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[ 31 janvier 2019 ] Imprimer

La notion de « parent biologique »

Une personne mariée à une femme ayant obtenu la modification de la mention de son sexe à l’état civil afin d’être juridiquement reconnue comme une femme a, postérieurement à cette modification, procréé charnellement avec son épouse. À l’occasion d’un arrêt rendu le 14 novembre 2018, la cour d’appel de Montpellier a reconnu cette femme transsexuelle comme le « parent biologique » de l’enfant ainsi engendré. Victor Deschamps, auteur d’une thèse intitulée Le fondement de la filiation : étude sur la cohérence du Titre VII du Livre premier du Code civil, rédigée sous la direction du professeur Dominique Fenouillet et soutenue en novembre 2018 au sein de l’Université Paris 2, a bien voulu répondre à nos questions. 

Comment est-il possible que deux personnes du même sexe puissent donner naissance à un enfant ?

A priori, l’idée même d’un engendrement charnel au sein d’un couple de personnes de même sexe peut sembler surprenante, les relations sexuelles homosexuelles étant stériles par nature. Pourtant, les récentes évolutions de notre législation en matière de transsexualisme permettent à deux personnes appartenant juridiquement au même « sexe » d’engendrer charnellement un enfant. L’article 61-5 du Code civil issu de la loi du 18 novembre 2016 prévoit en effet que toute personne « qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification ». Surtout, rompant avec la jurisprudence antérieure, l’article 61-6 énonce que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ». Désormais, un homme peut donc obtenir la modification de la mention de son sexe à l’état civil tout en conservant son pénis et ses spermatozoïdes. De même, une femme peut obtenir la modification de la mention de son sexe tout en conservant son utérus et ses ovaires. Il est ainsi envisageable qu’une personne juridiquement reconnue comme une femme procrée charnellement avec une autre femme, ou qu’une personne juridiquement reconnue comme un homme procrée charnellement avec un autre homme. 

Quelles sont les difficultés soulevées par cette situation ?

En l’espèce, la parente transsexuelle souhaitait faire établir un lien de filiation maternelle afin d’être désignée en qualité de mère dans l’acte de naissance de l’enfant. Cependant, les juges de première instance refusèrent de faire produire effet à sa reconnaissance de maternité estimant que le droit français ne permet pas l’établissement d’un double lien de filiation maternelle en dehors du cadre de l’adoption. La difficulté tenait donc au caractère « hétérosexué » de la filiation du Titre VII du Livre premier du Code civil. La filiation maternelle de l’enfant ayant été établie à l’égard de la femme qui l’avait mis au monde, comment établir un second lien de filiation à l’égard de son épouse et comment désigner celle-ci dans l’acte de naissance ? Fallait-il tenir compte de son sexe d’origine, établir un lien de filiation paternelle et la désigner comme père, ou fallait-il au contraire tenir compte de son nouveau sexe, établir un lien de filiation maternelle et la désigner comme mère ? Une telle question a été laissée sans réponse par le législateur. Informé de la difficulté, il s’est contenté d’affirmer que la modification de la mention du sexe d’une personne est sans incidence sur les liens de filiation établis avant cette modification, sans envisager la situation des enfants engendrés après cette modification (C. civ., art. 61-8). Compte tenu de ce vide juridique, de la complexité de la situation et du caractère contradictoire des intérêts en présence, les juges de la cour d’appel de Montpellier ont choisi d’établir judiciairement la filiation et ont ordonné que la parente transsexuelle soit désignée en qualité de « parent biologique » dans l’acte de naissance de l’enfant. 

La notion de « parent biologique » utilisée par la cour d’appel de Montpellier est-elle inédite ? 

En elle-même, la notion de « parent biologique » n’est pas inédite. Les juristes l’emploient fréquemment dans un sens factuel pour désigner le géniteur ou la génitrice d’un enfant. En revanche, ce qui est inédit, c’est son utilisation dans un acte de naissance en lieu et place du terme « père » ou « mère ». Pour la cour d’appel de Montpellier, cette innovation prétorienne était justifiée par la nécessité de concilier l’intérêt de l’enfant à voir sa filiation établie d’une part et le respect de la vie privée de sa parente transsexuelle d’autre part. Excluant l’établissement d’un double lien de filiation maternelle tout en refusant d’imposer à la parente transsexuelle un retour à son sexe d’origine via une reconnaissance de paternité, les juges montpelliérains ont choisi d’établir judiciairement une filiation « neutre », ni paternelle ni maternelle. C’est cette asexuation de la filiation qui les a conduits à recourir au terme générique de « parent » afin de désigner la requérante dans l’acte de naissance de son enfant, tout en insistant sur la réalité « biologique » du lien les unissant. Cette innovation est doublement problématique. D’abord, parce que le caractère inédit de la mention d’un « parent biologique » risque de jeter le trouble sur l’acte de naissance de l’enfant et de révéler à tous la transsexualité de l’un de ses parents, en violation du droit au respect de la vie privée des personnes concernées. Ensuite, parce que les termes « père » et « mère » présents dans les actes de l’état civil renvoient moins aux liens biologiques unissant l’enfant à ceux qui l’ont engendré qu’aux liens juridiques légalement établis entre ces derniers. Recourir à la notion de « parent biologique » dans un acte de naissance introduit ainsi un risque de confusion entre la filiation – lien de droit devant être légalement établi – et la parenté – lien de fait devant être prouvé pour permettre l’établissement de la filiation. 

Quels sont les enjeux de cette création jurisprudentielle ?

En ayant recours à la notion de « parent biologique », la cour d’appel de Montpellier a esquivé la question qui lui était posée à titre principal : comment établir la filiation de l’enfant à l’égard de sa parente transsexuelle ? La voie d’un établissement judiciaire n’étant pas satisfaisante, plusieurs options peuvent être envisagées afin d’appréhender cette situation de manière plus cohérente. On pourrait tout d’abord considérer que le fait pour un transsexuel de procréer grâce à ses organes sexuels entraîne la caducité de son changement de sexe et lui impose d’établir une filiation conforme à son état civil originel. Esquissée à demi-mot par les juges de première instance, cette solution serait regrettable au regard de la stabilité de l’état des personnes et sans doute jugée attentatoire à la vie privée des personnes concernées. On pourrait ensuite envisager que la modification de la mention du sexe d’une personne à l’état civil soit sans incidence sur le terrain de la filiation, qu’il s’agisse des enfants engendrés avant ou après cette modification. Retenue par nos voisins allemands, cette solution nous conduirait à opérer une distinction entre la notion de « sexe » – génétique et physiologique, objectif et immuable, lié à la procréation et à la filiation, mentionné dans l’acte de naissance de l’enfant – et celle de « genre » – psychologique et social, subjectif et variable, mentionné dans l’acte de naissance du parent. On pourrait enfin envisager d’asexuer les modes d’établissement de la filiation du Titre VII du Livre premier du Code civil en supprimant toute référence aux père et mère pour ne plus viser que les « parents ». Cette remise en cause du caractère hétérosexué de la filiation permettrait ainsi de rattacher juridiquement un enfant à deux parents du même « sexe », notamment au moyen d’une reconnaissance de « parenté ». 

Le législateur va-t-il, selon vous, se saisir de la notion de « parent biologique » dans les prochaines lois bioéthiques ?

Je ne le pense pas. Si le législateur décidait d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes comme cela a été annoncé, les problématiques seraient différentes de celles soulevées en matière de transsexualité. En effet, lorsque deux femmes sollicitent une assistance médicale à la procréation, elles doivent nécessairement recourir au sperme d’un tiers donneur. Par conséquent, l’une d’entre elles n’est pas liée « biologiquement » à l’enfant qu’elle appelle à la vie. Loin de mettre l’accent sur la dimension biologique de la parenté, cette évolution impliquerait au contraire une diversification des figures de la maternité et nous imposerait d’admettre qu’un enfant peut être engendré volontairement par deux femmes. Quant au donneur, simple géniteur, il ne saurait être regardé comme un parent, même qualifié de « biologique ». Une telle remise en cause des structures élémentaires de notre système de parenté rendrait nécessaire une évolution du droit de la filiation. Parce qu’un enfant pourrait avoir deux « mères », il faudrait admettre l’établissement d’un double lien de filiation maternelle, ce qui rendrait inutile le recours à la notion de « parent biologique » en cas d’engendrement charnel par une personne transsexuelle. La « neutralisation » des modes d’établissement de la filiation permettrait ainsi de reconnaître juridiquement comme parent toute personne ayant engendré un enfant, quel que soit son sexe – homme ou femme – et quel que soit son genre – masculin ou féminin. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

L’un des souvenirs ayant marqué ma vie d’étudiant remonte à mon premier TD de droit constitutionnel. Un camarade de classe qui allait devenir l’un de mes meilleurs amis était arrivé en costume/cravate. Paraissant bien plus âgé que les autres étudiants, il s’était fait passer pour le chargé de TD et nous avait fait entrer en classe avant de s’asseoir derrière le bureau jusqu’à l’arrivée du vrai chargé de TD. 

Quel est votre héros de fiction préféré ? 

Il s’agit de Perceval, chevalier de la table ronde issu de la série télévisée Kaamelott, tant pour sa loyauté sans faille envers le roi Arthur que pour ses tirades devenues légendaires. 

Quel est votre droit de l’homme préféré ? 

La dignité, car elle est inhérente à notre humanité et constitue, ainsi que le rappelle le Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». 

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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