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La conception d'un enfant à « trois parents »
Après la gestation pour autrui (GPA), la Grande-Bretagne est le premier pays à autoriser la conception d’enfants « à trois parents ». À cette occasion, Dalloz Actu Étudiant s’est interrogé sur les enjeux inhérents à une telle procédure. Astrid Marais, directrice du Master 2 « Droit privé fondamental » à l’Université de Bretagne occidentale et auteur de l’ouvrage Droit des personnes (2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2014), nous éclaire sur ce point.
Le 24 février 2015, la Chambre des Lords a approuvé l’amendement du Human Fertilisation and Embryology Act de 2008 visant à autoriser le « transfert mitochondrial ». En quoi consiste cette technique ?
Il s’agit d’une manipulation in vitro permettant de faire naître un bébé dont l’ADN provient de deux femmes et d’un homme, afin d’éviter la transmission de maladies graves comme la dystrophie musculaire, la cécité ou encore le diabète. Ce procédé consiste à retirer la mitochondrie défectueuse présente dans l’ovule de la mère et le remplacer par une saine provenant d’une donneuse. Partant, la fécondation in vitro est dite « à trois parents » puisque les gènes du bébé proviendront de sa mère, de son père mais également d’une donneuse. Toutefois, seul 1% du génome du futur enfant sera modifié.
Le remplacement mitochondrial est-il conforme à la législation européenne ?
45 eurodéputés ont adressé au secrétaire d’État à la Santé du Royaume-Uni une lettre ouverte dans le but de l’alerter sur les dérives eugéniques que suppose une telle pratique. Selon eux, cette décision est contraire au droit européen et, plus précisément, à l’article 9.6 de la directive européenne relative aux essais cliniques du 26 février 2001, aux termes duquel « [a]ucun essai thérapeutique génique aboutissant à des modifications de l'identité génétique du participant ne peut être conduit ». Ces dispositions, transposées par la loi n°2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, n’ont pourtant pas vocation à s’appliquer aux embryons, en ce qu’ils ne sont pas des personnes. Une telle pratique n’en suscite pas moins des questionnements éthiques liés à la manipulation du vivant et aux limites qu’elle doit, ou non, connaître.
Une telle procédure serait-elle possible en France ?
Cette manipulation consiste en une thérapie génique qui corrige un défaut génétique à l’origine d’une maladie. Il s’agit plus précisément d’une thérapie génique germinale modifiant le gène de façon héréditaire. La modification, portant sur les cellules impliquées dans la reproduction, se transmet aux enfants de la personne soignée, à la différence de la thérapie somatique.
L’article 16-4 du Code civil interdit à l’heure actuelle les pratiques dites « de thérapie génique germinale » en disposant qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ».
Le texte introduit, néanmoins, une réserve, en disposant que cette interdiction est « sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques ». En autorisant de telles recherches, le législateur se réserve la faculté de permettre, lors du réexamen de la loi bioéthique, l’application de la thérapie génique germinale dans une finalité médicale, si les recherches en démontrent l’intérêt thérapeutique majeur. Ces recherches pourraient se réaliser sur des embryons surnuméraires dans les conditions posées à l’article L. 2151-5 du Code de la santé publique, sous réserve d’avoir été autorisées par l’Agence de la biomédecine.
Quel impact pourrait-il y avoir sur la filiation ?
En France, le don est anonyme conformément à l’article 16-8 du Code civil. Il en résulte que le donneur a l’interdiction d’établir son lien de filiation avec l’enfant, alors même qu’il en est le parent génétique (C. civ., art. 311-19).
Si la conception d’un « bébé à trois » était autorisée, seul le couple qui a eu recours à une telle pratique dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation devrait être légalement les parents de l’enfant.
En matière de procréation artificielle, la loi s’écarte parfois du critère biologique au profit du critère « intentionnel » (ceux qui veulent être les parents en recourant à l’IAD) pour désigner le parent. Il n’y a aucune raison de penser que la pratique d’un « bébé à trois » devrait modifier une telle appréhension de la parenté.
Qu’en serait-il de la recherche des origines ?
L’anonymat nuit parfois à l’intérêt de l’enfant qui est alors « privé d’une dimension de son histoire » (Conseil d’État, La révision des lois bioéthiques, La Documentation française, coll. « Études et documents », 2009, p. 41).
Pourtant, le 13 juin 2013, le Conseil d’État a considéré que la règle de l’anonymat des donneurs de gamètes, figurant parmi les principes fondamentaux de la bioéthique, n’était pas incompatible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Il en résulte que seuls les médecins, en cas de nécessité thérapeutique pour l’enfant, pourraient avoir accès aux informations identifiants la donneuse, mais non l’enfant lui-même.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
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Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’expression, sous toutes ses formes.
Références
■ CE, avis, 13 juin 2013, n°362981.
■ Code civil
« Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine.
Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite.
Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée.
Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne. »
« Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur.
En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci. »
« En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation.
Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur. »
■ Article L. 2151-5 du Code de la santé publique
« I.-Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si :
1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;
2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité médicale ;
3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;
4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires.
II.-Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. A l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté.
III.-Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. La décision de l'agence, assortie de l'avis du conseil d'orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d'un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :
1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d'un protocole autorisé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;
2° Dans l'intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.
En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la recherche ou la retire. L'agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n'ayant aucun lien avec l'équipe de recherche, dans les conditions fixées à l'article L. 1418-2.
IV.-Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation. »
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
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