Actualité > Focus sur...
Focus sur...
Karine Parrot
Professeur de droit privé à l’Université de Valenciennes (v. sa thèse de doctorat sur L'interprétation des conventions de droit international privé, Dalloz, coll. « Bibliothèque des thèses », 2006), Karine Parrot
est également membre de l’Observatoire juridique de la vie politique qui s'est donné pour mission de nourrir le débat public par des analyses juridiques des questions politiques et institutionnelles. Elle
a bien voulu répondre à nos questions sur la burqa et son éventuelle interdiction.
Quel droit utilisent les femmes qui revêtent un voile intégral ?
Je dirais volontiers que ces femmes utilisent un droit issu du principe de légalité des délits et des peines qui autorise quiconque à faire tout ce qui n'est pas interdit par la loi. Mais l'on peut aussi considérer qu'elles font usage de leur droit à la liberté religieuse — qui implique le droit de pratiquer librement sa religion — et de leur droit à la liberté d'opinion, qui implique pareillement celui de manifester librement cette opinion, tous hérités de 1789.
Quel fondement juridique justifierait une interdiction du port de ce voile ?
La laïcité est un devoir qui s'impose à l'État et non aux personnes privées, sans quoi la liberté religieuse serait une farce. La dignité de la personne humaine ne peut davantage fonder l'interdiction sauf à présumer que les intéressées portent la burqa sous la contrainte, ce qui revient à porter un regard sexiste sur ces femmes. En réalité, seule la protection de l'ordre public et de la sécurité publique pourrait éventuellement fonder l'interdiction. Mais, d'une part, il faudrait alors condamner sans distinction toutes pratiques empêchant l'État d'identifier immédiatement une personne dans l'espace public et, d'autre part, le projet politique sous-jacent me semble pour le moins inquiétant.
Une loi d’interdiction créant une infraction pénale est-elle souhaitable selon vous ?
Outre l'utilisation d'un fondement juridique fallacieux — car ça n'est pas l'identification de ces femmes qui est en cause — une telle loi serait parfaitement contre-productive. D'abord, la sanction pèserait sur ces femmes dont on veut nous convaincre qu'elles sont des victimes. Ensuite, même si le dispositif répressif ne vise pas spécifiquement la burqa, le texte renforcerait chez les musulmans le sentiment d'être stigmatisés, lequel sentiment est plutôt propice au développement de pratiques fondamentalistes.
Quelles limitations spatiales et temporelles à cette interdiction sont-elles envisageables ?
Comme l'a parfaitement expliqué le professeur Denys de Béchillon devant la Mission d’information de l'Assemblée nationale sur la pratique du port du voile intégral, seule l'interdiction du port de la burqa sur la voie publique entendue au sens large présente un enjeu pratique. Les autres cas où la nécessité de l'interdiction s'est fait sentir sont déjà réglés par le droit français (les fonctionnaires en exercice, les écoles, lieux de travail, locaux privés sous vidéo surveillance, hôpitaux...).
Faudrait-il, selon vous, décrire la burqa dans le dispositif juridique pour permettre une bonne identification et éviter tous risques de confusion avec le foulard islamique (ses matières, ses mesures, ses couleurs) ?
Il est impensable que la loi, si elle voit le jour, interdise spécifiquement le port de la burqa. Une telle loi serait discriminatoire à l'endroit des pratiquantes adeptes du voile intégral. Certainement faut-il rappeler ici que le port de la burqa ne concerne que quelques centaines de femmes ! Si l'émancipation des femmes intéresse les pouvoirs publics, les vrais chantiers sont légions. Quid, par exemple, de structures publiques permettant à toutes les femmes qui travaillent de faire garder leurs jeunes enfants ?
Quels sont les enjeux d’une loi interdisant le port de la burqa par rapport à ceux de la loi de 2004 interdisant le port de signes ou tenues par lesquels les élèves des établissements scolaires manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ?
D'après moi, les deux textes sont d'inspiration identique. Tout le monde s'en souvient, la loi de 2004 suscitée par une affaire médiatisée à outrance a été adoptée contre le port du foulard islamique. Seulement, les personnes concernées par la loi de 2004 sont des enfants et, surtout, la loi vise le cadre très spécial du service public de l'enseignement. Aujourd'hui, est en cause l'interdiction générale sur l'ensemble du territoire d'une pratique religieuse en particulier. Sincèrement, je ne vois pas comment un État démocratique pourrait justifier une atteinte aussi drastique à des droits aussi fondamentaux que la liberté d'opinion et la liberté religieuse.
Que pensez-vous de la proposition de la Mission d’information de l’Assemblée nationale d’adopter une résolution prise sur le fondement du nouvel article 34-1 de la Constitution déclarant le voile intégral contraire aux valeurs de la République ?
Comment justifier ce traitement spécial réservé à une pratique religieuse aussi marginale ? Pourquoi ne pas faire une résolution similaire sur la pratique consistant pour des femmes à s'enfermer dans un monastère sans contact avec le monde extérieur ou sur le fait pour certaines femmes hassidiques de se raser le crâne ? Pourquoi garder le silence sur les violations quotidiennes par l'Administration du droit de millions de femmes mariées à conserver leur nom de « jeunes filles » ?
Ne faut-il pas craindre l’application d’une telle résolution par des citoyens eux-mêmes ?
Il est sûr que ce type de texte est de nature à créer des tensions inutiles et selon moi, encore une fois, à accréditer chez les musulmans le sentiment qu'ils ne sont pas des Français comme les autres. Pour ce qui est de l'application du texte par les citoyens, cela relève de la problématique classique de la voie de fait et du droit pénal.
Existe-t-il des lois d’interdiction du port de certains vêtements dans d’autres pays européens ou au niveau international ?
On voit mal les États s'entendre à l'échelle internationale sur ce type de règle. Au plan national, à ma connaissance aucun pays européen n'interdit de manière générale et absolue le port de la burqa. La seule interdiction de ce genre est me semble-t-il celle qui vise le port de vêtements qui imposent à autrui la vue des parties génitales.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Pendant les grèves de 1995, je faisais du stop sur les quais de la Seine pour aller au Panthéon. C'était assez amusant.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Ziggy Stardust. Notamment parce que l'album de David Bowie « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars » est extraordinaire.
Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre dans l'absolu. Pour ce qui concerne la France, aujourd'hui, c'est le droit à la liberté d'opinion qui mériterait selon moi un attachement particulier parce qu'il me semble menacé de manière incidente et inédite. Mais il faudrait ici commencer un nouvel entretien car le port de la burqa n'est pas seul en cause !
Références
Article 34-1 de la Constitution
« Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique.
Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elles contiennent des injonctions à son égard. »
Autres Focus sur...
-
[ 19 décembre 2024 ]
Les petits arrêts insolites
-
[ 10 décembre 2024 ]
Sur le rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale
-
[ 28 novembre 2024 ]
Joyeux anniversaire le Recueil Dalloz !
-
[ 21 novembre 2024 ]
À propos de l’accès à la profession d’avocat
-
[ 14 novembre 2024 ]
L’incrimination de viol
- >> Tous les Focus sur ...