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Infraction de terrorisme et liens familiaux
La mère d’un jeune homme est accusée d’avoir financé le dessein djihadiste de ce dernier en lui envoyant de l’argent pour voyager. Elle a été condamnée à deux ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Paris le 28 septembre 2017. C’est David Chilstein, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui nous éclaire sur la détermination des éléments constitutifs de l’infraction de terrorisme.
Quel est l’enjeu de la qualification juridique des faits de l’espèce ?
L’enjeu est double : il s’agit de savoir si l’incrimination de financement du terrorisme posée à l’article 421-2-2 du Code pénal (et qui constitue une forme de terrorisme) a vocation à réprimer une forme d’entraide familiale lorsque celle-ci prend la forme d’un soutien financier au profit d’un proche parent ayant choisi la voie du terrorisme. Sur un plan plus technique, la question posée porte sur l’élément moral de l’infraction.
Sur le premier point, on ne peut s’empêcher de noter un certain décalage entre la ratio legis de l’incrimination, créée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, et le phénomène social auquel il s’agit ici de répondre. En s’attaquant au financement du terrorisme, ni l’ONU ni le législateur français n’avaient en vue les quelques milliers d’euros susceptibles d’être envoyés par une mère inquiète à son fils qui « se serait laissé embrigadé » en Syrie. Certains pourraient même considérer que l’incrimination est ici dévoyée dans la mesure où elle sert moins à sanctionner un authentique soutien au terrorisme qu’une forme de défaillance éducative… Cette rhétorique sociologique, très prégnante dans les médias, ne convainc guère. La question ne porte pas sur le montant des sommes versées (on doute que l’adage de minimis non cura praetor s’applique en matière de terrorisme) ni sur la défaillance parentale éventuelle, à supposer que cette dernière ne prenne pas la forme d’un véritable encouragement. La question porte sur l’approche pertinente de la notion de soutien au terrorisme. En réalité, il s’agit de savoir si, dans la mesure où objectivement, le soutien accordé favorise objectivement l’entreprise terroriste, il entre dans le champ de la répression quelle que soit la motivation d’ordre familial qui y a présidé. Ce qui revient bien à poser la question sous l’angle de l’élément moral.
Au fond, deux approches de l’incrimination sont concevables : soit l’on considère que la seule aide financière apportée en connaissance de cause à la personne engagée dans la voie terroriste est suffisante pour caractériser l’infraction, soit l’on requiert plus spécifiquement que le donateur partage la motivation terroriste qui anime le bénéficiaire de l’aide accordée. Ce qui revient à requérir un dol spécial.
La question est assez classique et s’est posée de façon similaire que ce soit en matière d’empoisonnement (affaire du sang contaminé) ou, de façon plus étonnante, en matière de viol. L’administration de la substance que l’on sait mortifère est-elle suffisante pour caractériser l’empoisonnement ou faut-il la démonstration d’un animus necandi ? L’acte de pénétration sexuelle réalisé volontairement mais à des fins d’extorsion est-il suffisant ou faut-il que l’auteur du viol soit animé d’une motivation d’ordre sexuel ?
En matière de financement du terrorisme, le législateur a été clair. L’infraction est constituée aussi bien lorsque l’auteur entend que les fonds versés soient utilisés en vue de commettre des actes terroristes que lorsqu’il a simplement conscience de cette destination. L’incrimination ne requiert pas systématiquement de dol spécial.
Dès lors, la question se déplace sur le terrain de l’appréciation de la conscience de la destination des fonds. Doit-on présumer ou non que les sommes versées à un terroriste parti faire le djihad serviront nécessairement au financement de son activité terroriste ? Et de retomber, ici, peut-être, sur la question du montant de l’aide accordée.
En tout état de cause, il nous semble que l’approche objectivante de la notion de soutien au terrorisme combinée à une appréciation souple de la conscience de la destination des fonds doit être encouragée. Au fond, c’est une question de politique criminelle. Cette position a le mérite d’adresser un message de fermeté : « votre fils est parti faire le djihad. Dont acte. N’en rajoutez pas… ». Vu la gravité des faits, l’approche subjective du soutien au terrorisme, gorgée d’empathie, ne serait, selon nous, qu’une démonstration de faiblesse des démocraties occidentales en proie au terrorisme.
Quels sont les éléments constitutifs de l’infraction de terrorisme ?
L’infraction de terrorisme est multiforme et ne peut être facilement résumée. Disons qu’il existe un « noyau dur » de l’incrimination qui réprime l’action terroriste proprement dite : elle s’articule autour d’infractions de droit commun (atteintes à la vie, tortures, violences, destructions, etc.) réalisées avec une intention particulière : « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », selon la formule consacrée. L’élément moral est ainsi l’élément déterminant pour caractériser l’infraction puisque c’est le but dans lequel sont commis des comportements, déjà en eux-mêmes délictueux, qui leur confère une dimension terroriste. Puis par élargissements successifs, ont été qualifiés d’actes de terrorisme des comportements plus périphériques situés aussi bien en amont de l’action terroriste (tel que son financement) qu’en aval (tels que le recel ou le blanchiment). Est également qualifié d’acte terroriste par le législateur le fait de participer à un groupe ou à une entente visant à préparer des actes terroristes. L’incrimination ne cesse de faire l’objet d’élargissements divers, destinés soit à prendre en compte de nouvelles formes d’action terroriste (terrorisme écologique, chimique, etc.), soit à inclure des comportements qui s’y rattachent par quelque biais sans en être le cœur. L’infraction terroriste connaît ainsi un double mouvement d’extension, à la fois horizontal et vertical, pour reprendre la grille d’analyse convaincante proposée par Julie Alix [Terrorisme et droit pénal, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », 2010].
Existe-il en droit pénal une sorte d’« immunité familiale » ?
Oui, selon une tradition qui remonte au droit romain, il existe une immunité de poursuite entre proches parents en ce qui concerne les infractions d’appropriation frauduleuse, et que résume volontiers, quoique approximativement, l’adage « Il n’y a pas de vol entre époux ». Car l’immunité s’étend aussi en réalité aux ascendants et aux descendants de la victime. Sa raison d’être peut être résumée par une autre formule, à savoir : « le linge sale se lave en famille ». Ce mécanisme, qui n’est pas consacré dans tous les pays, est parfois critiqué au nom de la dissolution de la cohésion familiale dans les sociétés modernes. Il conviendrait pour certains d’en prendre acte et d’accompagner le mouvement. Sans être convaincu par cette approche décliniste, on approuvera néanmoins le législateur d’avoir, par une loi 4 avril 2006, exclu du champ de l’immunité les appropriations frauduleuses « portant des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime tels que des documents d'identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence d'un étranger, ou des moyens de paiement ». Cela étant, il convient ici de noter que le mécanisme de l’immunité familiale n’est pas en cause dans notre affaire. Il ne s’agit pas savoir si, compte tenu des liens familiaux existants entre l’auteur et la victime, des poursuites pénales sont envisageables, mais s’il est possible d’invoquer un lien familial pour justifier un acte délictueux, ici de nature terroriste, ce qui relève davantage, mais en creux, du problème lié à l’exigence ou non d’un dol spécial en matière de financement de terrorisme.
Peut-on être complice d’un acte terroriste ?
C’est compliqué. En théorie, cela ne devrait pas poser difficultés particulières car la complicité est un mécanisme à portée générale. Néanmoins, le législateur a tellement étendu la notion de terrorisme en y incluant des faits objectifs de complicité (tel le financement) qu’il devient difficile, en ce domaine, de se borner à n’être que complice...
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Mon souvenir le plus marquant a été l’enseignement du droit international privé par le Professeur Pierre Mayer. Certains enseignants ont l’art du vous faire voyager sur place, c’est assez édifiant.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Oblomov. Il s’agit plutôt d’un anti-héros, tiré du l’ouvrage éponyme d’Ivan Gontcharov, et étrangement méconnu en France. C’est l’histoire d’un pauvre diable qui a bien du mal à se lever de son lit…
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit au silence…
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