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La déontologie des magistrats
L’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la légalité, l’attention à autrui et la discrétion sont les valeurs fondamentales attachées au statut du magistrat. Philippe Combettes, Premier vice-président du Tribunal de grande instance de Melun, a bien voulu répondre à nos questions sur l’ensemble des devoirs qui s’impose à l'exercice de son métier.
Quel(s) texte(s) fonde(nt) la déontologie des magistrats ?
La Constitution du 4 octobre 1958, l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature et la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature sont les principaux textes comportant les dispositions qui régissent la déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire et, par voie de conséquence, la discipline de ces derniers. Il s'agit de dispositions qui d'une part, déterminent l'éthique professionnelle constituée des valeurs, principes, obligations et incompatibilités qui s'imposent aux magistrats et dont la méconnaissance est susceptible de caractériser une faute disciplinaire, et qui d'autre part, définissent les règles relatives au contrôle préventif du respect de ces obligations déontologiques ainsi qu'au contrôle répressif s'agissant de l'ensemble des dispositions relatives à la procédure disciplinaire applicable aux magistrats. Cependant, compte tenu du caractère très général des valeurs et principes énoncés par ces textes, leur portée ne peut être pleinement appréhendée qu'à l'aune des décisions ou avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), en tant qu'instance disciplinaire et du Conseil d'État, juridiction chargée d'examiner — selon les cas, en qualité de juge de cassation ou de juge de l'excès de pouvoir — les recours exercés contre les décisions disciplinaires prises, selon qu'il s'agit de magistrats du siège ou du parquet, respectivement par le CSM ou par le garde des sceaux, ministre de la justice.
S'agissant des obligations et valeurs s'imposant aux magistrats, on peut constater une certaine stabilité normative (honneur, délicatesse, dignité, loyauté, indépendance, impartialité, intégrité, attention à autrui, discrétion et réserve) tout en soulignant toutefois l'apparition avec la loi organique du 22 juillet 2010, d'un nouveau cas de faute disciplinaire, prévu au deuxième alinéa de l'article 43 de l'ordonnance statutaire, établissant un lien entre la norme déontologique et l'activité juridictionnelle, tiré « de la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ».
Les règles procédurales, relatives au contrôle préventif et disciplinaire du respect des obligations déontologiques, ont en revanche fait l'objet de modifications plus fréquentes et plus substantielles depuis les années 2000 jusqu'à la récente loi n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature. À la différence des précédentes évolutions qui étaient principalement consécutives à des dysfonctionnements de l'institution judiciaire et/ou des manquements de certains de ses membres, les dispositions issues de la loi du 8 août 2016 ont eu principalement pour objet, en matière déontologique et disciplinaire, d'appliquer et d'adapter à la magistrature judiciaire les dispositions relatives à la déontologie de la vie publique résultant des lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ainsi que celles résultant de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. À cet égard, il faut relever que le Conseil constitutionnel a censuré (n° 2016-732 DC du 28 juill. 2016) celles des dispositions de la loi du 8 août 2016 qui avaient pour objet de limiter à certains magistrats, occupant des fonctions hiérarchiques supérieures, l'obligation de déclaration de la situation patrimoniale aux fins de renforcer les garanties de probité et d'intégrité de ces personnes. En effet, le Conseil a considéré que ce faisant le législateur instituait une différence de traitement entre magistrats qui « est sans rapport avec l'objectif poursuivi par la loi », et qu'ainsi était méconnu le principe d'égalité devant la loi. En l'état de la censure prononcée par le Conseil constitutionnel, ces dispositions relatives à l'obligation de déclaration de patrimoine des magistrats me paraissent insusceptibles d'être mises en œuvre sans une modification de la loi répondant aux exigences constitutionnelles rappelée.
Y a-t-il une épreuve de déontologie pour devenir juge, à l’instar de celle pour devenir avocat ?
Les réformes relatives à l'organisation et au fonctionnement de la justice, intervenues à la suite de l'affaire d'Outreau, ont notamment eu pour objet de modifier les conditions d'accès à l'École nationale de la magistrature ainsi que la formation initiale des auditeurs de justice.
Au-delà du programme des épreuves d'admissibilité qui inclut l'histoire et le statut de la magistrature, et par conséquent la déontologie et la discipline des magistrats, il résulte de la réforme intervenue en 2008, telle que mise en œuvre par l'ENM, que le recrutement a pour objet de « repérer la capacité à acquérir » les compétences fondamentales attendues d'un magistrat tandis que la formation initiale des auditeurs de justice « doit permettre l'acquisition de ces compétences ». Or, l'ENM place au premier rang des compétences fondamentales attendues du magistrat celle résultant de la capacité « à identifier, s’approprier et mettre en œuvre les règles déontologiques » (V. note de présentation des concours d'accès à l'ENM - site internet ENM).
La déontologie des magistrats occupe par ailleurs une place importante non seulement tout au long de la formation initiale jusqu'aux épreuves de classement, à travers une approche très concrète et pratique des situations auxquelles les futurs magistrats sont susceptibles d'être confrontés d'un point de vue déontologique, mais également au cours de la formation continue à laquelle chaque magistrat est astreint, au moins cinq jours par an, qui propose plusieurs sessions en lien direct avec la thématique déontologique.
Quel(s) contrôle(s) permette(nt) le respect de ses valeurs ?
Ce contrôle est permanent et se situe désormais à tous les niveaux et à tous les stades.
Il est désormais instauré un contrôle renforcé en amont, lors de la prise de fonctions des magistrats à travers la remise par ces derniers à l'autorité judiciaire désignée par la loi, d'une déclaration d'intérêts donnant lieu à un entretien déontologique ayant pour objet de prévenir tout éventuel conflit d'intérêts et d'inviter, s'il y a lieu, à mettre fin à une situation de conflit d'intérêts (Dispositions résultant de l'art. 26 de la loi du 8 août 2016 qui n'entreront en vigueur que 18 mois après l'entrée en vigueur du décret d'application nécessaire à la mise en œuvre de ce dispositif).
Il existe, au cours de l'exercice des fonctions, un contrôle opéré par le supérieur hiérarchique du magistrat qui peut découvrir ou être informé de situations ou de comportements qui interrogent la déontologie. La révélation de ces difficultés peut résulter incidemment de l'évaluation à laquelle sont soumis les magistrats ou encore de l'inspection à laquelle peuvent procéder les chefs de juridiction ou de cour d'appel. À ce titre, il résulte des dispositions de l'article 44 de l'ordonnance statutaire que les chefs de cour d'appel ont, à l'égard des magistrats placés sous leur autorité, le pouvoir de leur donner un avertissement et ce « en dehors de toute action disciplinaire ».
Le contrôle peut bien évidemment prendre la forme disciplinaire. Les poursuites devant le CSM, en tant que conseil de discipline, peuvent être engagées sur ce fondement, soit par le garde des sceaux, ministre de la justice, saisi d'une plainte ou informé de faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires, soit par les chefs de cour d'appel ou de tribunal supérieur d'appel.
Depuis la loi organique du 22 juillet 2010, ce contrôle est également exercé directement par tout justiciable qui fait grief à un magistrat d'avoir dans l'exercice de ses fonctions adopté un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire et qui peut, à ce titre, saisir le CSM. Cette saisine est légalement encadrée notamment par l'institution d'une commission d'admission des requêtes. Si cette voie demeure à ce jour encore peu utilisée par les justiciables, il s'agit cependant d'une avancée importante au titre de la transparence et du contrôle démocratique de la mission régalienne justice. Ce contrôle démocratique s'exerce aussi me semble-t-il à travers la publicité qui s'attache, sauf exception, aux audiences disciplinaires du CSM.
Mais parce que la déontologie ne saurait se réduire à sa seule forme disciplinaire, et qu'elle doit d'abord être conçue comme une éthique professionnelle que chaque magistrat doit avoir à cœur de mettre en œuvre et de respecter, le premier mode de régulation doit être l « auto-contrôle » du magistrat qui oblige ce dernier à une vigilance permanente dans l'exercice de ses fonctions mais également dans sa vie personnelle.
Quels sont vos soutiens pour le respect de ses obligations ?
Ces soutiens se sont accrus depuis plusieurs années. La formation initiale puis la formation continue des magistrats constitue le premier de ces soutiens. Ensuite, l'encadrement hiérarchique doit exercer un rôle de conseil et d'écoute des magistrats placés sous son autorité. Par ailleurs, conformément aux exigences de la loi organique du 22 juillet 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a élaboré et diffusé un recueil des obligations déontologiques des magistrats, de nature à informer et éclairer ces derniers.
Ce soutien a été renforcé à la faveur d'une récente initiative du Conseil supérieur de la magistrature qui, souhaitant répondre aux demandes d'écoute et d'accompagnement exprimées depuis plusieurs années par les magistrats dans le domaine déontologique, s'est donc doté depuis juin 2016, d'un service d'aide et de veille déontologique, chargé d'offrir aux magistrats une aide concrète, sous la forme d'une permanence, afin d'apporter des réponses rapides aux questions que se posent les magistrats confrontés à des situations concrètes. Ce soutien est informel s'agissant du mode de saisine du service, prend la forme d'entretiens téléphoniques et ne donne lieu à aucun écrit afin de garantir la confidentialité de l'échange.
Enfin, la loi du 8 août 2016 vient d'instituer un Collège de déontologie des magistrats de l'ordre judiciaire (création d'un art. 10-2 de l'ordonnance statutaire), organe distinct du Conseil supérieur de la magistrature, mais auquel il doit cependant présenter chaque année son rapport d'activité. Ce collège a pour double mission de rendre des avis sur toute question déontologique concernant personnellement un magistrat, sur saisine de celui-ci ou de l'un de ses chefs hiérarchiques et d'examiner les déclarations d'intérêts qui lui seront transmises. Il sera intéressant d'observer l'articulation de ces nouvelles dispositions avec celles par lesquelles le CSM est chargé d'émettre des avis en matière de déontologie sur saisine du garde des sceaux, ministre de la justice et de statuer en matière disciplinaire.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
J'ai eu le bonheur de bénéficier, il y a maintenant bien longtemps, des cours de droit dispensés par plusieurs enseignants qui présentaient des qualités pédagogiques exceptionnelles, de celles qui rendent intelligibles et passionnants des domaines du droit apparaissant a priori parfois abscons. Au nombre de ces professeurs, je souhaite citer tout particulièrement les professeurs Geneviève Viney en droit de la responsabilité civile à l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, et Bernard Plagnet en droit des finances publiques à l'Université Toulouse 1 - Capitole.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Le juré n° 8 incarné magistralement par Henry Fonda dans le film de Sidney Lumet, « Douze hommes en colère ». Ce personnage ne peut qu'inspirer celles et ceux qui sont épris de justice.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
En tant que magistrat, il m'est impossible d'en préférer un plus qu'un autre. S'inspirant de la célèbre formule de Georges Clemenceau à l'égard de la Révolution, on pourrait dire que les Droits de l'homme sont « un bloc »... de constitutionnalité !
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