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[ 22 novembre 2013 ] Imprimer

La réforme annoncée du droit de la famille

Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris I) et auteur d’un excellent manuel sur le droit des successions publié aux éditions Dalloz, Anne-Marie Leroyer est rapporteure du groupe de réflexion sur la filiation installé en octobre 2013 par Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille, dans le cadre de l’élaboration du projet de loi sur la famille. Elle a bien voulu répondre à nos questions sur cette réforme annoncée pour 2014.

Quelles situations réelles suscitent cette réforme du droit de la famille ?

Les situations familiales sont de plus en plus diverses : à côté de la famille traditionnelle, celle du couple vivant avec ses enfants, coexistent des familles monoparentales, recomposées ou encore homoparentales. Les dernières enquêtes de l’INSEE indiquent qu’un enfant sur dix vit dans une famille recomposée, le plus souvent avec sa mère et un beau-parent. L’INSEE met aussi en relief l’augmentation du nombre de grands-parents, attestant d’un véritable papy-boom : à 70 ans, huit personnes sur dix sont grands-parents, avec une moyenne de cinq petits-enfants après 75 ans. Or, ces grands-parents ont un rôle social, éducatif et économique très important auprès des petits-enfants.

Par ailleurs, la manière de faire un enfant a aussi considérablement évolué. Les progrès scientifiques liés à la maîtrise de la procréation, et spécialement à l’insémination artificielle avec donneur, ont profondément ébranlé la vision traditionnelle de la parenté et les règles de la filiation. En outre, depuis la dernière grande réforme de l’adoption de 1966, l’adoption a changé de visage et l’adoption internationale s’est, pendant un temps, largement développée. Certains des enfants ainsi conçus ou adoptés s’interrogent sur leur histoire et souhaiteraient avoir accès à ce qui est communément nommé leurs origines personnelles.

Quel est l’apport du droit à cette réflexion sociétale ?

Le droit ne peut pas continuer à ignorer la diversité des situations familiales, non plus d’ailleurs que la pluralité des modes d’établissement de la filiation. Mais il convient d’être prudent, car si l’on conçoit bien que les tiers beaux-parents, grands-parents ont aujourd’hui un rôle prépondérant auprès de l’enfant et qu’il est légitime d’envisager leurs droits et leurs devoirs, il apparaît aussi qu’il ne serait pas de l’intérêt de l’enfant d’être soumis à des droits de visite trop nombreux, au grés des désirs des adultes. Un compromis mérite d’être trouvé, la protection de l’enfant étant au cœur de la réflexion.

Comment s’organise votre travail au sein du groupe « Filiation, origines et parentalité » ?

La présidente Irène Théry, sociologue, a tenu à composer un groupe de travail aussi pluridisciplinaire que possible et qui réunit 25 personnes parmi les juristes, philosophes, anthropologues, historiens, démographes, médecins psychiatres et psychanalystes !

Nous organisons notre travail en séance plénière par thématiques, sollicitant pour chaque séance un exposé par les spécialistes des questions soulevées. Nous sommes au préalable éclairés par la large bibliographie que nous nous transmettons mutuellement.

Nous procédons également à de nombreuses auditions, afin d’entendre le point de vue des praticiens, avocats et magistrats spécialistes des questions de droit de la famille. Nous entendons aussi de très diverses associations, ainsi que les personnes qui travaillent auprès de l’enfance. Leurs précieuses observations complètent utilement la réflexion du groupe.

Que vous évoque le jugement du tribunal de grande instance de Lille d’octobre 2013 autorisant l’adoption plénière de deux enfants par la conjointe d’un couple homoparental ?

Il s’agit d’une première application de la loi n°2013-404 du 17 mai 2013 autorisant l’adoption de l’enfant du conjoint dans le cadre du mariage. On ne peut que se réjouir de cette décision, attestant que l’adoption de l’enfant du conjoint peut être prononcée relativement rapidement, puisqu’il n’y a ni demande d’agrément, ni placement. Le tribunal qui prononce l’adoption doit vérifier que l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant, ce qui est en général plus facilement retenu en présence d’une vie commune prolongée avec les enfants, comme en l’espèce. L’adoption de l’enfant du conjoint n’est donc jamais automatique, mais il faudra veiller en pratique à ce qu’elle ne soit pas plus difficilement prononcée au seul prétexte que le conjoint serait de même sexe que le parent.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Assise pour la première fois dans le grand amphithéâtre d’Assas, je vis à mon grand effroi l’éminent professeur de droit de la famille dont je buvais les paroles quitter l’estrade et parcourir à grand pas l’allée principale pour venir m’interpeller devant tous sur la signification du mariage putatif. Devant l’immense professeur, j’ai bafouillé et me suis vue gratifiée d’un grondement terrible. Cette expérience traumatique a peut-être joué un rôle dans ma détermination future à étudier le droit de la famille…

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Antigone, la tragique héroïne de Sophocle. Je la vois belle, courageuse, inébranlable dans sa détermination à montrer à Créon qu’il y a des lois supérieures à celles des hommes.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

C’est une drôle de question, comme s’il s’agissait d’un parfum de glace ! Pour jouer le jeu, je dirais l’égalité, celle de la Déclaration de 1789, pour toutes les différences injustes que l’on combat et aussi certainement parce que je suis une femme.

Références

■ Anne-Marie Leroyer, Droit des successions, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », à paraître.

■ Article 345-1 du Code civil

« L'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise :

1° Lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint ;

1° bis Lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint et n'a de filiation établie qu'à son égard ;

2° Lorsque l'autre parent que le conjoint s'est vu retirer totalement l'autorité parentale ;

3° Lorsque l'autre parent que le conjoint est décédé et n'a pas laissé d'ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l'enfant. »

 

Auteur :M. B.


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