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©Laurent Hini
L’action de groupe
La circulaire du 26 septembre 2014 clarifie les règles de procédure civile applicables à l’action de groupe introduite par la loi n° 2014-344 relative à la consommation du 17 mars 2014 et son décret d’application. Pour comprendre cette nouvelle procédure, nous avons demandé son éclairage dynamique à Alain Bazot, président de l’UFC Que Choisir, association spécialisée dans la défense des consommateurs. Il est également chargé de cours à l’Université de Bourgogne, spécialiste de droit public.
Quel est l’objectif général de cette nouvelle procédure ?
L’objectif général de cette nouvelle procédure est de donner davantage d’effectivité au droit de la consommation : l’action collective rééquilibre le rapport entre les consommateurs et les professionnels. Sans l’action de groupe des centaines de milliers de consommateurs sont fréquemment victimes de manquements au droit sans disposer d’un accès aisé à la justice. Plus précisément, l’objectif de la loi, c’est de faire bénéficier d’une décision de réparation des préjudices les victimes se trouvant dans une situation similaire sans qu’elles aient été parties au procès.
Il s’agit là d’une dérogation à l’effet relatif de la chose jugée puisque des consommateurs vont personnellement tirer parti d’une action menée par une association de consommateurs.
Le juge de la consommation n’est pas tellement saisi par les consommateurs : dans seulement 10 % des cas, alors qu’à 90 % c’est le professionnel. L’accès à la justice devrait donc recouvrir une meilleure réalité.
Quelles sont les trois phases de cette instance unique ?
Il s’agit d’un mécanisme complexe sans précédent.
▪ La première phase consiste classiquement en l’examen par le TGI de la recevabilité de l’action présentée par une association agréée de consommateurs.
Premier point, le magistrat tranche la responsabilité du professionnel. Y a-t-il eu un manquement aux règles de droit ?
Deuxième point, il définit le groupe des victimes et fixe les critères et les délais de rattachement au groupe de celles-ci.
Troisième point, il arrête le montant de la réparation ou les modalités de son calcul, en créant éventuellement des sous-groupes parmi les victimes en fonction des préjudices subis. Il précise également s’il s’agit d’une réparation pécuniaire ou en nature.
▪ Dans une deuxième phase, les mesures de communication dans les médias décidées par le juge pour faire connaître au grand public sa décision, et donc aux victimes de se manifester pour réclamer leur dû, sont exécutées.
Ces mesures d’informations ont lieu quand toutes les voies de recours sont épuisées. Elles peuvent donc arriver tardivement.
▪ La troisième phase concerne la liquidation des préjudices. Les consommateurs viendront revendiquer le bénéfice de la décision de justice auprès du professionnel lui-même ou de l’association, éventuellement assistée d’un tiers, en fonction de ce qu’aura décidé le juge.
Nous aurions souhaité pouvoir faire appel à des mandataires liquidateurs, et pas seulement à des avocats ou huissiers bien peu organisés pour cela. Mais cela n’a pas été prévu par la loi.
Le consommateur devra simplement démontrer qu’il a bien été client, ce qui suppose qu’il ait conservé ses contrats, factures ou tickets de caisse, mais il n’aura plus à prouver la responsabilité du professionnel, ni le montant du préjudice.
Quelles sont les différences avec la Class Action anglo-saxonne ?
Elles sont assez nombreuses. Je vois trois différences majeures.
D’abord, il n’y a pas de nécessité de se regrouper au départ dans le système français. Aux États-Unis, un cabinet d’avocat lance sur la place publique le fait qu’il va faire une action de groupe contre un vendeur de tabac, par exemple, et incite les consommateurs à se joindre à lui pour faire masse, souvent d’ailleurs dans le but de faire pression sur le professionnel pour négocier. En France, l’association part avec deux ou trois consommateurs qui illustrent le fait que derrière eux il y a beaucoup plus de victimes. De ce côté-là, cela ne change pas grand-chose aux actions que l’association mène dans l’intérêt collectif, qui n’est pas la somme des intérêts individuels. Ensuite, ici, seules les associations nationales de consommateurs agréées peuvent agir, soit 15 titulaires du droit d’action.
Enfin, le juge ne répare que le préjudice ; il n’y a pas de dommages-intérêts punitifs en droit français.
Par ailleurs, ces différences s’inscrivent dans un contexte plus globalement différent.
Première observation : dans le système français, les juges faces à l’action collective ne sont pas des juges élus, ils sont indépendants.
Seconde observation : le statut de l’avocat de 1971 interdit les pactes de « quota litis » qui permet aux conseils d’être rémunérés exclusivement sur les résultats de la procédure. C’est ce qui peut conduire aux dérives du système américain concernant le montant de l’indemnisation puisqu’ils sont rémunérés par un pourcentage sur celui-ci. Il n’y a pas de conflits d’intérêts entre les objectifs de la loi qui est de faire en sorte que les consommateurs soient indemnisés et l’effet d’aubaine que cette procédure pourrait procurer à des professionnels.
Quelles sont les limites à la réparation des préjudices des consommateurs ?
Au début dans le premier projet, seuls les petits litiges, les micros préjudices étaient réparables.
Au final, la loi adoptée a certes restreint la réparation au seul préjudice patrimonial, résultant de dommages matériels (par exemple : l’acquisition d’un bien avec un vice caché ; en droit de la concurrence, une entente illicite qui fait que le prix est de 15 % plus cher ; des frais indus en matière bancaire) mais sans limite de plafond.
Sont ainsi exclus : le préjudice moral et le préjudice corporel qui devront suivre les voies classiques de réparation jusqu’à l’intervention d’une nouvelle loi qui élargira le périmètre de l’action de groupe au domaine de la santé, avec un dispositif ad hoc.
Selon moi, le principal problème reste le risque de privation d’une réparation effective si le consommateur ne peut pas apporter la preuve de son acte d’achat de biens ou de services. En effet, les consommateurs ne sont avertis que dans la deuxième phase de l’instance, après l’épuisement des voies de recours (i.e., appel, recours en cassation). Cela peut durer 8 ou 10 ans. Qui aura gardé sa facture ou son ticket de caisse tout ce temps-là ?
Il y a donc un risque de privation de ses droits à réparation du fait de la déperdition des preuves. C’est pourquoi lorsque nous avons entamé une première action de groupe (contre Foncia), nous l’avons fait savoir pour que le consommateur garde ses preuves.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
J’ai beaucoup de bons souvenirs. Un des meilleurs concerne les séances de TD de droit constitutionnel de Marie-Claire Laval de l’Université de Bourgogne. Son humanisme et ses qualités pédagogiques ont contribué à mon engouement pour cette matière et mon envie de l’enseigner après.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Harry Potter, pour sa ténacité, sa façon de mener sa mission en jouant collectif, entouré d’amis. C’est un personnage sympathique. Il est enseigné au collège et étudié à Sciences Po, c’est dire !
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
L’égal accès de tous à la formation et la culture. Ce droit résulte d'une obligation de la nation issue de l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946, rattaché au bloc de constitutionnalité. Il est indispensable à l’épanouissement de l’individu et à l’émancipation des peuples.
Références
■ LOI n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (JO 18 mars).
■ Circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et du décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation, NOR : JUSC1421594C, (BO 31 oct. 2014), Dalloz actualité, brève du 5 nov. 2014.
■ Alinéa 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
« La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État. »
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