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[ 8 mars 2018 ] Imprimer

La blockchain du droit

La justice du XXIe siècle sera dématérialisée ou ne sera pas ! Les nouvelles technologies induisent-elles une révolution du monde du droit ? Un simple progrès ? Bruno Massot, directeur juridique d’IBM France, a bien voulu répondre à nos interrogations.

Qu’est-ce que la blockchain ?

C’est une technologie qui a été initialement développée pour tracer et sécuriser les échanges de crypto-monnaies, dont la plus connue est le bitcoin. Ces échanges avaient besoin d’être enregistrés dans un système sécurisé, sans tiers de confiance (c’est-à-dire sans personne pour jouer le rôle d’une banque ou d’une banque centrale). Mais ce système d’enregistrement a de multiples usages totalement indépendants des crypto-monnaies et c’est ce qui en fait l’attrait considérable.

Il faut imaginer la blockchain comme une sorte de grand livre comptable, dont le contenu est dupliqué simultanément sur plusieurs serveurs, appelés des nœuds, et qui constituent un réseau accessible à plusieurs participants, sans l’intervention d’un intermédiaire ou d’un tiers de confiance. La blockchain permet ainsi de conserver de manière immuable la trace de toute transaction, qu’elle soit financière ou non, et plus généralement de tout flux, que ce soit de données, de biens (corporels ou incorporels) ou dinformation. 

Chacun de ces évènements est identifié, compilés avec d’autres évènements dans un bloc de données, lui-même authentifié par une empreinte numérique (hash). Ce bloc est enchaîné de manière définitive, par un procédé de cryptographie, au bloc qui traçait les évènements précédents, constituant ainsi une chaîne de blocs qui retrace la séquence des événements successifs. 

Comment peut-on expliquer aux juristes l’intérêt de la blockchain ?

Son intérêt premier, c’est de permettre de garder une trace immuable de certains évènements, et donc potentiellement de servir d’élément de preuve.

Son deuxième intérêt, c’est de permettre un accès simultané par plusieurs intervenants, qui auront la même vue de ce qui y figure, en temps réel.

Son troisième intérêt est de permettre, lorsque c’est nécessaire, de différencier les droits d’accès des différents intervenants, en fonction des besoins (confidentialité, nécessité d’empêcher que des acteurs économiques coordonnent de manière illicite leurs actions en accédant aux informations de leurs concurrents,…). C’est en particulier ce que permettent les blockchains dites « privées », qui supposent que l’utilisateur s’identifie et dans lesquelles des accès différenciés sont gérés par des mécanismes bien mal nommés que sont des « smart contracts ».

Quelles sont les applications de la blockchain pour les professions juridiques (avocats, notaires, juristes d’entreprises, huissiers) ?

Dans certains cas, la blockchain peut être perçue comme créant un risque de substitution (ou de désintermédiation), puisqu’elle dispense du besoin d’un tiers de confiance. Mais beaucoup de professionnels du droit sont en train de prendre conscience qu’ils ont intérêt à se l’approprier, pour améliorer la fluidité des échanges d’information et se concentrer sur la réelle valeur de leurs conseils, ou plus généralement sur la valeur des informations qu’ils détiennent. Conseil et apporteur de valeur, plutôt que coffre-fort… C’est le cas des notaires, des huissiers par exemple.

Bon nombre de professions juridiques travaillent ainsi actuellement sur ces sujets, afin de gérer l’accès aux données entre plusieurs acteurs et de faciliter la gestion documentaire. C’est d’ailleurs dans ce type d’applications que certains pays, qui partaient de zéro, ont choisi d’adopter cette technologie pour leur état civil, la certification des diplômes ou encore leur cadastre.

La loi française est de ce point de vue précurseure au niveau mondial, puisque deux ordonnances ont été rendues pour donner un cadre juridique à certains usages de la blockchain. En effet, après l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse (minibons) , une nouvelle ordonnance (n° 2017-1674 du 8 déc. 2017, prise sur habilitation de la loi «Sapin 2 » du 9 déc. 2016) autorise l’inscription et le transfert de certains titres financiers via un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), terme un peu barbare choisi par le législateur français pour couvrir notamment les systèmes reposant sur la blockchain. L'utilisation de la blockchain, pour consigner ces mouvements, devient ainsi équivalente à une inscription en compte sur registre papier. Ces nouvelles règles n'entreront en vigueur qu'après la publication du décret d’application et, au plus tard, le 1er juillet 2018. Elles devraient faciliter le traitement (jusque-là souvent très « manuel ») de nombreuses opérations qui intéressent le droit bancaire ou le droit des sociétés et ouvrent la voie à de nombreuses autres applications dans ces domaines.

La blockchain est-elle susceptible d’être remplacée par d’autres technologies ?

Comme toute technologie, elle en a remplacé une autre et sera remplacée par une autre. L’une des difficultés qu’il faut déjà anticiper est liée au fait que cette technologie repose sur la cryptographie, c’est-à-dire un procédé rendant impossible de décrypter une information à un coût et moyennant des moyens qui sont en adéquation avec les enjeux économiques. Or, tout l’univers de la cryptographie va se retrouver bouleversé dans les années ou les décennies à venir, par la survenance d’une rupture technologique, avec l’arrivée des ordinateurs quantiques, qui auront une puissance exponentielle par rapport à celle que nous connaissons aujourd’hui et face auxquels aucun des procédés de cryptage connus actuellement ne pourra tenir. Mais on peut compter sur les scientifiques pour accompagner ce changement et trouver un moyen de contournement qui permettra de faire perdurer cette technologie au-delà… Sinon, elle n’aura eu qu’une utilité assez éphémère…

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Une de mes meilleurs souvenirs, c’est celui de déambulations hasardeuses et de débats enflammés dans les jardins du Luxembourg. 

Quel est votre héros de fiction préféré ? 

J’ai un petit faible pour le capitaine Haddock, qui détonne joyeusement au milieu de la propreté des lignes claires d’Hergé.

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

Le droit à un procès équitable, car il me semble être la clé de voûte de l’état de droit.

 

Auteur :M. B. C.


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