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[ 30 octobre 2019 ] Imprimer

Intelligence artificielle et droit

Pour Woody Allen, « l’intelligence artificielle se définit comme le contraire de la bêtise naturelle ». Et pour cette catégorie d’humains très particulière, les juristes, comment se définit-elle ? Arthur Gaudron, responsable Projets MINES ParisTech PSL et Stéphane Prévost, rédacteur en chef de la revue Dalloz IP/IT, répondent à nos questions sur ce thème.

Qu’est-ce que l’IA ?

A. G. : En 1991, les chercheurs Elaine Rich et Kevin Knight considéraient l’intelligence artificielle (IA) comme l’étude sur la façon de faire faire aux ordinateurs des choses pour lesquelles les humains sont meilleurs pour le moment. Cette définition rappelle qu'il faut rester humble devant les progrès spectaculaires de ces dernières années. L’IA est capable de dépasser largement les capacités humaines, mais dans des domaines toujours très spécifiques (jouer au go, reconnaître des visages, segmenter une clientèle, etc.).

S. P. : Pour compléter les propos d’Arthur, il faut aussi souligner qu’il existe une tendance, notamment chez les juristes à confondre, IA et algorithmes. Il faut aussi éloigner l’idée qu’il existe à ce jour des IA fortes. Il existe en effet une tendance à penser que l’intelligence artificielle est forte (c’est-à-dire auto-apprenante et donc autonome par rapport aux humains). Elle se développera à la fois seule mais aussi grâce aux échanges entre les IA. Simplement, elle n’existe pas encore ou uniquement dans les œuvres de science-fiction. Pour l’instant, seule est utilisée l’IA faible qui est toujours sous contrôle d’un informaticien et de ses algorithmes. Pour une illustration d’IA forte dans le futur, je vous renvoie au Procès de l’IA et de la voiture autonome dans (Dalloz IP/IT en nov. 2018, p. 579). 

Quelles sont ces applications actuellement en droit ?

A. G. : Les progrès dans le traitement automatique du langage naturel (Natural Language Processing en anglais) ont ouvert la porte à de nombreuses applications. Par exemple, IBM propose une IA qui répond à vos questions juridiques en allant directement chercher dans la législation, des jugements, ou de la documentation interne, et en plus il sera toujours à jour ! L’efficacité reste à être démontrée, mais cela me semble une des applications les plus prometteuses et réalistes à court terme.

S. P. : Je rejoins Arthur, on met souvent en avant la Justice prédictive et les sociétés qui la proposent. On pourrait plutôt assimiler cela à des lignes de codes, qui analysent des bases de données (constituées des décisions de justice) et appliquent des calculs de probabilité. Simplement, pourquoi les outils sont aujourd’hui plus performants : simplement, car la puissance de calcul a augmenté et les données disponibles aussi avec l’Open Data.

Faut-il craindre son recours par le juge ?

S. P. : Les expériences menées en France dans des tribunaux ont révélé que ce n’était pas encore concluant et que l’IA ne peut servir dans tous les domaines du droit pour le juge (droit pénal par exemple).

Il reste que l’approche du droit écrit et l’application d’un algorithme à des décisions demandent encore beaucoup de développements pour parvenir à un résultat satisfaisant.

Quelles que soient l’évolution et la puissance des outils, les juges devront toujours être ceux qui rendent des décisions. Juger est un acte qui implique une humanité qu’il est difficile de traduire en algorithme.

A. G. : Il ne faut pas craindre l'outil, mais les changements organisationnels qui apparaîtront. L'IA pourrait permettre de trouver une jurisprudence très rapidement ou de faciliter de la veille juridique. Mais il ne faudrait pas en conclure que cela permettrait le désengorgement des tribunaux : l’IA ne sera pas un remède magique à nos maux.

Comment garder une main humaine dessus ?

S. P. : La solution est une nouvelle fois chez les juristes et le législateur. Les premiers doivent alerter des dérives et le second édicter des règles pour protéger les citoyens d’une influence grandissante de l’IA dans le droit, les jugements rendus, les décisions prises de manière automatique par des lignes de codes. Les informaticiens ont un langage (hermétique) qu’ils traduisent en règle de droit. Les juristes ont aussi cette forme de langage parfois fermé. Mais on constate qu’après un effort, on peut comprendre ce langage et qu’il s’ouvre (voir la nouvelle rédaction des décisions de la Cour de cassation). Pour les informaticiens, c’est moins évident.

A. G. : Comme le dit Stéphane, pour garder la main, il faut un échange entre les acteurs et surveiller les changements que cela entraîne dans les décisions de justice. D’ailleurs, les sociologues font cela très bien, il ne faudrait pas se priver de leurs compétences pour comprendre les transformations (en cours et à venir) de notre justice.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

A. G. : Mon année de césure en Chine.

S. P. : Les cours de la première année à la maîtrise avec le professeur Jacques Normand et la fulgurance de sa pensée juridique. 

Mais aussi la richesse des échanges entre les professeurs et les étudiants à la faculté de droit de Reims à cette époque : Isabelle Parléani, Jacques Moury, Pascal De Vareilles Sommières, Hervé Le Nabasque, Jean-Christophe Galloux qui étaient accessibles.

Pour le reste, ce qui se passe à Reims, reste à Reims…

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?

A. G. : Laureline dans « Valérian et Laureline ».

S. P. : Michel Strogoff. Suivi du héros de Ian Fleming parce qu’il expérimente toujours de nouvelles technologies, avec plus ou moins de bonheur.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

A. G. : L’article 30 destiné à ceux qui font semblant ne pas comprendre les 29 premiers.

S. P. : À l’heure du développement des données, des réseaux sociaux, du RGPD, il semble utile de relire l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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