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La prolongation de plein droit des détentions provisoires en raison de l’état d’urgence sanitaire
Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Gouvernement, habilité par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, a adapté par une ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 les règles de procédure pénale. Les détentions provisoires sont notamment prolongées de plein droit. Jean-Baptiste Perrier, professeur à Aix Marseille Université, directeur de l’Institut des sciences pénales et de criminologie, a bien voulu nous répondre sur cette mesure très controversée.
Quelles sont les modalités de la détention provisoire hors temps d’urgence sanitaire ?
Parce qu’il s’agit d’une atteinte grave à la liberté individuelle et parce qu’elle concerne des personnes qui n’ont pas encore été définitivement jugées, la détention provisoire fait l’objet d’un encadrement strict. Depuis la loi du 15 juin 2000, elle est prononcée par le juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d’instruction, uniquement si elle est l’unique moyen de parvenir à certains objectifs fixés par l’article 144 du Code de procédure pénale. Le dispositif prévu organise ainsi un double regard sur la détention provisoire, même si certains considèrent que le juge des libertés et de la détention regarde souvent dans le même sens que le juge d’instruction.
Une fois prononcée, la détention provisoire doit ensuite être régulièrement réexaminée, afin de vérifier qu’elle est toujours nécessaire. Ce contrôle peut d’abord avoir lieu à l’initiative de la personne détenue, qui peut à tout moment demander sa mise en liberté. Ce contrôle doit surtout avoir lieu de façon périodique, lors du renouvellement de la mesure. Ainsi, en matière correctionnelle, la détention provisoire est prononcée pour une durée de quatre mois, renouvelable pour la même durée sous certaines conditions, ce qui signifie que tous les quatre mois au plus, la nécessité de la privation de liberté est réexaminée. De même, en matière criminelle, la détention provisoire est prononcée pour une durée d’un an, renouvelable ensuite pour une durée de six mois sous certaines conditions. On retrouve encore ce contrôle périodique de la mesure, conformément aux exigences constitutionnelles et conventionnelles relatives à la privation de liberté.
Que prévoit l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 ?
Afin de lutter contre la propagation du virus covid-19, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à adapter par voie d’ordonnance des pans entiers de notre droit, et notamment la procédure pénale. À cette fin, l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 a introduit de nombreux mécanismes dérogatoires et provisoires, pour permettre le recours à la visioconférence en toute hypothèse, pour allonger les délais de recours, pour faciliter les échanges à distance, etc. Dans cette perspective, et pour tenir compte du ralentissement de l’activité judiciaire, l’article 16 de l’ordonnance a prolongé, de plein droit, les délais maximums de détention provisoire et d’assignation à résidence sous surveillance électronique. Ainsi, lorsque la peine encourue était inférieure ou égale à cinq ans, la durée maximale de la mesure privative de liberté était prolongée, de plein droit, de deux mois ; lorsque la peine encourue était supérieure à cinq ans, la durée maximale de la détention provisoire était prolongée de trois mois, et lorsque la peine encourue était de nature criminelle ou lorsque l’affaire était en attente d’audiencement devant la cour d’appel en matière correctionnelle, la durée maximale était prolongée de six mois.
On comprend donc que les dispositions introduites étaient particulièrement dérogatoires, puisque les durées de détention sont considérablement allongées. Mais il était très difficile de savoir quel était le sens précis de cette disposition. Une prolongation de plein droit signifie-t-elle une prolongation sans le juge ? Cette prolongation s’applique-t-elle également lorsque la détention provisoire peut encore être renouvelée ? À ces deux questions, une circulaire du 26 mars 2020 et un courrier électronique du 27 mars 2020 ont répondu par la positive, ce qui n’a pas manqué d’être contesté devant les plus hautes juridictions.
Comment le Conseil d’État et la Cour de cassation ont-ils réagi à cette mesure ?
S’il faut rappeler que ces deux juridictions n’ont pas été saisies de la même demande, le Conseil d’État statuant sur la légalité de la circulaire, la Cour de cassation statuant sur la conventionnalité de la situation des requérants, il n’en demeure pas moins qu’elles ont rendu des solutions tout à fait différentes.
Dans plusieurs arrêts du 3 avril 2020 (n°s 439894 et 439877, 439887, 439890, 439898), fort critiquables, le Conseil d’État a rejeté les recours formés par plusieurs syndicats et associations contre la prorogation de plein droit de la détention provisoire, validant ainsi son allongement automatique sans débats ni intervention du juge judiciaire.
En revanche, dans deux décisions du 26 mai 2020, la Cour de cassation indique que cette prolongation sans juge méconnaît les exigences de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. La chambre criminelle sauve l’honneur, mais elle n’indique pas que toutes les prolongations automatiques sont contraires au droit européen des droits de l’homme. Selon la Cour de cassation, cette contrariété n’a lieu que lorsque la juridiction saisie a refusé de statuer et lorsqu’aucune juridiction ne s’est prononcée dans un délai rapproché à compter de l’expiration du titre de détention. La chambre criminelle précise alors qu’un tel délai « ne peut être supérieur à un mois en matière délictuelle et à trois mois en matière criminelle » et après une condamnation en première instance, « cette limite est portée à trois mois en matière tant correctionnelle que criminelle ». Elle considère par ailleurs que cette solution concerne également les prolongations intermédiaires, lorsque la détention provisoire pouvait être prolongée en application du Code de procédure pénale, car l’ordonnance du 25 mars 2020 s’applique dans ces hypothèses. La Cour de cassation s’efforce donc de limiter les conséquences de l’inconventionnalité, mais la réaffirmation des principes et du nécessaire contrôle des mesures privatives de liberté par le juge judiciaire est appréciable.
Faut-il craindre une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme ?
La réponse à cette question est difficile car la Cour européenne des droits de l’homme opère toujours un contrôle concret de la situation du requérant. Lorsqu’elle est saisie d’une telle situation, et il est probable qu’elle le sera ici, elle vérifie si l’intéressé a pu ou non voir sa privation de liberté examinée par un juge dans un délai raisonnable, à un « rythme raisonnable ». De ce point de vue, la position européenne n’est pas très différente de celle retenue par la Cour de cassation le 26 mai 2020. Reste à voir si le délai européen correspond ou non aux délais rapprochés déterminés par la Cour de cassation. Sur ce point, la Cour européenne a déjà pu indiquer qu’un délai de quatorze mois sans examen par le juge était excessif, et il faudra vérifier que les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 n’aient pas conduit à une telle situation. Mais si tel est le cas, il est aussi envisageable que la Cour européenne tienne compte des circonstances particulières liées à l’épidémie pour assouplir son contrôle.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J’ai beaucoup d’excellents souvenirs de cette période, notamment les rencontres faites et les amitiés nouées, mais s’il faut retenir un souvenir d’étudiant, je choisirai ma soutenance de thèse. Peut-être parce que c’est le dernier car après la soutenance, on n’est plus étudiant. Mais surtout parce que je défendais, bien plus qu’au cours de mes premières années d’études, mes positions, mes analyses, le fruit de ma réflexion. Au cours du cursus universitaire, rien n’a été aussi personnel que le travail de thèse et ne demande autant d’investissement, donc la soutenance est un moment empli de doutes et de fierté, de nostalgie et d’espoir.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Younes, le héros du roman de Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit. C’est un roman exceptionnel, où le lecteur suit le parcours d’une vie, les joies et les peines de Younes, mais aussi son regard sur la guerre qui éclate et sur les injustices. Et Hermione Granger, qu’on ne présente pas. Ce n’est pas l’héroïne principale, mais sans elle, l’aventure aurait vite tourné court. Surtout, si elle n’est qu’une « moldue », elle montre que le savoir est sans doute le plus grand des pouvoirs.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
L’égalité. Pour moi, de ce droit découlent tous les autres. Si je reconnais l’autre comme mon égal, je ne peux l’asservir, l’avilir ou lui causer préjudice. Et je dois aussi faire preuve de solidarité, pour que celui ou celle que je reconnais comme mon égal ne se trouve pas dans une situation où il serait défavorisé. Mais l’égalité ne doit pas être seulement le résultat d’un calcul arithmétique, elle se teinte d’équité pour que chacun et chacune ait les mêmes chances et les mêmes opportunités.
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