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Joyeux anniversaire le Recueil Dalloz !
Le D. a deux cents ans ! Cela se fête dignement chaque semaine dans ses colonnes, bien sûr ; mais, ô surprise de fin d’année, Les Grands Articles du Recueil Dalloz paraît qui réunit 100 chroniques écrites par les grands auteurs de la doctrine juridique française de ce siècle et du siècle dernier. Le mieux à même de nous parler de ce livre, c’est Alain Lienhard, le rédacteur en chef de l’irremplaçable hebdomadaire.
Quel est le contexte de la création du Recueil Dalloz il y a deux cents ans ?
Quand, à la fin de l’année 1824, paraît son premier volume, le Recueil Dalloz ne tombe pas tout à fait du ciel. Deuxième panneau du magistral diptyque conçu par Désiré Dalloz et son jeune frère, Armand, le « Recueil de jurisprudence générale du Royaume en matière civile, commerciale et criminelle » -puisque tel est alors son vrai nom-, communément appelé, dès cette époque, le « Recueil périodique », vient naturellement compléter le « Répertoire alphabétique », déjà à l’œuvre. Ainsi, à la compilation et à l’analyse des premières années de jurisprudence du xixe siècle, dans le « Répertoire alphabétique », ancêtre de l’Encyclopédie Dalloz, allait répondre, dans le « Recueil périodique », la publication régulière de la nouvelle jurisprudence commentée. Approche visionnaire de l’édition juridique, articulant finement, au moyen d’une nomenclature et de renvois systématiques, doctrine et jurisprudence, synthèse et analyse, stock et flux. Les fondations étaient posées ; elles restent solides aujourd’hui, comme « préformatées » pour les besoins de l’intelligence artificielle (IA). Bel exemple de « modernité durable » !
Quant au contexte historique de la fondation du Recueil, en cette féconde phase de la seconde Restauration, mieux vaut, pour qui voudrait l’appréhender, lire deux chroniques, aussi savantes que passionnantes, publiées dans le numéro du Bicentenaire (daté du 19 septembre), sous la plume de Pierre-Nicolas Barénot (« 200 ans de Recueil ») et de Thibault de Ravel d’Esclapon (« Désiré Dalloz et le Recueil »).
Comment avez-vous sélectionné les chroniques publiées pour ce bicentenaire ?
C’est à Nicolas Dissaux, maître d’œuvre des Grands articles du Recueil Dalloz, qu’il eût fallu poser la question ! Mais il y a déjà parfaitement répondu dans sa préface, à laquelle j’invite donc à se reporter. Vous le verrez, la tâche, forcément subjective, n’est pas évidente, tant le corpus est riche. Alors, une fois retenues les incontournables grandes plumes, les Josserand, Savatier et autres, les articles-cultes (« Le Huron au Palais Royal », « Le silence et la gloire », etc.), il a fallu combiner des critères stylistiques, historiques et scientifiques, pour parvenir, ménageant un subtil équilibre, à la sélection finale des 100 chroniques représentatives de ces 200 années.
Quel tableau de la doctrine du xxe siècle transparaît dans cet ouvrage anniversaire ?
En feuilletant les pages de ce gros ouvrage, classé par ordre chronologique, le lecteur est autant frappé par la diversité des thèmes abordés, leur modernité, que par la prescience des auteurs : en avance sur la jurisprudence et le législateur de plusieurs décennies parfois, la doctrine a évoqué, si ce n’est théorisé, des notions désormais au centre du droit positif (par ex. l’intérêt de l’enfant), anticipé des mouvements dont l’intensité allait ébranler les catégories juridiques classiques (par ex. la condition de l’animal, l’appréhension du « vivant » par le droit) ou les méthodes de raisonnements juridiques et judiciaires (le potentiel dévastateur de la logique des droits de l’homme en droit interne).
Quel héritage retenir pour les auteurs de la revue aujourd’hui ?
Pour les juristes, universitaires et praticiens, le Recueil est souvent regardé comme une sorte de « bien commun ». L’héritage est donc, à la fois, naturel et insensible. Les auteurs d’aujourd’hui (comme ceux de demain assurément) ne sont pas fondamentalement différents de ceux d’hier, qui sont à la fête à l’occasion de ce Bicentenaire (l’évolution du contenu éditorial de la revue a été sondée et décryptée par Pascale Deumier dans son étude du numéro spécial précité : « Le Recueil Dalloz aujourd’hui »). Ils continuent à destiner, le plus souvent, le meilleur de leur réflexion juridique au Recueil (entre autres grandes revues de qualité) et sont fiers de s’inscrire dans le sillage de leurs glorieux aînés. Pour cette raison, sans doute, la qualité scientifique des articles demeure excellente, et, avec le recul, nos successeurs s’apercevront probablement, à leur tour, dans quelques années, que certaines contributions du premier quart du xxie siècle procédaient d’une lecture avant-gardiste et prémonitoire du futur droit positif, que l’on n’avait peut-être pas perçue comme telle lors de leur parution.
Et comment innover en prévision de la future fête des 300 ans ?
Le Recueil, comme on l’a vu, a témoigné d’une grande stabilité structurelle depuis sa création en 1824. Sa forme s’est, bien sûr, adaptée à l’édition de son temps, ouvrant ses colonnes à d’autres approches (comme l’explique Bénédicte Fauvarque-Cosson, dans son entretien, toujours dans le même numéro du 19 septembre : « Retour sur la rubrique “Entretiens” du Recueil »), mais l’innovation de surface n’est pas notre obsession. L’innovation, à nos yeux, réside surtout dans la diffusion de la meilleure doctrine par tous les canaux : le Recueil a été précurseur dans l’édition juridique électronique (avec un CD-Rom dès 1990) et, désormais, à côté de l’emblématique revue hebdomadaire, dans les juridictions comme dans les universités, c’est surtout en version numérique qu’il est consulté. Tant mieux car cela accroît et diversifie son lectorat ! Mais, quels que soient le contexte et les défis à venir, le Recueil restera le Recueil, et les Dalloziens seront au rendez-vous en 2124.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Les séminaires de DEA de droit privé à la Faculté de droit de Strasbourg (à laquelle je dois tant).
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Le Narrateur de La Recherche.
Mes trois héroïnes en A, trois femmes rebelles éprises de liberté : Antigone, Agathe (la sœur d’Ulrich, L’homme sans qualités), Aomamé (dans 1Q84).
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’opinion.
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