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La loi relative à l’immigration, l’intégration et la nationalité
La loi relative à l’immigration, l’intégration et la nationalité a été adoptée par le Parlement français le 11 mai 2011. Les débats entre les deux chambres ont été difficiles, les citoyens dans la rue, les associations actives à chaque stade du processus d’adoption (v. Le Gisti, La Cimade).
Karine Parrot, professeur agrégé de droit à l’Université Cergy Pontoise (v. ses publications en références), codirectrice du pôle Droit des étrangers de Trans Europ Experts et membre de l’Observatoire juridique de la vie politique, nous apporte un éclairage sur ces dispositions législatives codifiées, validées par le Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de constitutionnalité…
Faut-il redouter, comme le soulignait la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son avis du 5 juillet 2010, la banalisation de la privation de liberté des migrants ?
En réalité, cette banalisation est déjà à l'œuvre depuis au moins vingt ans et le nouveau texte de loi — en matière d'immigration, le quatrième en sept ans ! — n'est qu'un énième rouage de l'arsenal répressif dont les étrangers sont la cible. En allongeant encore (jusqu'à 18 mois) la durée maximale de la rétention, le législateur poursuit la mutation de l'enfermement administratif — censé préparer l'éloignement — en une mesure de rétorsion et de mise à l'écart des étrangers. La multiplication des hypothèses d'enfermement et d'assignation à résidence avec ou sans bracelet électronique participe de la même logique. Finalement, c'est peut-être la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans la lignée de son arrêt El Dridi du 28 avril 2011, fera rempart aux dérives étatiques les plus liberticides à l'endroit des étrangers. C'est assez paradoxal lorsque l'on sait que par ailleurs l'Union européenne cherche à sous-traiter la lutte contre l'immigration auprès des États étrangers limitrophes au mépris des droits les plus élémentaires des migrants (v. sur les accords internationaux de réadmission le site de Migreurop).
Faut-il craindre la marginalisation du contrôle du juge judiciaire, garant des libertés individuelles ?
Absolument ! Le texte fait montre d'une incroyable défiance à l'égard du juge judiciaire qui semble perçu comme un gêneur, un empêcheur d'expulser tranquille. À ce titre, la disposition la plus inquiétante est celle qui retarde l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) auprès de l'étranger enfermé. Jusqu'ici, le JLD intervenait après 48 heures pour prolonger la rétention et contrôler le respect de la procédure et des libertés individuelles de l'étranger. Dorénavant, la rétention administrative se déroulera hors de tout contrôle judiciaire pendant cinq jours ! En pratique, ces trois jours supplémentaires accordés à l'administration lui permettront de reconduire à la frontière des étrangers qui auraient été relâchés s'ils avaient eu accès à un juge. Selon quelle conception de l'État de droit l'administration est-elle ainsi encouragée à se soustraire au contrôle judiciaire ?
Que dire des restrictions apportées au droit des étrangers par le nouvel article L222-8 du CESEDA ?
Les articles L222-8 et L552-13 du CESEDA prévoient que seules les irrégularités de procédure « ayant eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger » permettront aux juges de mettre fin à la rétention (art. L. 552-13) ou au maintien en zone d'attente (art. L. 222-8). Autrement dit, pour que le juge puisse libérer l'étranger pour violation d'une règle de forme, l'intéressé devra établir qu'au-delà de la règle objective, ses droits subjectifs ont été bafoués. Ici encore, l'esprit du texte nous semble inquiétant : chacun sait que le respect des formes légales protège ici l'étranger contre l'arbitraire de l'administration. Dès lors, toute violation d'une règle de forme porte en elle-même une atteinte aux droits de l'étranger enfermé. C'est d'autant plus vrai qu'en pratique, il pourra s'avérer extrêmement difficile à l'étranger de prouver l'atteinte effective portée à ses droits. Faire reposer la charge d'une telle preuve sur l'étranger, c'est fragiliser à dessein son droit constitutionnel à ne pas être détenu arbitrairement.
Ce régime d'exception pourrait-il, selon vous, être condamné par le Conseil constitutionnel, la CEDH ou la CJUE ?
Il est peu probable que le Conseil constitutionnel censure un tel mécanisme déjà utilisé par la Cour de cassation en matière de procédure pénale. Pourtant, l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce clairement que nul ne peut être détenu « que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». Mais d'autres dispositions du projet mériteraient sans conteste la censure. On pense notamment aux articles qui retardent l'intervention du JLD ou qui instituent une zone d'attente « mobile » dont les contours sont fonctions du lieu d'arrivée des migrants. Le maintien en rétention possible pendant 18 mois d'étrangers qui n'ont pas été pénalement condamnés mais dont le « comportement [est] lié à des activités à caractère terroriste » est aussi particulièrement caractéristique d'une dérive liberticide grave qui malheureusement s'étend aujourd'hui bien au-delà du cercle des étrangers (ce point a été jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, ndlr).
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?
Pendant les grèves de 1995, je faisais du stop sur les quais de la Seine pour aller au Panthéon. C'était assez amusant.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Pourquoi ?
Ziggy Stardust. Notamment parce que l'album de David Bowie « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars » est extraordinaire.
Quel est votre droit de l’homme préféré ? Pourquoi ?
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre dans l'absolu. Pour ce qui concerne la France, aujourd'hui, c'est le droit à la liberté d'opinion qui mériterait selon moi un attachement particulier parce qu'il me semble menacé de manière incidente et inédite.
Références
■ Karine Parrot, L’interprétation des conventions de droit international privé, Dalloz, coll. « Bibliothèque des thèses », 2006 ; avec C. Santulli, « La "directive retour", l'Union européenne contre les étrangers », Rev. crit. DIP 2009. 205-249.
■ La loi dans son intégralité, disponible sur le site du Sénat.
■ Article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance. »
■ CJUE 28 avr. 2011, El Dridi, aff. n° C‑61/11 PPU.
■ Sur le régime des étrangers, v. également le contentieux sur le traitement inhumain et dégradant lors de la détention administrative d'enfants (CEDH 19 janv. 2010, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, Dalloz étudiant, 28 janv. 2010, obs. C. de Gaudemont ; Civ. 1re, 10 déc. 2009, D. 2009. 2913, note Félix Rome ; Dalloz actualité, 18 déc. 2009, obs. C. de Gaudemont).
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