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[ 18 décembre 2013 ] Imprimer

L’affaire de « Lampedusa »

Lampedusa : plusieurs survivants du drame ayant causé la mort de 63 migrants en mer Méditerranée en mars 2011 ont déposé une plainte en avril 2012, puis à nouveau le 14 juin 2013 devant le tribunal de grande instance de Paris. Les plaignants mettent en cause l’armée française pour non-assistance à personne en danger. Le Gisti, la FIDH, la LDH et Migreurop se sont constitués parties civiles auprès d’eux. Le 6 décembre 2013, une ordonnance de refus d'informer a été rendue. Karine Parrot, professeure des universités à Cergy-Pontoise, répond à nos questions.

Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de l’embarcation de 72 personnes ainsi que l’issue de ce voyage ?

Les circonstances sont à la fois tristement banales et particulières.

Elles sont particulières parce que ce drame s'inscrit dans le cadre de la guerre en Libye. Les personnes migrantes étaient toutes originaires d'Afrique subsaharienne et travaillaient en Libye jusqu'à ce que les violences racistes nées dans le chaos de la guerre les obligent à fuir. Les femmes, les hommes, les enfants ont embarqué sur un zodiac en direction de l'Italie. Au bout d'une quinzaine d'heures de navigation, le moteur du bateau est tombé en panne et, grâce à un téléphone satellitaire, des appels de secours ont été envoyés à un contact des migrants en Italie. Ce dernier a immédiatement alerté les gardes côtes italiens, lesquels ont diffusé un signal de détresse dans toute la zone maritime, zone littéralement constellée d'engins militaires de la coalition chargés notamment d'assurer un blocus des armes en direction de la Libye.

Le bateau à la dérive a été photographié par un avion militaire français, ravitaillé sommairement par un hélicoptère militaire puis approché par un navire…Pour autant, personne n'a rempli son devoir de secours et 63 passagers sont morts de faim et de soif, les uns après les autres au cours des 15 jours qu'il a fallu à l'embarcation pour finalement rejoindre les côtes libyennes au grès du courant.

Quel est le droit applicable en l’espèce puisque le zodiac était en pleine mer ?

Les navires et les aéronefs relèvent en principe de la juridiction de l'État auquel ils sont juridiquement rattachés.

Le devoir de venir en aide aux personnes en détresse en mer et les obligations en matière de recherche et de sauvetage en mer ont notamment été codifiés par la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime (SAR) et la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer (SOLAS). Ce sont donc des obligations qui s'imposent aux occupants des navires et aéronefs immatriculés dans les États parties à ces conventions.

Par ailleurs, la plupart des droits étatiques connaissent une obligation générale de porter assistance aux personnes en péril.

Quelle est l’obligation juridique dont les associations non gouvernementales demandent la constatation de la violation ?

C'est essentiellement pour les faits d’omission de porter secours à personne en péril tels qu’ils sont visés par l’article 223-6, alinéa 2, du Code pénal français en lien avec l’article 223-6, alinéa 1er, du même code que la plainte contre x visant les militaires français a été déposée. La violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales – droit à la vie et interdiction des traitements inhumains et dégradants – a aussi été invoquée.

Quelles sont les positions du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne en matière de droit d’asile ?

Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne se placent sur des plans différents.

Sur ce dossier en particulier, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a rendu un rapport soulignant les défaillances présumées de plusieurs acteurs étatiques et demandant que la lumière soit faite sur les responsabilités encourues. L'objectif est de faire en sorte que ce genre de drame ne se reproduise pas et que les migrants puissent effectivement faire valoir leur droit à demander l'asile !

De son côté, l'Union européenne continue de pratiquer une politique de fermeture des frontières qui rend extrêmement périlleux l'accès au territoire européen. Non sans un certain cynisme, la tragédie de Lampedusa a accéléré le lancement du programme « Eurosur », nouveau système de surveillance des frontières de l'UE avec les pays de la Méditerranée.

Pourtant, l'expérience prouve que le bouclage des frontières si perfectionné — et couteux — soit-il n'a jamais dissuadé ni les personnes fuyant la guerre ou la famine ni celles cherchant une vie meilleure de migrer. C'est une réalité que les dirigeants des États membres de l'UE font mine d'ignorer, mais pour combien de temps encore ?

Face à l'ordonnance de refus d'informer rendue le 6 décembre 2013, quelle peut être la défense des plaignants pour faire constater la réalité de la non-assistance à personne en danger ?

Comme l'indique le communiqué de presse interassociatif qui vient d'être publié, les plaignants vont faire appel de la décision du tribunal de grande instance de Paris pour qu'une information soit ouverte et que la lumière soit faite sur la responsabilité des autorités françaises dans ce drame. Les plaignants porteront l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme s'ils n'obtiennent pas justice devant les juridictions nationales.

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Pendant les grèves de 1995, je faisais du stop sur les quais de la Seine pour aller au Panthéon. C'était assez amusant.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Ziggy Stardust. Notamment parce que l'album de David Bowie « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars » est extraordinaire.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

C'est une question à laquelle il est difficile de répondre dans l'absolu. Pour ce qui concerne la France, aujourd'hui, c'est le droit à la liberté d'opinion qui mériterait selon moi un attachement particulier parce qu'il me semble menacé de manière incidente et inédite.

Références

■ http://www.fidh.org/IMG/pdf/plainte.pdf

■ Sur Eurosur : http://www.touteleurope.eu/actualite/quest-ce-queurosur.html

■ Article 223-6 du Code pénal

« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »

■ Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Article 2 - Droit à la vie 

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. 

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : 

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; 

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; 

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 3 - Interdiction de la torture

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 

Auteur :M. B.


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