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La délégation partage de l'autorité parentale
Caroline Mécary est avocate au barreau de Paris. Elle a participé depuis une quinzaine d'années à différents procès concernant les droits des couples homosexuels. Femme politique, élue conseillère régionale en Île-de-France, elle est également l’auteur de nombreux ouvrages. Elle répond à nos questions sur « le droit à une vie familiale normale » et les progrès à accomplir en ce domaine.
Qu’est-ce que la délégation partage de l’autorité parentale de l’article 377 du Code civil ?
Depuis une loi de 2002 (n° 2002-305 du 4 mars 2002), la délégation partage de l’autorité parentale a été simplifiée. C’est une procédure qui permet aux père et mère, ensemble ou séparément, de demander volontairement au juge aux affaires familiales (JAF) à ce que leur autorité parentale soit déléguée à un tiers, membre de famille ou non. Cette procédure, qui a été voulue par le législateur afin de donner un statut aux beaux-parents, est utilisée aujourd’hui par les couples de femmes et les couples d’hommes qui élèvent ensemble un enfant.
En effet, dans la quasi-totalité de cas, les enfants, qui sont élevés par deux femmes ou par deux hommes, n’ont de lien de filiation qu’à l’égard d’un seul adulte, la mère ou le père (en cas de gestation pour autrui). Les partenaires du parent n’ont aucun lien juridique avec l’enfant, même si celui-ci est venu au monde dans le cadre d’un projet commun. L’enfant de ces couples est donc moins bien protégé juridiquement qu’un enfant qui est né dans le cadre hétérosexuel, puisque dans ce cadre-là il a juridiquement deux parents.
La délégation partage de l’autorité parentale permet de déléguer l’autorité parentale à ce tiers, en l’occurrence la compagne ou le compagnon, qui pourra exercer les prérogatives de l’autorité parentale jusqu’à la majorité de l’enfant. Il ne s’agit en aucune manière de l’établissement d’un lien de filiation, mais uniquement du partage de l’autorité parentale. Cela signifie que le délégataire ne peut pas transmettre son nom, il ne peut pas transmettre son patrimoine à l’enfant ; plus précisément il peut le faire mais la transmission sera taxée comme entre étrangers (abattement de 1 500 € et droit au Trésor de 60 %).
Les juridictions françaises permettent-elles l’application de cet article aux parents homosexuels ?
Depuis l’entrée en vigueur de la loi, il y a d’abord eu de nombreuses hésitations, certaines juridictions acceptaient le partage de l’autorité parentale au sein d’un couple homosexuel, tandis que d’autres la refusaient.
C’est un arrêt de la Cour de cassation du 24 février 2006 qui a validé la procédure de délégation partage de l’autorité parentale au sein d’un couple de femmes. Depuis, les juridictions prononcent des délégations partage de l’autorité parentale, aussi bien pour des couples d’hommes que pour des couples de femmes. On assiste depuis 2009 à une évolution sur la manière dont les juridictions acceptent cette délégation partage de l’autorité parentale.
Avant 2009, les juridictions exigeaient qu’il soit rapporté la démonstration que le parent qui délègue son autorité parentale était indisponible, généralement pour des déplacements professionnels. Mais depuis 2009, on assiste à une très nette évolution, puisqu’aujourd’hui les juridictions n’exigent plus qu’il soit rapporté la preuve matérielle d’une indisponibilité du parent délégant.
C’est un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 16 juin 2011, qui dit très clairement que lorsqu’un enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de sa mère, cette situation constitue une circonstance en soi qui exige le partage de l’autorité parentale. Cette décision a été réitérée par la cour d’appel de Paris dans deux arrêts du 20 octobre 2011 et dans l’intervalle de nombreuses juridictions de première instance se sont positionnées de la même manière. La cour d’appel de Paris va même plus loin, puisque dans une décision inédite du 1er décembre 2011, elle a admis la délégation partage de l’autorité parentale au sein d’un couple de femmes séparées ; situation qui n’avait pas encore été examinée par les juridictions et à laquelle en l’espèce la cour d’appel a répondu positivement.
Le fondement de cette évolution est-il à rechercher dans le droit à une vie familiale normale ? Dans l’intérêt de l’enfant ?
L’évolution de la jurisprudence telle qu’elle m’apparaît aujourd’hui, trouve sa source dans une application plus neutre des textes applicables (art. 377, al. 1er et 377-1, al. 2 C. civ.).
L’intérêt de l’enfant est parfois avancé lorsqu’on lit la motivation des juridictions.
En revanche, le droit à mener une vie familiale normale n’est jamais invoqué par les juridictions, même s’il peut l’être par les conseils des requérants.
Quels autres dispositifs du droit de la famille pourraient être ouverts au couple homosexuel ?
La situation des enfants qui sont élevés par deux femmes et par deux hommes est sur le plan juridique précaire, puisqu’aujourd’hui ils ne peuvent être bénéficiaires que d’une délégation partage de l’autorité parentale. Or, je rappelle que celle-ci disparaît à la majorité de l’enfant.
Au regard de mon expérience et des demandes émises par les différentes personnes qui me sollicitent, il serait juste pour les couples de femmes ou d’hommes qui ont choisi d’avoir ensemble un enfant, de permettre à l’adulte qui n’est pas juridiquement le parent, de pouvoir adopter l’enfant dans le cadre d’une adoption simple, c’est-à-dire d’une adoption qui n’efface pas le lien de filiation entre l’enfant et son parent d’origine, mais s’ajoute à ce lien de filiation d’origine. Cette possibilité existe déjà dans le droit français, mais elle est réservée aux couples mariés. Or, comme vous le savez, les couples de femmes ou d’hommes n’ont pas le droit de se marier pour l’instant en France.
Il faudrait donc, soit ouvrir le mariage civil à tous les couples — ce qui entraînerait à la fois l’ouverture de l’adoption plénière et conjointe, à tous les couples, ainsi que la possibilité d’adopter l’enfant du partenaire sans difficultés dans le cadre d'une adoption simple —, soit modifier le texte applicable à l’adoption simple en la permettant au sein de couples non mariés et ce quelle que soit l’orientation sexuelle des membres de ce couple non marié.
Par ailleurs, il serait souhaitable de simplifier la procédure de délégation partage de l’autorité parentale, qui présente une lourdeur certaine notamment à Paris où le parquet juge nécessaire de mener des investigations parfois très intrusives (et vraiment inutile dans ce type de dossier) alors que dans le même temps ces investigations sont totalement inexistantes dans de très nombreuses juridictions. Il y a donc une différence de traitement des dossiers en fonction de la juridiction saisie et donc une rupture d’égalité de traitement des citoyens à laquelle il convient de mettre fin.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Ces études m'ont permis de rencontrer un professeur de droit remarquable Géraud de la Pradelle avec lequel j'ai noué une amitié qui jusqu'à ce jour est toujours bien vivante.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Patty Hewes, l'avocate de Damages : machiavélique, ce que je ne suis pas.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Il y en a deux : je dirais la Liberté et l’Égalité qui pour moi ne vont pas l'un sans l'autre.
Références
■ http://avocats.fr/space/caroline.mecary
■ Bibliographie de Caroline Mécary
L. Gratiot, C. Mécary, S. Bensimon, B. Frydman, G. Haarscher, Arts et techniques de la plaidoirie, Lexis-Nexis, 2011.
C. Mécary, Le pacs, 3e éd., Dalloz, coll. « Delmas Express », 2010.
C. Mécary, L’adoption, PUF, coll. « Que sais-je », 2006.
C. Mécary, Droit et homosexualité, Dalloz, « États de droits », Sirey, 2000.
Article 377
« Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance.
En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale, le particulier, l'établissement ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l'exercice de l'autorité parentale.
Dans tous les cas visés au présent article, les deux parents doivent être appelés à l'instance. Lorsque l'enfant concerné fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative, la délégation ne peut intervenir qu'après avis du juge des enfants. »
« La délégation, totale ou partielle, de l'autorité parentale résultera du jugement rendu par le juge aux affaires familiales.
Toutefois, le jugement de délégation peut prévoir, pour les besoins d'éducation de l'enfant, que les père et mère, ou l'un d'eux, partageront tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale avec le tiers délégataire. Le partage nécessite l'accord du ou des parents en tant qu'ils exercent l'autorité parentale. La présomption de l'article 372-2 est applicable à l'égard des actes accomplis par le ou les délégants et le délégataire.
Le juge peut être saisi des difficultés que l'exercice partagé de l'autorité parentale pourrait générer par les parents, l'un d'eux, le délégataire ou le ministère public. Il statue conformément aux dispositions de l'article 373-2-11. »
■ Civ. 1re, 24 févr. 2006, D. 2006. 876 ; ibid. 897 ; RTD civ. 2006. 297.
■ Paris, 20 octobre 2011, 10/32044.
■ Paris, 20 oct. 2011, 10/00607.
[Droit civil]
Adoption provoquant une rupture de tout lien juridique entre la famille d’origine et l’enfant adopté. L’adopté a, dans la famille de l’adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’un enfant dont la filiation est légalement établie.
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
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