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[ 13 juin 2019 ] Imprimer

La lutte contre la désinformation ou Fake News

La procédure d’urgence surnommée « référé Fake News » a été créée par la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information et son décret d'application du 30 janvier 2019. Sylvie Pierre-Maurice, maître de conférences HDR à l'Université de Lorraine, répond à nos questions sur ce sujet brûlant.

Qu’est-ce que le phénomène « Fake news » ?

Élu mot de l'année 2017 par le Collins, le terme traduit l’origine du phénomène : la campagne des élections présidentielles américaines de 2016. Le terme « fake news » est évocateur car il renvoie à l'inexactitude de l'information et à l'intention trompeuse de l'auteur. En anglais « Fake news » est ainsi plus précis que « false news », neutre. La commission d’enrichissement de la langue française recommande quant à elle l’utilisation du néologisme « infox », contraction d’information et d’intoxication.

Brexit, campagne présidentielle française de 2017, élections législatives en Allemagne en 2017, en Ukraine en 2019 : la désinformation a frappé partout. Sont dans le collimateur les sites et médias russes Russia Today et Sputnik. Si le phénomène de désinformation n'est pas nouveau en soi, sa portée l'est en raison des nouveaux moyens de diffusion de l’information : les réseaux sociaux, messagerie, blog, forum participatifs, qui permettent l’échange et le partage rapide voire viral des informations et surtout de l'utilisation de l'intelligence artificielle, des bots, qui propagent la fausse information de façon mécanisée et massive à la vitesse de l'éclair.

C'est le traitement médiatique de la vérité qui pose ici question dans une société abreuvée d'informations, en perte de repère sur le vrai et le faux.

Que prévoit le nouveau dispositif d’urgence pour lutter contre elles ?

Le référé « fake news » est un référé spécial instauré à l'article L. 163-2 du Code électoral. Les demandeurs sont le Ministère public, tout candidat, tout parti ou groupement politique (intérêt à agir présumé car contenu dans la qualité) ou toute personne intéressée. Les défendeurs peuvent être les hébergeurs ou les fournisseurs d'accès Internet, c'est-à-dire ceux qui peuvent concrètement et techniquement assurer une mesure de blocage ou de déréférencement du compte ou du site ou toute autre mesure provisoire « proportionnée et nécessaire ». Le ou les demandeurs doivent saisir exclusivement la formation de référé du tribunal de grande instance de Paris (qui deviendra le 1er janv. 2020 le tribunal judiciaire de Paris), qui doit rendre sa décision dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine. Juge de l'apparence et de l'incontestable, le juge des référés ne tranchera pas le vrai du faux, trancher n'a d'ailleurs jamais été son rôle. Il n'a pas vocation à être juge électoral ou juge des polémiques politiques. Il se contentera de prendre dans l'urgence une mesure  de nature à faire cesser la diffusion de l'infox si les deux conditions cumulatives posées par le texte sont réunies : lorsque il estime être en présence d' « allégations ou imputations (manifestement) inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer (manifestement) la sincérité du scrutin à venir » et si la situation est en adéquation avec le domaine d'application temporel et matériel restrictif de la loi : une fausse information diffusée pendant les trois mois de campagne électorale de certaines élections nationales générales de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne.

En dehors du référé, on peut noter également de larges pouvoirs de police administrative accordés au Conseil supérieur de l’audiovisuel et une volonté d'éduquer la population au discernement viral dans de futurs programmes scolaires. Le problème de la désinformation dans sa globalité se résout avant tout en amont du procès.

Quels sont les risques particuliers liés à cette procédure ?

Tout et son contraire a pu être dit sur le référé « fake news » : qu'il était liberticide et en même temps inutile car intervenant en doublon de dispositifs existants. Le référé « fake news » a toute son utilité au sein des dispositifs urgents existants (référés spéciaux : référé Internet : L. n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), art. 6, I, 8 , référé presse : L. du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse, art. 50-I) et par rapport aux référés généraux (C. pr. civ., art. 808 et 809, al. 1er ) en raison de l'originalité de l'intérêt protégé (la sincérité du scrutin), du régime dérogatoire et de la qualité des défendeurs. Le texte est toutefois tellement restrictif (par exemple les tweets isolés malveillants diffusant des infox restent hors de son champ) qu'il donne l'impression qu'il sera très peu appliqué, ce qui supprime de facto le caractère liberticide de la loi.  

Le risque d'encombrement de la chambre de la presse du TGI de Paris est aussi invoqué en raison du bref délai de délivrance de la décision (48 heures) et de la fenêtre courte d'intervention du référé (3 mois). Il faut surtout souligner le risque stratégique que présente le nouveau dispositif. Son utilisation doit être maîtrisée. Le demandeur ne peut agir que s’il est sûr que le juge des référés peut, dans le cadre de ses pouvoirs, faire cesser la diffusion de la fausse nouvelle et qu’il dispose des éléments de preuve permettant au juge de se prononcer sur la mesure (car c’est bien-sûr sur le demandeur que pèse la charge de la preuve des deux conditions). Sinon, le demandeur, en voyant son référé rejeté fait le jeu de l'auteur de l'infox, renforcé par une sorte de sentiment d'impunité et susceptible d'instrumentaliser le rejet en référé pour faire croire que l’information donnée était vraie.

Quelles en sont les applications récentes ?

La première et unique application du texte est issue d'un jugement du TGI de Paris du 17 mai 2019. Une députée européenne et un sénateur ont assigné Tweeter France aux fins de retrait d'un tweet écrit par Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, en réaction à une intrusion de manifestants dans l’enceinte d'un l’hôpital parisien : « Ici à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République ».

Particulièrement bien motivée, la décision du TGI de Paris est intéressante tant sur la procédure que sur l'application des conditions du texte.  

Quant à la procédure, quatre éléments sont notables. D'abord, le délai de 48 heures à compter de la saisine n'a pas été respecté bien qu'une célérité de traitement a été assurée : la saisine a eu lieu le 10 mai, l'audience le 16 et le jugement le 17. Ensuite, la demande présentée contre Tweeter France a été jugée irrecevable car ce dernier, n'étant pas hébergeur, n'est pas un défendeur qualifié, contrairement à Tweeter dont le siège est en Irlande, qui s'était porté intervenant volontaire. Christophe Castaner est également intervenu volontairement à l'instance. Enfin, signalons que la décision prise n'est pas une ordonnance mais un jugement de référé pris par une collégialité de trois juges en application de l'article 487 du Code de procédure civile.

La décision rejette la demande portée contre Tweeter. Le tweet du ministre n'est tout d'abord pas une infox mais un simple « message exagéré portant sur des faits réels » exclusif d’une imputation inexacte ou trompeuse. Un tweet isolé n’est ensuite pas considéré comme viral car non massif : réalisé hors travail des bots et hors contenus sponsorisés, payés pour que des tiers humains étendent artificiellement la diffusion de l’information. Enfin, le tweet n'a pas pu altérer le scrutin, n'ayant « pas occulté le débat puisqu’il a été immédiatement contesté ».

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ?

Je me souviens du temps de la révision des partiels. Il faisait toujours beau et chaud, j'avais l'impression de gâcher mes journées en m'enfermant entre quatre murs. J'avais une méthode bien à moi pour m’entraîner : en plus d'écumer les annales, j'inventais des sujets susceptibles selon moi de tomber. Bilan de ces cinq années d'examens : aucun de mes « sujets » n'a connu la consécration des partiels ! Ma carrière de medium était compromise mais mes méthodes juridiques ont été renforcées !  

Quelle est votre héros de fiction préférée ?

J'ai plutôt des héroïnes, dont beaucoup issues de la Pop culture. Intelligente, volontaire, progressiste et végétarienne, Lisa Simpson figure en numéro 1. J'aime aussi beaucoup Arya de Games of Thrones pour son courage et Jeanne Picquigny, l'héroïne BD de Fred Bernard.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Heureusement que dans la « vraie vie », nous n'avons pas à choisir parmi les différents « droits de l'humain » (expression que je préfère car étant davantage inclusive) ! Je recommande d'ailleurs la lecture de la déclaration des droits de la femme d'Olympe de Gouge.

Le droit d'aller et de venir, le droit d'expression et le droit de manifestation me paraissent essentiels car ils conditionnent tous les autres.

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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