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La réforme de l’appel civil
Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile met en œuvre la réforme de l’appel civil attendue depuis plusieurs mois. Lucie Mayer, professeur à l’Université Paris-Sud, nous éclaire sur les changements que cette réforme apporte à cet outil fondamental de protection de nos libertés et droits fondamentaux, la procédure.
Voie de réformation ? Voie d’achèvement maîtrisée ? Quel est le sens général de cette réforme de l’appel civil ?
Il faut tout d’abord préciser que concevoir l’appel comme une voie d’achèvement ne conduit pas à nier qu’il s’agit aussi, et même surtout, d’une voie de réformation. En effet, l’appel conduit par définition la cour d’appel à apprécier la conformité de la décision de première instance aux règles de droit. Même dans la conception de l’appel comme une voie d’achèvement, c’est seulement à l’occasion de la critique du jugement par l’appelant que les parties peuvent être autorisées à élargir le champ de la saisine de la cour d’appel en présentant de nouveaux moyens, de nouvelles pièces, voire exceptionnellement de nouvelles prétentions, de façon à permettre une appréhension plus complète du litige en appel. Le débat relatif à la nature de l’appel oppose en réalité les partisans d’un appel susceptible de conduire à l’achèvement du litige aux auteurs qui entendent revenir à un appel conçu strictement comme une voie de réformation. En l’occurrence, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ne rompt pas avec la conception de l’appel comme une voie d’achèvement, puisque les parties sont toujours autorisées à présenter, dans des conditions relativement libérales, de nouveaux éléments en appel.
Néanmoins, la définition de l’appel est précisée, puisque l’article 542 du Code de procédure civile est ainsi modifié : « L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel » (les mots en italique sont ajoutés par le décret). La dimension « voie de réformation » de l’appel apparaît désormais explicitement dans le code. Les avocats sont incités à articuler leur appel autour d’une critique du jugement et à ne présenter l’affaire sous un jour éventuellement nouveau qu’à l’occasion de cette critique.
Ainsi, pour l’heure en tout cas, le choix n’a pas été fait d’un retour à une stricte voie de réformation. Les auteurs du décret ont préféré poursuivre la voie, inaugurée par le décret du 9 décembre 2009, d’une plus grande maîtrise de la voie d’achèvement, à travers une augmentation significative des charges procédurales.
Concernant l’effet dévolutif de l’appel, qu’est-ce qui change ?
Dans la mesure où les auteurs du décret n’ont pas souhaité remettre en cause la conception de l’appel comme une voie d’achèvement, l’effet dévolutif subit peu d’infléchissements substantiels. Certes, l’article 561 du Code de procédure civile précise désormais qu’il est statué à nouveau en fait et en droit par la cour d’appel « dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du présent code », mais le décret ajoute peu de limites à celles qui existaient déjà.
Première nouvelle limite à l’effet dévolutif : l’appel ne défère désormais plus à la cour que la connaissance des chefs de jugement qui sont « expressément » critiqués (C. pr. civ., art. 562, al. 1er ) ; si la déclaration d’appel ne précise pas les chefs critiqués, la dévolution ne s’opère plus, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible comme auparavant (C. pr. civ., art. 562, al. 2 ). Une nouvelle contrainte formelle s’impose donc à l’appelant, qui doit indiquer dans la déclaration d’appel les chefs de dispositif critiqués (C. pr. civ., art. 901-4° et 933). En d’autres termes, l’appel général disparaît.
En second lieu, il n’est plus permis aux parties « d’expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge », car ces mots sont supprimés de l’article 566 du Code de procédure civile.
Enfin, en ce qui concerne le pouvoir d’évocation de la cour d’appel — mécanisme qui se distingue de l’effet dévolutif mais peut être ici mentionné —, la cour d’appel peut toujours évoquer l’affaire en son entier, si elle estime de bonne justice de lui donner une solution définitive, lorsqu’elle a infirmé ou annulé un jugement ayant ordonné une mesure d’instruction, ou un jugement qui statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance ; mais elle ne peut plus évoquer lorsqu’elle a confirmé ce même jugement (C. pr. civ., art. 568).
Toutes les autres extensions de la saisine de la cour d’appel demeurent : invocation de nouveaux moyens (C. pr. civ., art. 563), demandes reconventionnelles (C. pr. civ., art. 567), prétentions qui tendent aux mêmes fins que les prétentions soumises au premier juge (C. pr. civ., art. 565), etc… (V. aussi C. pr. civ., art. 564 et 566 nouv.).
Le décret assouplit-il les délais « Magendie » (C. pr. civ., art. 908 à 910) ou introduit-il de nouvelles exigences temporelles ?
Trois modifications constituent indéniablement des assouplissements des délais instaurés par le décret du 9 décembre 2009 dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire. L’intimé et l’appelant incident bénéficient désormais d’un délai de trois mois pour conclure, à l’instar de l’appelant principal (C. pr. civ., art. 909 et 910). Le conseiller de la mise en état peut écarter les sanctions du non-respect des délais en cas de force majeure (C. pr. civ., art. 910-3). Enfin, le décret introduit deux causes d’interruption des délais : la décision d’ordonner une médiation (C. pr. civ., art. 910-2) et la conclusion d’une convention de procédure participative (C. pr. civ., art. 1546-2, ajouté par le décret n° 2017-892 du 6 mai 2017).
Mais ces mesures, dont la portée semble d’ailleurs limitée (la notion de force majeure, par exemple, a été préférée à celle de cause étrangère, qui était moins étroite), sont presque dérisoires face au renforcement des exigences temporelles que le décret consacre par ailleurs. De nouveaux délais très courts viennent en effet encadrer la procédure à bref délai (C. pr. civ., art. 905, 905-1 et 905-2 ) et la procédure de renvoi après cassation (C. pr. civ., art. 1034 et 1037-1). Les auteurs du décret ont également introduit une proposition du Rapport Magendie qui n’avait pas été reprise en 2009 : un principe de concentration temporelle, qui consiste à obliger les parties, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, à former toutes leurs prétentions dans les délais imposés par les articles 905-2, 908, 909 et 910, à la seule exception des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait (C. pr. civ., art. 910-4). Ce principe de concentration ne concerne cependant ni les moyens ni les pièces, lesquels peuvent être invoqués pour la première fois dans des conclusions postérieures à l’expiration des délais légaux imposés au début de l’instance. Enfin, dernière mesure qui tend à rigidifier la mise en œuvre des délais « Magendie » : les conclusions admises à interrompre lesdits délais sont exclusivement celles qui « déterminent l’objet du litige » (C. pr. civ., art. 910-1), alors qu’un avis de la Cour de cassation du 21 janvier 2013 avait également considéré comme interruptives les conclusions qui soulèvent un incident de nature à mettre fin à l’instance.
Qu’est-ce que cela implique pour les avocats ? les magistrats ? les justiciables ?
Les professionnels de la justice vont naturellement devoir faire preuve d’une vigilance extrême dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions. D’autant que la réforme de l’appel ne se réduit pas aux seules mesures temporelles évoquées ci-dessus. Les avocats et les magistrats vont également devoir se familiariser avec la nouvelle voie de recours contre les jugements statuant exclusivement sur la compétence, qui n’est plus le contredit mais un appel à jour fixe (C. pr. civ., art. 83 à 89 nouv.). Citons enfin les nouvelles exigences rédactionnelles contenues à l’article 954, qui renforcent encore la structuration interne des conclusions.
Pour les justiciables, le risque de voir une prétention ou des conclusions déclarées irrecevables faute d’avoir été émises dans le délai imposé, par exemple, s’accroît, et par là, l’accès au juge d’appel et les droits de la défense sont menacés. La partie malheureuse n’aura plus qu’à engager la responsabilité professionnelle de son avocat. Résultera-t-il au moins d’une telle augmentation des contraintes procédurales une diminution de la durée de l’instance d’appel et une amélioration de la célérité du procès ? Rien n’est moins sûr, hélas, dès lors qu’à l’expiration des délais légaux, il peut encore se passer un an ou même dix-huit mois avant que soient enfin fixées les dates de clôture et de plaidoirie, apparemment en raison du stock important d’affaires qui subsiste. Il est douteux que la mise en œuvre de la réforme puisse véritablement infléchir cet état de fait.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiante ? Ou le pire ?
L’un de mes meilleurs souvenirs d’étudiante : la découverte que la procédure civile n’était pas (que) la matière aride que je croyais, mais qu’elle suscitait des débats intellectuellement passionnants. Je me souviens notamment avec émotion de la séance sur l’office du juge, et de la révélation que fut pour moi la lecture des écrits d’Henri Motulsky.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Arsène Lupin.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Sans doute le droit au procès équitable…
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