Actualité > Focus sur...
Focus sur...

La construction historique des sources du droit
Un grand H pour l’Histoire du droit. Un grand H pour la collection HyperCours des Éditions Lefebvre Dalloz. Un grand H pour son auteur : Jérôme Henning ! Professeur d’histoire du droit à l’université Toulouse Capitole, il nous fait le grand plaisir de nous ouvrir les portes du royaume historique des sources du droit. Pour aller plus loin, v. les cours, les compléments pédagogiques et les frises chronologiques de son Introduction historique au droit (Lefebvre Dalloz, 2025).
Quelle est la notion de droit la plus ancienne aujourd’hui encore en vigueur ?
Il est assez difficile de répondre à cette question car tout dépend ce que l’on entend par une « notion » de droit. Si on limite la question à la norme édictée la plus ancienne du droit français utilisée encore de nos jours, alors il faut, me semble-t-il, remonter au xvie siècle — ce qui fait tout de même près de 500 ans. Les si célèbres articles 110 et 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts interdisant l’usage du latin et prescrivant l’usage du français dans les actes juridiques (v. §564 du manuel) sont encore régulièrement visés par les juridictions françaises et sont en vigueur de manière continue depuis 1539. Il en est de même pour l’édit de Moulins de 1566. En revanche, si l’on recherche la « notion » comprise au sens large la plus ancienne, alors cela nous amène à des temps immémoriaux. Il faut alors se tourner vers les anthropologues pour obtenir des hypothèses. Le don, la faute, l’infraction, le mariage, l’usage, l’homicide, etc. sont toutes des notions utilisées en droit qui ont connu, selon les systèmes juridiques, une multitude de définitions et de régimes juridiques. En raison de ces imprécisions, je préfère dire que la plus ancienne règle de droit en vigueur de manière continue en France est contenue dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts, mais le débat reste entier…
Quels sont les grands mouvements de fond des sources du droit depuis l’Antiquité ?
La réponse la plus aisée serait de dire que depuis l’Antiquité le droit issu de la coutume et le droit issu de la loi (ou de la puissance publique) serait l’un et l’autre en concurrence. Dans une sorte de danse dialectique, le droit venu du bas (la coutume) et le droit venu du haut (la loi) s’affronteraient afin de faire progresser le droit en général. En fonction de la force de l’État ou, au contraire, de sa faiblesse, l’une ou l’autre source prendrait le dessus sur l’autre. Cependant, cette vision héritée du xixe siècle n’est pas vraiment vérifiable quand on la confronte aux sources historiques. Les chercheurs ont montré ces dernières décennies qu’il n’y a pas d’autonomie pour chacune des sources du droit. Ce que l’on croyait être des périodes « d’affaiblissement » de la puissance publique, sont plutôt considérées aujourd’hui comme des périodes de recompositions sociales et donc de recomposition du droit. Le droit suit presque toujours les évolutions socio-économiques d’une société.
En réalité, je ne pense pas qu’il y ait de grands mouvements de fond des sources du droit. Certes, l’histoire du droit met en récit une évolution des sources du droit et des rapports entre elles, ainsi que des rapports qu’elles entretiennent avec l’État, la religion, l’économie, etc. Mais, je pense que chaque époque fait un choix délibéré de son schéma juridique en puisant de manière sélective dans le matériau dont elle dispose, c’est-à-dire dans les sources du droit. L’histoire du droit revient le plus souvent à éclairer les choix de construction du système juridique qui ont été faits à une époque donnée et en fonction des nécessités socio-économiques et moins à dégager l’évolution sur le temps long du droit. En résumé, je crois que chaque époque fait le choix de son droit en réutilisant les sources du droit existantes au profit d’un contexte donné et en y incorporant des innovations. La continuité n’est souvent qu’une apparence.
Pourquoi cet arrêt des cours en 1940 ?
C’est une date arbitraire ! Comme toutes les périodisations, il n’y a jamais de raison totalement valable. Cependant, cette date — 1940 — répond à plusieurs besoins identifiés. Tout d’abord, il est assez rare — pour ne pas dire inexistant — que le cours d’Introduction historique au droit dispensé en première année de licence s’intéresse à la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale. Il n’est déjà pas si courant de dépasser la promulgation du Code civil en 1804 — ce que je regrette. Ensuite parce qu’en 1940, plus exactement en juillet 1940, le régime de la Troisième République s’effondre sur lui-même lors du vote des pleins pouvoirs à Pétain. Les lois constitutionnelles disparaissent et la souveraineté même de l’État n’existe plus. Or, selon les principes de notre époque contemporaine, sans constitution et sans souveraineté, on peut difficilement parler de système juridique. À mon sens, en 1940 un système juridique se clôt. En 1946, notamment avec le Préambule de la Constitution de la Quatrième République qui, comme la Déclaration de 1789, est un acte de fondation, un nouveau système juridique s’ouvre réutilisant les fondements des régimes passés. C’est donc une autre histoire, celle du droit du temps présent qui s’ouvre. Une histoire qui reste encore très largement à écrire.
Demeure toutefois la question de la période 1940-1945. Aurait-il été pertinent de pousser le cours jusqu’en 1945 ? Peut-être, mais cela ouvre des questions théoriques immenses tant le « droit » produit par le régime de Vichy — et même dans un tout autre esprit celui produit par la France Libre — est difficilement qualifiable de « droit » que ce soit d’un point de vue formel ou d’un point de vue substantiel. La question devient difficile et exige un certain recul sur le droit, ce qui n’est plus l’objet d’un cours introductif de première année. Et puis, il faut bien s’arrêter à un moment donné si l’on ne veut pas trop assommer l’étudiant !
Pourquoi étudier l’histoire des sources du droit ?
C’est une question que je me pose encore chaque année quand le cours commence devant les étudiants toulousains. Pourquoi étudie-t-on l’histoire du droit, de ses sources ? Pourquoi étudie-t-on en médecine l’histoire de la médecine ? En études d’art, l’histoire de l’art, ou en économie l’histoire économique ? Il y a partout un désir de se tourner vers le passé comme modalité de compréhension du présent, c’est indéniable. Mais en droit, il y a quelque chose de plus. Il ne s’agit pas seulement d’étudier l’histoire des sources du droit pour connaître le droit du présent, le « comment en est-on arrivé là » ou « comment ne pas reproduire les mêmes erreurs ». Le droit a un lien consubstantiel avec le temps qui passe. Aucun autre secteur de la vie sociale n’est aussi lié au temps que le droit car les règles sont toujours posées à un instant qui précède le comportement visé par la règle. Connaître les sources du droit c’est comprendre comment on a figé telle règle dans tel contexte pour lui donner tel sens, le sens que l’on utilise encore aujourd’hui ou celui que l’on a décidé d’effacer.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
D’abord et sans hésiter les rencontres humaines. On ne le dit jamais franchement mais la scolarité étudiante a quelque chose d’un chemin initiatique, un parcours rempli de rencontres dans les plus beaux âges de la vie. J’ai été étudiant à Besançon, à l’Université de Franche-Comté. Les trois années de licence que j’y ai passées ont été en elles-mêmes un univers, comme pour tout étudiant. Sur le plan plus strictement amphithéâtral, je garde surtout un souvenir des professeurs qui m’ont impressionné par l’intelligence qu’ils déployaient en cours, en particulier les cours de droit des obligations du Professeur Frédéric Rouvière qui donnaient du sens à ce que nous apprenions. Il y avait aussi les cours d’histoire du droit de première année, évidemment, ceux de Carine Jallamion, Yann-Arzel Durelle-Marc et Frank Laidié.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Instinctivement, je préfère les anti-héros. Quand on fait du droit, on fait très rapidement le deuil de nos facultés imaginaires à changer le monde ! Je me suis résigné à aimer l’héroïsme de la banalité. En bande dessinée le personnage de Blutch dans Les Tuniques bleues me plaît beaucoup. Malgré son côté râleur et déserteur, il se trouve embarqué dans des aventures extraordinaires desquelles il se sort de manière simple et ordinaire, sans fanfaronnade. Dans la littérature, le personnage de John Kaltenbrunner (Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf) incarne parfaitement ce type d’héroïsme de la simplicité. Je pense aussi au personnage de Miette dans La fortune des Rougon de Zola. Elle est également une héroïne de l’ordinaire, embarquée malgré elle dans la résistance au coup d’État de 1851. Elle est solaire tout en incarnant les tragédies non consenties.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Je vais faire un (faux) pas de côté et vous dire plutôt quel est mon droit de l’enfant préféré — qui est aussi, au passage, mon droit de l’homme préféré. Il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant garanti à l’article 3 de la Convention de New York de 1989. D’abord parce que l’on étudie très peu ce texte si important et si beau de notre époque contemporaine. Ensuite, parce que « L’intérêt supérieur de l’enfant » a quelque chose de singulier. Il ne s’agit pas vraiment d’un droit subjectif que l’enfant sujet de droit pourrait actionner contre l’État ou contre des tiers. Il ne s’agit pas non plus d’une liberté à faire valoir. Il n’y a pas vraiment de catégorie précise pour dire ce qu’il est. Ni droit ni liberté, il est un état du sujet de droit qu’est l’enfant. Et pourtant, l’intérêt supérieur de l’enfant reconnu dans la déclaration de New York est l’une des notions les plus utilisées et les plus intelligentes en droit. Elle est brandie de toute part dans le débat public, mais connaît encore, malheureusement, de très grandes disparités dans son application. Dans le monde du droit on parle souvent au nom des enfants mais ceux-ci ont rarement la parole. J’y vois quelque chose d’encore inabouti.
Autres Focus sur...
-
[ 3 juillet 2025 ]
À la découverte du droit
-
[ 19 juin 2025 ]
Sur le contentieux constitutionnel
-
[ 12 juin 2025 ]
Les commissions d’enquêtes parlementaires
-
[ 5 juin 2025 ]
À propos des prochaines élections municipales
-
[ 22 mai 2025 ]
Propriété intellectuelle et Droit public
- >> Tous les Focus sur ...