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La réclusion criminelle à perpétuité
La réclusion criminelle à perpétuité est la peine la plus lourde depuis que la peine de mort a été abolie en France par la loi du 9 octobre 1981. Évelyne Bonis, professeur à l’Université de Bordeaux, Institut de sciences criminelles et de la justice, a bien voulu répondre à nos questions sur la privation de liberté pour une durée indéterminée.
En quoi consiste la réclusion criminelle à perpétuité en France ?
La réclusion criminelle à perpétuité est une peine qui consiste dans le fait de retenir dans un établissement pénitentiaire une personne sans limitation de durée. En France, cette peine fait partie de l’éventail des peines prévues à l’article 131-1 du Code pénal qui peuvent être prononcées à l’encontre des auteurs d’infractions criminelles les plus graves à côté de la réclusion criminelle à temps qui est, selon les crimes, à 10, 15, 20 ou 30 ans. Elle est certes une peine d’une grande sévérité puisqu’elle lui impose d’être incarcéré pour le restant de sa vie, sauf à pouvoir bénéficier d’un aménagement de peine dans le cadre d’un processus judiciaire lorsqu’il est prononcé qu’il ne présente plus de risque pour la société mais elle ne place pas la France dans une situation particulièrement originale. Si quelques pays européens ont abandonné le principe d’une peine perpétuelle comme la Norvège, le Portugal, Saint-Marin, la Serbie, la Slovénie ou la Croatie, de nombreux pays conservent comme nous la possibilité de prononcer une peine privative de liberté à perpétuité. L’Espagne l’a même réintroduit depuis mars 2015 en créant une « prison permanente révisable ». La réclusion criminelle à perpétuité est donc une peine indéterminée conduisant à l’incarcération d’un détenu soit jusqu’à la fin de sa vie, soit jusqu’à une éventuelle sortie par le biais d’une décision de l’autorité judiciaire ou d’une autorité administrative. De multiples infractions font encourir à leur auteur cette peine aussi bien parmi les infractions contre l’État à et la paix publique tels que les crimes de terrorisme (C. pén., art. 421-7) mais aussi des infractions contre les personnes comme certains meurtres aggravés (C. pén., art. 221-1) et viols aggravées (C. pén., art. 222-26). Les infractions contre les biens n’échappent pas à la prévision d’une peine à durée indéterminée. Ainsi, certains vols aggravés font encourir la peine de réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 311-10), tout comme certaines formes de destructions, dégradations ou détérioration dangereuses pour les personnes (C. pén., art. 322-9).
Si dans son rapport général de 2016 sur la situation des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité, le Comité́ européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains a vivement critiqué le principe de telles peines qui « exclu[ent] l’une des justifications essentielles de l’emprisonnement en soi, à savoir la possibilité d’une réinsertion », la Cour européenne de droits de l’homme ne considère pas cette peine comme constituant, par elle-même, un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gr. ch., 12 févr. 2008, Kafkarys c/ Chypre, n° 21906/04). Toutefois, pour que cette peine soit conforme au droit européen encore faut-il que la personne puisse nourrir l’espoir de sortir avant la fin de ses jours. Elle ne doit donc pas être une peine incompressible. Le droit national doit prévoir un mécanisme de réexamen d’une telle peine afin de « rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention ».
Dans quels cas est-elle appliquée ?
Il faut bien prendre conscience que cette peine n’est pas seulement une peine encourue au sens d’une peine qui est prévue par les textes d’incrimination comme un maximum légal que le juge ne peut donc pas dépasser. Elle est belle et bien une peine que le juge peut prononcer et qu’il prononce. Selon les chiffres clé de la justice de 2019, 17 condamnations à une peine de réclusion criminelle à perpétuité ont été prononcées au cours de l’année 2018, essentiellement en répression d’infractions graves contre les personnes. Ce nombre est légèrement supérieur au nombre de condamnations identiques prononcées au cours des années précédentes. Elles étaient de 11 en 2017, 2016 et 2010 et de 16 en 2012. Un peu moins de 500 détenus purgent actuellement dans les prisons françaises une peine à perpétuité. Statistiquement, ces peines représentent une part assez faible des personnes détenues (aux environs de 1 % des peines en cours d’exécution de 5 ans et plus). Ces peines existent donc bel et bien et selon une recherche que nous avons conduit sur les longues peines (Rapport les longues peines, Mission Droit et justice, sept. 2020), elles ont du sens au moment de son prononcé car elle est le moyen pour la société de se protéger, de sanctionner les personnes gravement nuisibles à son fonctionnement. Toutefois, elles doivent aussi conserver du sens tout au long de leur exécution. Pour cela, la situation des détenus à de longue peine doit être réexaminée en cours d’exécution car on ne saurait les oublier pas plus qu’il n’est admissible qu’ils se fassent oublier des autorités en raison d’une sur adaptation carcérale fréquente chez les condamnés à de longues peines.
Quelles sont les modalités d’aménagements de la peine ?
Pour les peines de réclusion criminelle à perpétuité, la variété des aménagements de peine est plus réduite que pour les autres peines. Ainsi, le condamné à une peine de réclusion criminelle à perpétuité ne bénéficie pas de réductions de peine (il n’est ni accessible aux crédits de réduction de peine ni aux réductions supplémentaires de peine). En revanche, il peut prétendre à une réduction de son temps d’épreuve à savoir le délai au terme duquel il pourra prétendre à une libération conditionnelle, délai qui, pour eux est, en principe de 18 ans voire de 22 ans en cas d’infraction commise en état de récidive légale (C. pr. pén., art. 729). La procédure préalable à l’octroi d’une éventuelle libération conditionnelle est toutefois plus lourde que pour d’autres condamnés. Ainsi, ces condamnés devront nécessairement subir une évaluation pluridisciplinaire de leur dangerosité réalisée au Centre national d’évaluation avant tout examen de leur requête en libération conditionnelle par le tribunal de l’application des peines (C. pr. pén. art. 730-2). Préalablement à leur libération effective, la libération devra, si elle n’est pas accompagnée d’une surveillance électronique mobile, être précédée d’une période – allant d'un an à trois ans sans qu’elle puisse être exécutée avant la fin du temps d'épreuve – de semi-liberté, d’un placement à l’extérieur ou d’une mise sous surveillance électronique. Le condamné à la réclusion criminelle à perpétuité peut aussi bénéficier d’une suspension médicale de peine dès lors qu’il est atteint d’une pathologie engageant son pronostic vital ou que ses conditions de détention sont durablement incompatibles avec son maintien en détention (C. pr. pén., art. 720-1-1).
Quels sont les droits des détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité : droit civils et politiques, congé pénal, organisation dans la prison ?
Les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité disposent des mêmes droits que les autres détenus. De ce point de vue, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui définit les droits et devoirs des personnes détenues ne distingue pas selon la durée de leur peine ou leur lieu d’incarcération (art. 22 s.). Simplement, ils sont soumis à un régime de détention généralement plus sécuritaire au sein d’établissements pénitentiaires appelés maisons centrales. Ces structures équipées de systèmes de sécurité extérieurs visibles (filets anti aériens, miradors…) imposent une détention axée sur la sécurité (régime portes fermées en général) spécialement au début de l’exécution de la peine avant un possible transfèrement vers un centre de détention. Elles présentent néanmoins l’avantage d’être généralement plus récentes que les maisons d’arrêt où sont reçus les prévenus, mieux équipées et dotées de cellules individuelles.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J’utiliserai plus volontiers le pluriel que le singulier en pensant aux souvenirs de cours en troisième année notamment qui ne se bornaient pas à livrer des savoirs mais qui nous invitaient à nous poser des questions spécialement au regard de l’actualité et à prendre du recul par rapport à la manière dont les choses sont présentées dans les médias notamment.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Il est très difficile pour moi d’en citer un seul. Un livre lu récemment Les impatientes a particulièrement retenu mon attention pour ce que l’on apprend de la condition féminine au Sahel mais aussi et au-delà sur la complexité des rapports entre les membres d’une famille polygame et des rapports sociaux en général.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
La liberté de circulation en tout temps et tout lieu et peut-être plus encore en cette période de limitation liée à la crise de la covid-19.
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