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La police du cinéma
Récemment les juridictions administratives se sont prononcées sur la classification de certains films et notamment sur La vie d’Adèle, Sausage Party ou encore Antichrist. Dalloz Actu Étudiant a souhaité en savoir plus sur la police du cinéma. C’est Camille Broyelle, professeur en droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), qui a bien voulu nous répondre.
Quels sont les principes en matière de police du cinéma ?
La police du cinéma concerne la projection des films qui a toujours été soumise à un régime d’autorisation administrative préalable. Le droit est aujourd’hui régi par le Code du cinéma et de l’image animée (art. L. 211-1 et R. 211-12). Tout d’abord, le ministre de la Culture peut refuser purement et simplement d’autoriser l’exploitation d’un film en salle au nom « du respect de la dignité humaine ». Depuis l’entrée en vigueur du code, aucun refus n’a été opposé mais la dignité ayant récemment fondé l’interdiction de spectacles (affaire « Dieudonné » de janv. 2014), on peut penser qu’il ne s’agit pas d’un cas d’école. Ensuite, le ministre est chargé au nom de la « protection de l’enfance et de la jeunesse » d’accorder des visas d’exploitation, destinés à détourner certains films d’un public qu’il pourrait heurter. Le ministre peut ainsi accorder un visa assorti de la mention « tous publics », ou accompagné d’une interdiction aux moins de 12 ans, aux moins de 16 ans, aux moins de 18 ans, ou aux moins de 18 avec classement X, s’agissant des films « pornographiques ou d’incitation à la violence ».
Quels sont les principaux acteurs de la police du cinéma ?
En dehors du ministre de la Culture et de la commission de classification qui est saisie au préalable pour avis (cette commission est instituée au sein du CNC : centre national du cinéma et de l’image animée), l’association Promouvoir, à l’initiative de quasiment tous les recours, est aujourd’hui l’un des principaux acteurs de la police du cinéma. Ses actions ont radicalement modifié la facture du contentieux : avant son entrée en scène, dans les années 1990, les recours sont exercés par les sociétés de production ou de distribution et concernent des classements jugés trop sévères. Depuis les années 1990, les recours visent à contester des visas considérés comme trop permissifs.
Il est important de mentionner le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui, par voie de recommandation, demande aux chaînes de renforcer les classifications ministérielles et impose d’exclure de la diffusion en première partie de soirée les films « déconseillés aux moins de 12 ans ». Les chaînes étant les principaux financeurs des films et leurs ressources provenant essentiellement de la publicité (s’agissant du moins des chaînes privées), elles n’ont aucun intérêt à financer des films susceptibles de faire l’objet de visas restrictifs. La police du cinéma, telle qu’elle est actuellement conçue, produit ainsi des effets très concrets sur la création artistique. Elle constitue un facteur d’assèchement.
Quelles principales évolutions a connu cette police administrative au fil du temps ?
Depuis la charge contentieuse menée par l’association Promouvoir, le droit positif est entré dans une mécanique infernale. L’exigence de proportionnalité commande de retenir la classification la plus adaptée à l’œuvre et à l’effet qu’elle est susceptible de produire sur le public ; elle conduit à la création de nouvelles catégories. L’exigence de prévisibilité et l’embarras que suscitent des critères de classification totalement subjectifs engendrent la formulation de critères objectifs que brandit alors l’association Promouvoir pour obtenir des classifications plus restrictives, pour les films qui se situent à la marge. Pour s’en libérer, de nouvelles grilles d’appréciation, plus souples, sont dégagées qui certainement feront l’objet d’une systématisation qui appellera de nouveaux critères. C’est dans cette mécanique que s’inscrit le décret du 8 février 2017 (n° 2017-150) qui tente de mettre fin au classement automatique « interdit aux moins de 18 ans » des films présentant des scènes de sexe non simulées.
Que vous évoquent les décisions récentes sur les films La vie d’Adèle, Sausage Party et Antichrist ?
Personnellement, je suis d’accord avec les appréciations menées au sujet de La vie d’Adèle (le Conseil d’État a jugé, le 28 septembre 2016, que l’interdiction aux moins de 12 ans était suffisante, n° 395535) et de Sausage Party (je parle de la décision du tribunal administratif de Paris statuant en référé le 14 décembre 2016 qui a jugé suffisante l’interdiction aux moins de 12 ans, n° 1620779/9, 1620839/9 ; la décision a été annulée en cassation, le 8 mars 2017, pour d’autres motifs qui ne remettent pas en cause cette appréciation, n° 406387). Je suis en revanche en désaccord avec l’appréciation retenue à propos de Antichrist (le Conseil d’État a considéré, le 13 janvier 2017, qu’une interdiction aux moins de 16 ans était insuffisante, n° 397819) mais en réalité mon avis est sans grand intérêt. Ces décisions, comme les précédentes, indiquent surtout qu’il est impossible et pas souhaitable de dégager des critères de classification consensuels. Au regard des effets engendrés par les visas, singulièrement sur la politique de financement des chaînes de télévision, cet aléa n’est pas acceptable. Il faudrait supprimer purement et simplement le mécanisme actuel. Sans doute pas la classification elle-même dans la mesure où elle constitue pour le public un élément d’information qui, bien que relatif, est de nature à le guider. Mais l’interdiction à telle et telle catégorie de public, à laquelle la classification s’adosse, devrait être supprimée.
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