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La justice internationale pour le Rwanda
Entre avril et juillet 1994, un million de Rwandais – hommes, femmes et enfants - furent exterminés parce qu’ils étaient Tutsi. Quelques mois après, le Conseil de sécurité des Nations Unies créait un Tribunal international pour juger les auteurs des massacres. Dans un ouvrage paru en 2017, Pouvoir et Génocide (Dalloz, coll. « Les sens du droit »), Rafaëlle Maison, professeur à l’Université Paris Saclay, analyse la manière dont cette juridiction a restitué la dimension politique du génocide des Tutsi du Rwanda. La remise du rapport Duclert aux présidents des Républiques française et rwandaise en mars 2021 nous fait revenir sur la recherche essentielle de vérité et de justice.
Quel a été l’apport du Tribunal pénal international pour le Rwanda dans la recherche de justice ?
Ce Tribunal a été crucial pour établir la réalité du génocide des Tutsi du Rwanda. Cette attestation était très importante car de nombreux discours négationnistes ont rapidement prospéré. La jurisprudence du Tribunal comprend aussi des descriptions de ce génocide qui permettent d’en saisir toute l’horreur : chasses à l’homme sur les collines de Bisesero, massacres dans les églises, dans les stades... Le Tribunal a par ailleurs statué sur le discours d’incitation au génocide dans une grande affaire, dite « des médias », où la propagande et la rhétorique génocidaire ont été précisément décryptées. Il a jugé près de quatre-vingts accusés, dans des procès successifs concernant différentes figures du pouvoir rwandais : premier ministre, ministres du « Gouvernement intérimaire » issu du coup d’État, officiers de haut niveau (tel que le colonel Bagosora), préfets, notables, propagandistes, prêtres, bourgmestres.
Quels ont été ses manques ?
Tout d’abord, un travail limité sur la préparation de ce génocide. En effet, en raison des oppositions françaises, bien décrites par le récent rapport Duclert, le mandat de la juridiction a été artificiellement restreint par le Conseil de sécurité à l’année 1994. C’est un manque important dès lors qu’un génocide est organisé et préparé. De cette préparation, la jurisprudence ne livre que très peu. Le Tribunal a aussi peiné à décrire le pouvoir génocidaire, ses moyens, sa mécanique et les interactions entre ses différents acteurs. Les procès qui portent sur la dimension nationale du génocide (les procès des ministres notamment) sont souvent contradictoires, et n’ont pas véritablement fait sens de l’enchaînement des événements. Ainsi, par exemple, le coup d’État d’avril 1994 n’a pas été intégré dans un récit explicatif cohérent. C’est la raison pour laquelle certains ministres ont finalement été acquittés. Un autre aspect troublant du travail de ce Tribunal est qu’il ne mentionne quasiment jamais le contexte dans lequel ce génocide s’est annoncé et s’est conclu : celui d’une intervention française, décidée en soutien d’un régime rwandais décrit par le rapport Duclert comme « raciste, corrompu et violent », contre la rébellion Tutsi.
Comment s’intègre le rapport Duclert dans la recherche de la vérité sur le génocide des Tutsi ?
Le rapport Duclert sur le rôle de la France est une étape très importante. Tout d’abord, il écarte les récits tendancieux, de nature négationniste, qui se sont largement développés. D’autre part, il affirme que la France a des « responsabilités lourdes et écrasantes », particulièrement en raison de son engagement militaire avancé au Rwanda, et ceci en dépit d’alertes précoces et répétées. Se trouve ainsi confortée l’hypothèse d’un génocide très singulier, perpétré dans un contexte post-colonial. Le rapport est basé sur un travail documentaire (archives françaises) considérable. Mais, comme l’expriment ses auteurs, cette recherche doit encore être approfondie, notamment parce que certaines archives n’ont pas été accessibles à la Commission ou ont été volontairement détruites.
Comment envisagez-vous la suite de cette recherche de vérité et de justice ?
J’espère que les historiens et d’autres chercheurs pourront prolonger l’analyse, notamment en utilisant des sources qui ne sont pas françaises. La France pourrait aussi avancer plus vite dans l’analyse des plaintes dont sa justice est saisie, qu’il s’agisse de plaintes concernant des suspects rwandais se trouvant en France ou de plaintes concernant des acteurs français. Le premier devoir d’un État dans la lutte contre l’impunité en matière de crimes internationaux est bien d’assurer, en plus de l’exercice d’une compétence universelle, le jugement de ses propres ressortissants et agents. Mais il faut bien constater qu’enquêter sur des personnalités décisionnelles importantes, qui ont semble-t-il placé les militaires de terrain dans une situation plus que problématique, s’avère très délicat pour la justice française, saisie désormais depuis plus de quinze ans.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ?
Les cours – critiques - du professeur Géraud de La Pradelle, dans les amphithéâtres bondés et assez remuants de Nanterre en première année de droit ; l’ambiance de liberté, de débat, de camaraderie, qui régnait dans cette faculté.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Julien Sorel, dans Le rouge et le noir mais ma réponse, pour être certaine, exigerait re-relecture… S’agissant des héroïnes, nous sommes un peu moins privilégiées, mais le personnage de Grazia (Valeria Golino), dans le film de l’italien Emanuele Crialese, Respiro (2003), m’a laissé un souvenir impérissable.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit de résister à l’oppression (DDH, art. 2), le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (art. 1er des deux Pactes adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU en 1966). Par ailleurs, il me paraît éminemment nécessaire de réévaluer la place des droits économiques, sociaux et culturels garantis par l’un de ces deux Pactes, et d’interroger l’impact de l’ordre économique dominant sur les droits fondamentaux des individus et des peuples. Les travaux, notamment, du rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Alfred de Zayas, sur « la promotion d’un ordre international démocratique et équitable » ont largement retenu notre attention en Master 2 cette année. Le progrès juridique me semble exiger une part d’utopie, qui impose réflexion sur les causes des aliénations contemporaines (je réponds ici aux exaspérations des étudiants relatives à la dimension non effective de certains droits…).
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