce qui a changé ce sont les taxes dont le montant a considérablement augmenté. En réalité, ce n’est pas l’huissier qui gagne plus d’argent, c’est l’État qui a décidé de se servir de façon plus importante sur les actes d’huissier ce que je trouve assez malhonnête.

Concernant la création de sociétés interprofessionnelles, nous regardons cela de manière un peu dubitative. Encore une fois, je ne vois pas l’intérêt. En tant qu’huissier je ne fais pas le travail de l’expert-comptable ni de l’avocat qui n’ont pas envie de faire mon travail. Ce qui risque de se passer c’est l’arrivée de très gros groupes qui vont essaimer dans tout le pays pour bénéficier dans leurs rangs de toutes les professions. Cela concerne dix groupes maximum, les autres professionnels ne sont pas concernés. Enfin, ils veulent nous réunir avec les commissaires-priseurs sous une même dénomination, celle de commissaire de justice. Pourquoi pas mais je ne vois pas l’intérêt, nous ne faisons pas du tout le même travail. 

L’image véhiculée par votre profession a-t-elle évolué au fil du temps ?

Notre métier travaille beaucoup sur l’inconscient. Nous avons une réputation. Quelque part, faire peur est notre cœur de métier. Nous réalisons beaucoup de recouvrement amiable tel qu’un coup de téléphone ou un courrier pour avertir les personnes qu’elles doivent payer une somme. Normalement, rien que notre courrier à en-tête doit les faire réfléchir donc nous n’avons pas intérêt à arrondir ou lisser notre image. Aussi, nous faire passer pour des commissaires de justice n’est pas une bonne chose. Notre titre d’huissier est impactant et c’est très bien comme cela. Il ne l’est d’ailleurs plus autant qu’il y a trente ans et nous le déplorons. Sans doute parce que nos confrères, précédemment, ont fait des erreurs, notamment ils ont probablement fait trop d’amiable ou mal. Ensuite, c’est une histoire de société : la police fait moins peur comme le magistrat et l’huissier font moins peur. Autrefois, la seule évocation du titre d’huissier de justice pouvait impressionner. Aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas. Et avec le titre de commissaire de justice, ça le sera encore moins. 

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?

Mes deux années au Canada. Avec du recul aujourd’hui, je considère que c’était un peu une perte de temps mais j’en garde un excellent souvenir néanmoins. J’ai bien profité de ma vie étudiante là-bas !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Le Comte de Monte-Cristo (héros du roman éponyme d’Alexandre Dumas, ndlr).

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », c’est le principe fondamental de la justice. Nous sommes huissier de justice le dernier maillon de la chaîne juridique. Nous faisons appliquer concrètement la décision de justice qui émane du tribunal. Je tire une certaine satisfaction à retourner un dossier exécuté et soldé car je me dis que justice est enfin « réellement rendue » et c’est quelque part l’application de l’article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. 

Carte d'identité de l’huissier

Né au Moyen-âge, le métier d’huissier de justice n’a cessé d’évoluer ces vingt dernières années. Plus souvent connu comme le responsable du recouvrement de créances, il réalise aussi beaucoup de constats et d’actes amiables. Engagés dans la transition digitale, ils ont désormais la possibilité d’exercer comme salarié, de former des sociétés interprofessionnelles et leur nom est sur le point de changer en « commissaire de justice ».

■ Les chiffres (d’après la monographie réalisée par la CNJH)

- 3224 huissiers de justice dont 968 femmes

- 1732 études

- 49 ans de moyenne d’âge

- 12000 clercs et employés au sein des études

- 8 milliards € recouvrés

- 9,5 millions d’actes signifiés

- 5 millions de consultations juridiques

- 2 millions de procès-verbaux de constats dressés

■ La formation et les conditions d'accès

Pour devenir huissier, vous devez être titulaire d'une maîtrise ou d’un master 1 de droit ou d'un diplôme équivalent comme un DEA ou DESS d’une discipline juridique, un diplôme d’aptitude aux fonctions de notaire, un examen d’aptitude professionnelle aux fonctions d'avoué. Il vous faut effectuer un stage obligatoire de deux ans dans une étude d’huissier et vous former parallèlement au département de formation des stagiaires et à l’école nationale de procédure. Enfin, il vous faudra, au bout de ces deux années, obtenir l’examen professionnel d’huissier de justice.

■ Les domaines d'intervention

Droit civil, droit commercial, procédure civile, droit du travail, droit pénal et procédure pénale, procédure prud'homale, droit de la famille et des régimes matrimoniaux, droit immobilier, droit de l'urbanisme, droit de l'environnement, aménagement du territoire, droit des collectivités territoriales.

■ Le salaire

6272 € en moyenne selon un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) en 2013.

 Les qualités requises

Polyvalence, rigueur, éthique, probité, impartialité, confidentialité, sang-froid.

■ Les règles professionnelles

Secret professionnel, interdiction d’exercer une autre profession en parallèle, obligation de s’acquitter des missions judiciaires chaque fois qu’il en est requis, respect des tarifs en vigueur, devoir d’information, de conseil et de communication. En cas de manquement, il peut être sanctionné par le conseil de la chambre d’arrondissement voire par le tribunal d’instance.

Les sites Internet 

Chambre nationale des huissiers de justice (CNJH) 

Chambre européenne des huissiers de justice 

 

Auteur :A. C.


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