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Jacques-Henri Robert
1808-1810 : deux dates, deux codes : le Code pénal et le Code d’instruction criminelle (l’ancêtre du Code de procédure pénale), entrés l’un et l’autre en vigueur le 1er janvier 1811. C’était il y a deux cents ans et cet anniversaire est l’occasion pour l’École doctorale de droit privé dirigée par Bernard Teyssié d’initier un ouvrage au sein de l’Université Panthéon-Assas (Paris II).
Dans le contexte actuel de la réforme pénale (v. Rapport Léger sur la réforme de la procédure pénale et l’avant-projet gouvernemental, la loi pénitentiaire, les lois sur la rétention de sûreté, sur la récidive, etc.), le Livre du bicentenaire du Code pénal et du Code d’instruction criminelle se devait de relier le passé au futur. C’est Jacques- Henri Robert, professeur émérite, qui est ici, pour nous, le passeur de ce cours d’eau.
Reste-t-il encore beaucoup de dispositions d’origine dans les actuels Code pénal et Code de procédure pénale ?
Dans le Code pénal, oui, l’énoncé des principes du Livre Ier, les définitions essentielles de la complicité et de la tentative, et, dans les autres livres l’incrimination des principales incriminations (vol, escroquerie et meurtre). Dans le Code de procédure pénale, l’essentiel de la procédure de jugement, de l’appel et de la cassation n’a pas été affecté par les nombreuses réformes.
Sont-elles appliquées ? Et avec quel effet ?
Elles ne vieillissent pas.
Quel principe fondamental de la Révolution de 1789 inspire les deux codes du Consulat et de l’Empire ?
L’utilitariste de Beccaria et de Bentham (v. les notices sur ces deux auteurs, in O. Cayla et J.-L. Halpérin (dir.), Dictionnaire des grandes œuvres juridiques).
Quelle autre tradition juridique aurait pu choisir le législateur à l’époque ?
Aucune : l’inspiration religieuse de l’Ancien droit était incompatible avec les Lumières, et le positivisme n’était pas encore né.
Qu’est-ce qui menace aujourd’hui le couple « culpabilité/peine » (à ce sujet, v. M. Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux) ? Ou celui d’« incrimination/sanction » (v. J.-H. Robert, « Le code des délits et des peines du 3 brumaire an IV et sa marque dans le droit pénal actuel », in Le livre du bicentenaire, préc.) ? Est-ce la pénalisation des réponses juridiques, la montée en puissance de la criminologie, ou l’insécurité juridique ?
Le couple dont il s’agit est menacé par les nouvelles mesures de sûreté, inspirées par la Défense sociale des positivistes, et qui sont la rétention de sûreté, la surveillance de sûreté et le traitement des malades mentaux délinquants. La pénalisation des réponses légales est plus bavarde qu’effective.
Plus qu’une célébration, ce livre est une opinio doctorum sur la réforme en cours, à l’instar de l’ouvrage dirigé par Valérie Malabat, Bertrand de Lamy et Muriel Giacopelli (La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio Doctorum). Quel est l’impact de la doctrine dans l’élaboration des lois et règlements ?
Très inégal. Plus la matière est technique, par exemple la contrefaçon ou les délits informatiques, plus la doctrine est écoutée, parce qu’elle a une maîtrise technique de ces sujets indifférents à l’opinion publique. Quand, au contraire, un sujet est sur la place publique, comme la délinquance sexuelle, la doctrine est au mieux un greffier chargé de consigner et mettre en forme juridique ce qui a été décidé par les politiques.
Quelle mesure phare de la réforme annoncée par le gouvernement conserveriez-vous ?
La réforme des cours d’assises.
Quel est le plus petit dénominateur commun des 37 auteurs du Livre du bicentenaire ?
L’expression « le plus petit dénominateur commun » est un cliché mathématiquement peu fiable, puisqu’un tel dénominateur est toujours égal à 1, le plus petit nombre entier, quels que soient les nombres considérés ; le parallèle conduit à conclure que « le plus petit dénominateur commun » des auteurs dont il s’agit est qu’ils appartiennent tous à l’espèce humaine. Si on veut dire, le caractère commun significatif, il y en a au moins deux : ils appartiennent ou ont appartenu à Paris II et surtout ils montrent une imagination très fertile car, dans leur immense majorité, ils n’ont pas le droit pénal pour spécialité, ce qui ne les a pas empêchés d’y découvrir l’aliment de leur inspiration.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
■ Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Le meilleur survint dans une bibliothèque, alors que je rédigeais mon mémoire de DEA (ancien Master 2, ancien DES) sur la copropriété : j’ai découvert que je pouvais, sans le secours d’aucun cours ni d’aucun livre, et en me reportant seulement à la lettre et aux travaux préparatoires d’une loi, exprimer moi-même une règle de droit que je supposais naïvement encore inconnue. Mais au moins ai-je alors découvert que la joie de la création était donnée même aux juristes.
■ Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
L’abbé Jérôme Coignard, dans La rôtisserie de la reine Pédauque (Anatole France), parce que c’est un pédagogue et qu’il a conscience de ses limites.
■ Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?
La liberté d’entreprendre, parce que j’aime consoler les malheureux.
Références
■ Défense sociale
« Courant de pensée né à la fin du XIXe siècle qui, en matière pénale, fonde le droit de punir sur l’idée d’une nécessaire protection de la collectivité contre les individus qui présentent un état dangereux. Si, initialement, cette école se désintéressait quelque peu de l’auteur de l’infraction, les mouvements contemporains de défense sociale (défense sociale nouvelle notamment) se caractérisent au contraire par un esprit nettement individualiste, puisque la protection de la société passe nécessairement par la resocialisation des délinquants en appliquant à chacun, compte tenu de sa personnalité, la sanction qui paraîtra la meilleure, peine ou mesure de sûreté. »
■ École positiviste
« École de pensée développée au XIXe siècle par certains criminalistes italiens qui, s’appuyant sur le postulat d’un déterminisme absolu, autrement dit sur la négation du libre arbitre et de la responsabilité morale, proposaient une construction entièrement nouvelle du droit pénal, la lutte contre la criminalité étant assurée par des mesures de défense (mesures de sûreté) choisies non en fonction de la gravité de l’infraction mais de l’état dangereux du délinquant, en fonction de sa personnalité concrète révélée par les recherches criminologiques. »
■ École classique
« Courant de pensée né au XVIIIe siècle qui, en matière pénale, fonde le droit de punir sur l’idée de contrat social et assigne ainsi à la peine un but strictement utilitaire. Cette école, qui met en œuvre une solution répressive de la criminalité, repose sur un double postulat : le libre arbitre de l’homme, donc sa responsabilité, et l’efficacité de la peine pour lutter contre le phénomène criminel. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Université Panthéon-Assas (Paris II), Code pénal et Code d'instruction criminelle, Livre du Bicentenaire, coll. « Hors collection Dalloz », avr. 2010, 842 pages.
■ O. Cayla et J.-L. Halpérin (dir.), Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, coll. « Petits dictionnaires Dalloz », Dalloz, 2010, p. 39 et 46.
■ M. Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, éd. du Seuil, coll. « La couleur des idées », 2010.
■ Valérie Malabat, Bertrand de Lamy et Muriel Giacopelli, La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio Doctorum, Dalloz, coll. « Thèmes & commentaires », 2009, v. focus sur V. Malabat.
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