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[ 26 octobre 2017 ] Imprimer

Juge des enfants

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

Les juges des enfants sont des magistrats du siège qui ont en charge les mineurs français et étrangers sur le territoire français, qu’ils soient délinquants, en danger ou les deux. La spécificité de leur mission au sein du TGI est qu’ils gèrent ces deux aspects et suivent les dossiers parfois de longues années. Explications avec Florence D’Andrea, juge des enfants au tribunal de grande instance (TGI ) de Bordeaux.

Pouvez-vous nous détailler votre parcours ?

J’ai un parcours un peu atypique au sein de la magistrature car j’ai d’abord été commissaire de police. J’ai préparé les deux concours en 1982. A l'époque la préparation était commune au sein de l'IEJ du Panthéon. C’est celui de commissaire de police que j’ai passé et obtenu en premier. Et je n’ai pas passé celui de la magistrature. Être commissaire de police pour une femme était particulièrement attractif, c’était un vrai challenge. Nous étions cinq dans ma promotion sur une centaine de commissaires. C’était un beau défi que j’ai voulu relever. Au fil des années, l’envie de devenir magistrat me trottait toujours dans la tête, ce sont des fonctions qui n’ont cessé de m’intéresser, de me motiver. Je l’ai concrétisé par une intégration directe dans la magistrature en 1999.

J’ai commencé en 2000, au tribunal pour enfants de Meaux où j’ai dû m’adapter au poste de manière accélérée parce que la formation dont bénéficient les recrutés latéraux est très courte. Ensuite je suis allée à Senlis dans l’Oise, un petit tribunal à taille humaine, très intéressant. On avait aussi le secteur de Creil, de Nogent-sur-Oise où la délinquance des mineurs était à l’époque assez forte et rude. Ensuite j’ai été affectée à Beauvais, cette fois en qualité de magistrat coordonnateur du tribunal pour enfants, au sein d'une juridiction un peu plus grande, toujours dans l’Oise, mais avec une sociologie différente, puis de nouveau à Meaux, juridiction très attachante de la région parisienne. Je suis affectée à Bordeaux depuis janvier 2017, une juridiction bien plus importante par la taille. Nous sommes huit juges des enfants. C’est un autre fonctionnement, un autre contexte. Et je suis satisfaite de connaître une juridiction de ce type.

Comment fonctionne cette juridiction de grande taille à Bordeaux ?

Nous sommes beaucoup plus spécialisés. Et du fait de notre surcharge de dossiers en assistance éducative, nous participons actuellement moins au service général. Nous ne rencontrons ainsi pas les autres collègues, les autres services. L'avantage, c'est qu'à Bordeaux, les juges des enfants et leurs greffiers sont dans le même couloir que le Parquet des mineurs et les éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nos partenaires quotidiens. Cela facilite grandement la communication. Dans le cadre de l’assistance éducative, le Département de la Gironde a la particularité d’avoir été plutôt bien doté ce qui a favorisé de multiples dispositifs innovants. Une architecture éducative conséquente à laquelle je n’étais pas forcément habituée dans de plus petits départements comme l’Oise ou même la Seine et Marne.

Le TGI de Bordeaux comporte également un pôle d’avocats spécialisés dans la justice des mineurs très important. Ils sont extrêmement présents aux audiences, assistant les parents, les enfants ce qui n’est pas représentatif des autres tribunaux pour enfants en France. Dans les autres juridictions que j’ai connues, les avocats n’étaient pas spécialisés et la difficulté était que certains n’arrivaient pas bien à se positionner entre les parents, le ou les mineurs, les services et le juge des enfants. C’est une justice bien particulière pour laquelle il s'agit avant tout d’assurer la protection de l’enfant et quelque fois cela ne concorde pas avec la position des parents.

Comment se déroulent vos semaines ? Quelles sont vos missions au quotidien ?

Dans la semaine, c'est l’assistance éducative qui prend le pas. Des audiences sont programmées avec des placements ou des mesures éducatives (hors placement) de soutien éducatif aux familles, qui arrivent à échéance et il faut savoir si on les renouvelle et si oui avec quelles modalités pour les droits de visite des parents par exemple. Cela occupe au minimum toute la matinée. Nous devons ensuite motiver les décisions que le greffier envoie aux parties. Puis, il y a un important courrier quotidien à traiter.

Toute l’année, avant même l'échéance, nous devons, souvent dans l'urgence, prendre des mesures provisoires, à la demande des parents ou à la suite de notes d’incidents adressées par les services, ou encore avancer des audiences en raison d'une dégradation de la situation des enfants etc. D'une manière générale, nous ordonnons surtout des mesures de milieu ouvert, de suivi éducatif et de soutien à la parentalité pour éviter le placement. Il y a derrière cela, à chaque fois, une situation humaine spécifique inquiétante ou porteuse de danger ce qui constitue une pression forte. Il nous faut mettre fin à toute maltraitance, consolider le cadre éducatif apporté par les parents défaillants qui souvent n’ont pas eux-mêmes connu de modèle familial opérant. Nous essayons tous, avec les travailleurs sociaux, d’éviter le drame.

Dans le cadre pénal, le juge des enfants est, contrairement à ce qui se passe pour les majeurs, à la fois juge d'instruction, de jugement et d'application des peines. Il faut donc étudier les dossiers pour les audiences et présider, avec nos deux assesseurs le tribunal pour enfants. Le juge des enfants peut également juger seul des mineurs primo-délinquants ou qui n'ont commis que des faits minimes et il peut ne prononcer dans ce cas que des mesures éducatives (admonestation, suivis éducatifs, placements, réparations...).

Quelle est la répartition entre l’éducatif et le répressif au tribunal pour enfants de Bordeaux ?

A Bordeaux on doit être à 65% d’assistance éducative, 35% de délinquance des mineurs. A Senlis c’était 60%-40%. C’est variable selon les endroits et selon les dispositifs de prévention de chaque département. En tous les cas, le juge des enfants passe d’une compétence à l’autre dans une même journée. C’est ce qui fait aussi l’intérêt de cette fonction très responsabilisante. Elle est lourde humainement parlant, en termes de charge de travail et de portée de la décision mais vous bénéficiez d’une autonomie assez forte. Un dossier en assistance éducative peut durer plusieurs années et même concerner les enfants des personnes que vous avez déjà suivies lorsqu’elles étaient mineures. Nous avons parfois des gros dossiers de plusieurs tomes. Il y a une vraie histoire entre les enfants et un cabinet si le juge reste un certain temps. Ils se connaissent mutuellement. Cela ne doit pas empêcher le juge de garder son positionnement judiciaire. C’est ce qui est difficile parfois mais c’est la règle absolue. Les parties n’attendent pas du juge qu’il soit un éducateur ou un psychologue de plus mais un juge qui dit la loi, ordonne des mesures pour les soutenir en premier lieu. Toutefois un placement peut être vécu par les familles comme une injustice. Il faut être extrêmement bien informé, éclairé, humble pour prendre la bonne décision, en tout cas la moins mauvaise. Nous pensons au besoin de protection de l’enfant, nous essayons d’évaluer son futur, voir si nous pouvons travailler avec les parents, s’ils présentent des capacités d’évolution dans leur fonctionnement parental. Nous faisons ce travail tous les jours, aidés par nos partenaires institutionnels (l'Aide Sociale à l'Enfance du département) et associatifs du quotidien.

Comment est traitée la question des mineurs isolés étrangers à Bordeaux ?

 

C’est le magistrat coordinateur qui est en charge de tous les cas de mineurs isolés étrangers à Bordeaux. Ce sont des situations particulières car par définition les parents ne sont pas là, et aucun travail éducatif ne peut donc être mené avec la famille. Ces parents les ont même souvent envoyés en payant une somme importante à des passeurs de manière à leur offrir une meilleure vie, leur garantir une éducation, une formation professionnelle. Toutefois les dispositifs départementaux ne sont pas prêts à un tel afflux. Les mineurs isolés étrangers sont pris en charge dans un premier temps par les juges des enfants dans le cadre d’un placement provisoire, considérant que leur isolement familial et géographique les place a priori en danger. Puis, dans le meilleur des cas, une tutelle d’État est ouverte compte tenu de l’absence de tout détenteur de l’autorité parentale sur le territoire. Mais il y a toutes les questions de vérification de la minorité voire même de leur isolement sur le territoire qui se posent. C’est très compliqué à démêler et cela donne lieu régulièrement à des polémiques. Nous sommes plutôt aujourd’hui sur une appréciation globale et l'examen de différents critères pour établir ou non la minorité. Il y a des modes d’obtention évidents de papiers légalement délivrés mais ne correspondant pas à la réalité de l'âge des intéressés. Nous nous servons beaucoup de l’observation, de la maturité relevée. Chaque département a ses propres critères de règlement de la situation pouvant aller jusqu’à dénier, évacuer le problème en refusant toute aide. Certains, par idéologie, militantisme, considèrent que l’on doit accueillir et prendre en charge tous ces « mineurs » même s’ils sont manifestement majeurs. J’essayais, lorsque j'étais en charge de ces questions, de faire la part des choses, de ne pas tomber dans les excès, d’être simplement juste et conforme aux textes. C’est un problème très épineux auquel la justice des mineurs n’était pas prête, pas plus que les départements. C’est coûteux, compliqué. Ces mineurs étrangers sont placés dans les mêmes lieux, la plupart du temps, que les mineurs issus de nos familles en grande difficulté sur le plan éducatif, et ça ne convient pas forcément, ni aux uns, ni aux autres. Leur histoire, leur objectif ne sont pas les mêmes. Ces jeunes étrangers isolés sont souvent bien éduqués, ne posent généralement aucun problème de discipline. Ils ont des bases éducatives solides, ils veulent juste aller à l’école, avoir un travail, s’insérer complètement. La logique n’est pas la même et ils entrent pourtant dans le même dispositif. Ils devraient bénéficier plutôt d’un dispositif d'accueil et de prise en charge tout à fait spécifique.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?

Le pire, c’était le cours de finances publiques, le samedi après-midi, de 14h à 17h, avec un professeur un peu soporifique.

Le meilleur, c’est quand j’ai été reçue au concours de Commissaire de police. Nous étions très peu de femmes retenues et je me souviens que mon père a dit le soir même : « finalement, nous ne sommes que cinq pères ce soir en France à pouvoir dire que notre fille a eu le concours de commissaire ! ». Il était extrêmement fier.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

J’ai été vraiment marquée par la série 24 heures chrono avec « Jack Bauer » pour héros. On regardait cela en famille. Il représente le mythe moderne de l’homme d’action sur-performant, au-delà du réel et même du possible, défendant l'intérêt général et la sécurité mondiale. C’est une série extrêmement bien faîte avec un suspens bien entretenu. Un très bon souvenir familial.

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Je dirais la liberté d’expression. C’est la base de tout et qui peut induire tous les autres droits de l’homme. Il n’est pas aussi simple à définir et à faire vivre que cela. Il a fallu tellement se battre pour avoir ce droit à l’expression, même s'il en est fait parfois un peu n’importe quoi. Mais il est absolument fondamental.

Carte d'identité du juge des enfants

La mission pénale du juge des enfants est définie par l’ordonnance du 2 février 1945 qui pose comme principe la primauté de l’éducatif sur le répressif. En réalité, il conjugue sans cesse ces deux leviers afin d'éviter toute récidive et de protéger les mineurs délinquants de leurs quartiers, de leurs fréquentations, voire de leur famille défaillante et parfois d'eux-mêmes. Le juge est assisté, pour sa prise de décisions ainsi que pour la mise en oeuvre de celles-ci, par les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) ainsi que par les associations habilitées.

■ Les chiffres

- 155 tribunaux pour enfants en France

- 103 885 mineurs en danger dont le juge des enfants a été saisi

- 61 069 mineurs délinquants dont le juge des enfants a été saisi

- 15 660 familles faisant l'objet d'une mesure d'aide judiciaire

■ La formation

La voie d’accès privilégiée est d’intégrer l’École Nationale de la magistrature (ENM) à Bordeaux. Le concours ouvert aux étudiants est particulièrement sélectif, même si le nombre de places offert est en nette hausse. Il y a trois types de concours au total, sans compter les concours complémentaires et les recrutements latéraux.

■ Les domaines d'intervention

Le juge des enfants est compétent au civil comme au pénal.

■ Le salaire

La carrière commence à 2 600€ nets par mois avec les primes et se termine aux alentours de 7-8000€ selon la fonction occupée.

■ Les qualités requises

Éthique, rigueur, probité, humilité, capacité d’écoute, humanité, impartialité, adaptabilité, sens des responsabilités, ouverture, pédagogie.

■ Les règles professionnelles

Le magistrat est en particulier tenu à l'indépendance, l'impartialité, l'intégrité, la légalité, l'attention à autrui, la discrétion et la réserve. Ils ne peuvent exercer la plupart des mandats politiques et ne peuvent critiquer la forme républicaine du Gouvernement ni ne disposent du droit de grève. 

En 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un recueil des obligations déontologiques des magistrats à l'attention des citoyens, consultable sur son site Internet. 

■ Le site internet

Ministère de la justice : juge des enfants

 

Auteur :A. C.


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