Actualité > Focus sur...

Focus sur...

[ 10 octobre 2019 ] Imprimer

Inaction climatique et ONU

16 jeunes défenseurs de l’environnement dont la Suédoise Greta Thunberg ont déposé une plainte en septembre 2019 devant le comité des droits de l’enfant de l’ONU contre la France, l’Allemagne, l’Argentine, le Brésil et la Turquie. Françoise Monéger, professeur de droit honoraire, ancien conseiller (SE) à la Cour de cassation, a bien voulu répondre à nos questions sur les enjeux de cette offensive juridique.

Quelles dispositions de la convention des droits de l’enfant permettent la défense de l’environnement ?

La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE), signée à New York le 20 novembre 1989, est entrée en vigueur en France le 6 septembre 1990. Elle a présenté un évènement considérable parce que c’est la première fois que les droits de l’enfant sont énoncés dans un traité qui sera contraignant pour les États qui le ratifient. Or, tous les États membres des Nations Unies ont ratifié cette convention à l’exception de la Somalie et des États-Unis d’Amérique. Cette convention comprend 54 articles répartis en trois parties. La première partie, la plus longue (art. 1 à 41) est consacrée à l’énoncé des droits de l’enfant, qui peuvent être répartis en droits individuels et familiaux, et en droits sociaux. La deuxième partie (art. 42 à 45) met en place un Comité des droits de l’enfant chargé de contrôler la mise en place et le respect de la Convention dans les États. Enfin la troisième partie prévoit les modalités de ratification. La France a émis des réserves à propos de l’article 6 (droit à la vie) afin que ne soit pas remis en cause le droit à l’IVG pour les femmes et à l’article 30 (droit des minorités).

Rien dans la Convention ne concerne l’environnement en tant que tel, mais les articles énonçant le droit à la vie, le droit à la santé des enfants peuvent avoir un lien avec l’environnement. Ce sont d’ailleurs ces droits qui ont été visés par la plainte déposée devant le Comité des droits de l’enfant. La plainte vise l’article 6 (« Les États reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie. Les États parties assurent dans la mesure du possible la survie et le développement de l’enfant »), l’article 24 qui reconnaît à l’enfant le droit de jouir du meilleur état de santé possible, l’article 30 qui énonce pour les enfants faisant partie de minorités, le droit à la culture, enfin l’article 3, le plus emblématique de la Convention selon lequel, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

Selon les termes de la plainte, en ne faisant rien pour le dérèglement climatique, les États portent atteinte à tous ces droits que les États se sont engagés à respecter.

Quel est le mécanisme onusien qui permet aux enfants de porter plainte contre des États pour inaction en ce domaine ?

Le mécanisme est celui de la saisine par des enfants du Comité des droits de l’enfant. Ce Comité mis en place dans la Convention est un organe indépendant composé d’experts dont la mission est d’examiner les progrès accomplis par les États dans l’exécution de leurs obligations (art. 43). Les États doivent présenter tous les cinq ans des rapports sur l’application de la CIDE, rapports sur lesquels le Comité rédige des observations. À titre d’exemple, la France a déjà produit cinq rapports et le Comité fait périodiquement des observations sur ces rapports.

La possibilité d’une saisine directe par des particuliers ne figurait pas dans le texte de la Convention mais a été mise en œuvre dans un troisième protocole additionnel, entré en vigueur le 14 avril 2014. La France a ratifié ce protocole le 7 janvier 2016 sans aucune réserve ni déclaration qui pourrait en limiter sa portée. Désormais, les enfants et leurs avocats pourront donc directement saisir le Comité des droits de l’enfant, en cas de violation de leurs droits fondamentaux. La procédure est dite de communication ou de « plainte individuelle ».

C’est cette procédure qui a été utilisée en l’espèce, et seuls, bien évidemment, des États qui ont ratifié ce protocole additionnel sont visés par cette plainte.

Quelle peut être l’action du Comité des droits de l’enfant en réponse ?

La communication est transmise à l’État concerné. Le Comité des droits de l’enfant procède à l’examen de la communication, et transmet ensuite aux parties, ses constatations et éventuelles recommandations. Il peut demander que l’État mette en place des mesures provisoires.

S’agissant de la France, il est fait état par la requérante française, de la vague de chaleur de 2003 qui a entraîné la mort de 15 000 personnes, et des canicules qui se répètent chaque été.

Devant les juridictions nationales, les personnes ne peuvent invoquer que les dispositions d’un traité qui sont dites d’application directe (« self executing »), c’est-à-dire celles qui énoncent des droits aux contours suffisamment précis pour ne pas nécessiter de textes d’application. Les autres dispositions (« non self executing »), énoncent des obligations pour les seuls États qui se sont engagés à mettre en œuvre les droits énoncés. Or, seuls quelques articles de la CIDE ont été déclarés d’application directe par le Conseil d’État et la Cour de cassation. Dans les articles visés dans la plainte, seul l’article 3 de la CIDE l’a été.

Il peut sembler que lors d’une saisine du Comité des droits de l’enfant, parce qu’il s’agit d’une instance internationale et parce qu’il s’agit de mettre en cause les obligations des États, tout article de la Convention peut être visé. Toute la question est ensuite de savoir si les juridictions des États seront tenues par les décisions de ce Comité, si elles sont contraignantes.

À titre d’exemple, dans l’affaire Vincent Lambert, la décision du Comité des droits de personnes handicapées, Comité équivalent à celui des droits de l’enfant mais pour la Convention des Nations Unies relative aux droits de personnes handicapées, a été déclarée non contraignante par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (arrêt du 28 juin 2019, n° 19-17.330 et 19-17.342)

Quelle est la différence entre cette plainte et le recours de « L’affaire du siècle » ?

La plainte a été portée ici, devant le Comité des droits de l’enfant, instance internationale.

Dans cette « affaire du siècle », quatre ONG (Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France, Oxfam France, Notre affaire à tous) ont déposé une requête devant une juridiction nationale. Le recours a été formé devant le tribunal administratif de Paris le 14 mars 2019 contre l’État français pour son inaction en matière de changement climatique en lui enjoignant de prendre les mesures nécessaires aux fins de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, de développer des énergies renouvelables et d’augmenter l’efficacité énergique, de prendre les mesures nécessaires aux fins d’assurer la protection de la vie et de la santé des citoyens contre les risques liés au changement climatique.

Plusieurs fondements juridiques ont été invoqués : l’obligation générale de lutte contre le changement climatique, issue de la Charte de l’environnement, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe général du droit relatif au droit de chacun de vivre dans un système climatique soutenable, ce qui suppose, notamment, de prendre des mesures destinées à protéger les milieux naturels et, plus largement, à adopter les mesures destinées à limiter et, si possible, éliminer les dangers liés au changement climatique.

Ce n’est pas le premier procès climatique intenté contre l’État, celui-ci a été particulièrement médiatisé parce que d’anciens ministres sont membres des ONG concernés. Ce type de procès conduit rarement à des résultats parce que les juges nationaux doivent fonder leurs décisions sur des textes suffisamment précis pour être mis en œuvre directement.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ?

Lorsque je me suis inscrite à l’université en 1964… à Poitiers, il n’y avait pas « parcours sup », tout était possible. J’étais la première dans ma famille à avoir le bac et je ne savais pas trop quoi faire. Je m’étais inscrite à la fois en lettres et en droit, et les premières semaines j’ai assisté aux cours à la faculté des lettres et à la faculté de droit, et j’ai très vite choisi le droit, j’ai aimé les cours bien organisés, avec des plans, des I et II, A et B et l’attrait pour le droit ne m’a jamais quitté, même si j’aime aussi la littérature.

Quelle est votre héroïne de fiction préférée ?

Mes héroïnes préférées sont celles des films de Billy Wilder qui, pour moi, n’ont jamais été égalés, Audrey Hepburn dans Sabrina et Shirley Maclaine dans « The Apartment ».

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Sans doute la dignité parce que sans dignité il n’y a aucun droit possible.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr