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La parole des militaires
La tribune signée par des militaires en avril 2021 dans le magazine Valeurs actuelles est-elle un acte particulièrement singulier ? Ou est-elle révélatrice d’une évolution contemporaine de leur statut ? C’est Jean-Christophe Videlin, professeur de droit public, doyen de la Faculté de droit de Grenoble, auteur de Droit de la défense nationale (Bruylant), qui a la gentillesse de nous répondre.
Quelles sont les particularités du statut des militaires ?
Il faut reprendre le Code de la défense pour mesurer les particularités du statut des militaires qui s’appuie sur cinq obligations : « L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité » (C. défense, art. L. 4111-1). Par conséquent, « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint » (C. défense, art. L. 4121-1). Ce statut répond au but général de défendre le territoire national et ses ressortissants. Tout en découle. Pour prendre un seul exemple, la discipline est très stricte, car un ordre ne peut être contesté afin de garantir la réalisation de la mission… Dans la formation militaire, ce statut particulier se traduit par l’objectif des instructeurs de faire « disparaître » l’individu pour le transformer en un élément d’un groupe, c’est ce dernier qui compte.
Ce « cantonnement juridique », selon la formule du doyen Hauriou, est-il aujourd’hui en adéquation avec la Convention européenne des droits de l’homme ?
La formule du « cantonnement juridique » est exemplaire de synthèse, mais elle est en partie datée. Le droit français a évolué, depuis cette citation (début xxe siècle), permettant ainsi aux militaires de voter, de se marier sans l’autorisation de leur supérieur, de s’exprimer (dans un cadre strict), et plus récemment d’être un élu municipal ou intercommunal. Dès lors, à se reporter à la Convention européenne des droits de l’homme, le statut des militaires apparaît en adéquation globalement. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné en 2014 la France, car elle interdisait les syndicats militaires. En fait, la Cour a jugé conforme le statut dérogatoire des militaires, qui n’est pas propre à la France, et elle a seulement sanctionné le principe général d’interdiction de toute forme de regroupements institutionnels de militaires. On peut penser que le régime des arrêts militaires, et certaines de ses modalités, pourrait être remis en cause par la Cour, même si le juge constitutionnel a eu l’occasion de le juger conforme à la Constitution.
Qu’est-ce que le devoir de réserve impose plus particulièrement ?
Les militaires ne peuvent s’exprimer « qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression » (C. défense, art. L. 4121-2). L’expression des militaires n’est donc pas interdite mais elle doit respecter neutralité et loyalisme. Cette restriction à l’expression a amené l’armée à être qualifiée de « grande muette ». Ces obligations attachées à tout agent public sont renforcées pour les militaires. La réflexion prospective sur la politique de défense est autorisée mais la contestation de l’action militaire et du pouvoir civil ne l’est pas. Le devoir de réserve stricte des militaires s’explique par la soumission de l’armée au pouvoir civil. La Constitution l’énonce implicitement – Le chef de l’État est le chef des armées – et explicitement par le Conseil constitutionnel.
Faut-il craindre les militaires d’active évoqués par les signataires de la tribune ?
C’est une question plus politique et sociologue que juridique. On peut dire en tout cas que les militaires devraient être juridiquement sanctionnés, mais il n’est pas certain que le ministère de la défense le souhaite pour les militaires d’active. Le ministère doit prendre en compte certaines données, l’une d’elle est « politicienne », les militaires semblent voter déjà en grand nombre pour l’extrême droite (des données empiriques permettent de le penser), les auteurs ne doivent pas devenir des « martyrs ». Par ailleurs, le ministère sait depuis longtemps qu’il y a un courant catholique-traditionnaliste-identitaire au sein des armées qui ne comprend pas les évolutions de l’armée, féminisée et plurielle. Il est minoritaire mais assez bien introduit. Dans un sens, il s’est révélé au grand jour mais ce n’est pas une nouveauté…
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Cela peut surprendre, mais je ne me remémore pas de « meilleur » souvenir. J’ai néanmoins conservé des amis connus en première année de droit. En soi, c’est un beau souvenir de se dire que des amis fidèles ont été rencontrés à ce moment de votre vie. À ce titre, comme Doyen, j’insiste toujours sur le fait qu’être étudiant, c’est construire sa vie future, professionnelle évidemment mais aussi personnelle. Par ailleurs, certains enseignants m’ont marqué en bien et en moins bien. Mais ils avaient tous un point commun : l’engagement dans leur métier. J’ai été nourri par ce message que l’enseignement supérieur imposait sérieux et engagement dans son travail. Cela correspondait à mon caractère. De fait, j’ai été heureux pendant mes années d’études, c’est finalement cela mon meilleur souvenir.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Tout dépend de l’âge auquel je me réfère. Car, pour le cinéma, mon grand âge fait que j’ai vu au cinéma le premier film de la Guerre des étoiles (c’était révolutionnaire et la princesse Leïa m’apparaissait héroïque), ou un peu plus tard Indiana Jones… J’ai aussi un faible pour James Bond mais uniquement avec Sean Connery ou Daniel Craig. Je précise que je ne suis pas un casse-cou dans la vie… et j’ai le vertige. Cela me permet donc d’être un aventurier par procuration ! Pour la littérature, j’apprécie grandement un personnage peu connu qui est Barbara Harvers, policière anglaise… brillante, à l’instinct inégalée et complètement « foutraque » dans sa vie personnelle. Je laisse les curieux chercher de quelle série de livres le personnage est tiré… Et je ne vous parle pas des Bandes dessinées…
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le principe d’égalité est, pour moi, la matrice des droits de l’homme. S’il avait été respecté, notre société n’aurait pas autant été modélisée pour satisfaire les besoins et les stéréotypes masculins. La proportion majoritaire de femmes dans les études de droit et, à terme, dans les métiers du droit laisse espérer sur la durée des évolutions permettant de renforcer les droits et la protection des femmes. Ce principe permet plus généralement de fonder le respect et la bienveillance entre les uns et les autres, de quelles nationalité, religion, couleur de peau que ce soient… L’égalité se meurt dans l’agressivité et la peur de notre société, nourries par certains pompiers-pyromanes aux intérêts personnels bien pensés.
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