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La propriété publique
Eau : Propriété publique ? Propriété privée ? Les temps le demandent et l’Association française pour la recherche en droit administratif (AFDA) s’interroge pour nous sur la notion de propriété publique lors du colloque de Montpellier dont les actes viennent de paraître. Benoit Plessix, professeur à l’Université Paris II Panthéon – Assas, président de l’association, a bien voulu répondre à quelques-unes des nombreuses questions que le thème porte.
Quelles sont les différences entre la propriété publique et le domaine public ?
La distinction a longtemps été ignorée ou mal perçue. Elle structure aujourd’hui tout le droit contemporain des biens publics. La propriété publique désigne la nature du droit (réel) que les personnes publiques, quelles qu’elles soient (État, collectivités territoriales, personnes publiques spéciales) exercent à l’égard de biens (quels qu’ils soient, matériels ou immatériels, immobiliers ou mobiliers). Un bien public est ainsi toute chose propriété d’une collectivité publique. En revanche, le domaine public – ou plutôt la domanialité publique devrait-on dire – désigne un régime d’affectation applicable, parmi les biens publics, à ceux qui sont grevés d’une affectation à l’utilité publique et qui, pour cette raison, sont soumis à un régime original et distinct du droit privé destiné à garantir cette affectation.
Le terme de propriété publique (propriété destinée donc à exclure les tiers) est-il conciliable avec les objectifs du droit public (service public, principe d’égalité devant les charges publiques, intérêt général, etc.) ?
C’est toute la problématique de cette vision aujourd’hui plus patrimoniale que domaniale, que certains regrettent, soulevant le paradoxe de biens affectés à l’utilité de tous mais appartenant à un seul. Mais les partisans de la vision propriétariste ont beau jeu de rappeler que la nature du lien d’appartenance entre un bien et une personne ne préjuge en rien du régime applicable. Avec son régime exorbitant, ses principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, ses pouvoirs de conservation et de gestion détenus par tout affectataire, avec le régime répressif des contraventions de voirie, avec le respect des exigences de continuité et d’égalité des biens du domaine public affectés à un service public, auquel le Conseil constitutionnel veille tout particulièrement, le régime applicable aux biens publics affectés à l’utilité publique ne serait en rien affecté par leur caractère de biens appropriés. Mieux même, ajoute-t-on, à la protection inhérente au régime de la domanialité publique, la propriété publique superpose ses propres garanties, applicables cette fois à tous les biens publics : insaisissabilité et incessibilité.
Quels sont les principaux apports du Code général de la propriété des personnes publiques ?
Le premier apport majeur est d’opérer une codification ! Le Code vient ainsi compiler des textes épars et écrire des jurisprudences connues des seuls spécialistes : il contribue assurément à une meilleure accessibilité et intelligibilité du droit. Son second grand apport, comme l’illustre son intitulé, c’est de consacrer en droit positif la logique patrimoniale au détriment de la logique domaniale. En dépit des affirmations des propriétaristes, ce n’est pas neutre, ce n’est pas rien, politiquement et économiquement : mettre l’accent sur l’affectation, c’est privilégier une logique de protection et de conservation ; mettre l’accent sur la propriété, c’est favoriser une logique patrimoniale fondée sur une marchandisation et surtout une meilleure valorisation économique de biens perçus comme sources de revenus pour les personnes publiques. À l’heure des déficits publics chroniques et des préceptes d’un meilleur management public, le choix n’est pas innocent.
Quels rapports entretiennent la propriété publique et la propriété privée ?
Ces rapports sont en fait minces. À l’égard de tous les biens publics, notamment ceux compris dans le domaine dit « privé », le droit de propriété est un : il n’est donc ni privé ni public mais transcende plutôt la summa divisio entre droit privé et droit public. Et pour les biens publics compris dans le domaine public, la propriété privée n’est guère un standard de référence pour les juristes publicistes puisque, pendant l’affectation publique du bien, l’abusus disparaît, puisque le bien est inaliénable et imprescriptible, la chose ne peut être affectée à un autre usus que celui impliquée par l’utilité publique, et le fructus est modifié en ce que la chose ne peut produire de fruits qu’autant que cela ne porte pas atteinte à l’affectation. Dans tous les cas, le publiciste est conduit, soit à transcender, soit à s’écarter de la propriété privée. Ce qui repose la question de savoir si le concept d’origine privatiste de propriété, en dépit de sa consécration par le Code, est totalement pertinent pour parler juridiquement de biens tels que la mer, les fleuves, les routes ou les ondes hertziennes. L’existence ancienne de choses communes ou plus récente de biens communs nous rappelle qu’il reste pourtant possible de penser l’affectation sans l’appropriation.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Mon premier cours de droit, en octobre 1990, à la Faculté de droit de Sceaux : c’était le cours d’introduction au droit et droit civil. À la différence de l’histoire, de la littérature ou de la philosophie enseignées au lycée, où l’on réalise le pouvoir fascinant mais déroutant des opinions et préférences purement personnelles et subjectives de ceux qui s’expriment et de ceux qui les commentent, le droit me fit brutalement découvrir un nouveau monde, celui des règles, des normes, des textes, issus d’une toute autre forme d’autorité – le pouvoir politique. Si le droit est bien un art de l’interprétation, on part toutefois nécessairement d’un texte qui vous est imposé de l’extérieur, qui vient d’en haut, qui cadre l’application et l’interprétation, et dont le contenu et la portée ne ressemblent à aucun autre. De là sans doute cette impression de rigueur et ce goût de l’art juridique pour les définitions, les explications, les classifications, qui m’ont tout de suite plu.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Charlot, parce qu’il incarne l’alliance, qui touche à la grâce, du rire et de l’émotion, et qu’il défie les puissants et les vaniteux. Et Antigone, non pas parce qu’elle préfère la loi naturelle à la loi de la cité, mais parce qu’elle parvient, par son acte, à faire apparaître Créon, le chef légitime, le pouvoir constitué, comme l’auteur isolé d’une décision inique par rapport à une conscience collective incarnée par un seul être. C’est la plus belle définition de la Résistance.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La « libre communication des pensées et des opinions », pour reprendre l’expression employée par notre Déclaration des droits, puisque, avant même d’être l’une des assises d’une société démocratique, c’est surtout le propre de l’humain, parmi tous les éléments du Vivant, de pouvoir exprimer ses pensées sous toutes les formes disponibles : « parler, écrire, imprimer librement », pour reprendre de nouveau les mots de l’article 10 de la Déclaration de 1789.
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