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L’affaire du Médiator
Dix ans après, Anne Danis-Fatôme, alors professeure à l’Université de Bretagne occidentale et aujourd’hui en poste à l’Université Paris Nanterre, et François-Xavier Roux-Demare, doyen de la Faculté de droit, maître de conférences à l’Université de Brest, réunissent des experts du droit et de la santé autour de l’affaire du Médiator lors d’un colloque publié chez Dalloz dans la collection « Thèmes & Commentaires » en juin 2021. Nous revenons avec eux sur cette catastrophe sanitaire.
Qu’est-ce que le Médiator ?
Le Médiator est un médicament — dont le principe actif est le benfluorex — qui, entre les années 1976 et 2009, a été prescrit à près de 2 millions de patients. Il avait pour but de lutter contre l’excès de graisse dans le sang et d’être indiqué pour les patients diabétiques en surpoids, en complément de mesures diététiques. Il a aussi été beaucoup prescrit à des patients non diabétiques en surpoids, hors autorisation de mise sur le marché. Il était fabriqué par le laboratoire Servier. Plusieurs milliers parmi eux ont développé des pathologies — valvulopathies et hypertensions artérielles pulmonaires. Certains de ces patients sont décédés.
Pouvez-vous nous expliquer le rôle de lanceur d’alerte et en quoi il a été crucial dans cette affaire ?
Un lanceur d’alerte est une personne qui alerte l’opinion sur un sujet d’intérêt général à propos duquel il a constaté des faits préoccupants manifestants un danger pour autrui ou pour l’environnement. Un lanceur d’alerte prend le risque d’être poursuivi pénalement en diffamation. Le Docteur Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, a été une formidable lanceuse d’alerte dans l’affaire du Médiator. Elle a alerté l’opinion publique sur la dangerosité du Médiator en faisant paraître son ouvrage Médiator, 150 mg, combien de morts ? (Ed. Dialogues, Brest, 2010). Elle a aussi alerté les autorités de sécurité sanitaire et la communauté scientifique (I. Frachon, Y. Etienne, Y. Jobic, G. Le Gal, M. Humbert et C. Leroyer, « Benfluorex and Unexplained Valvular Heart Disease, A case-contrôle study ? », PLOS One 2010, vol. 5, n° 4, p. ei0128). Ce sont ses écrits et ses actions qui ont abouti au retrait du marché de ce médicament défectueux, en juillet 2010. Les lanceurs d’alerte ont fait l’objet d’une protection dans le droit français à compter de la loi Sapin II du 9 décembre 2016. Ce droit va évoluer avec la transposition de la Directive européenne 2019/1937 du 23 octobre 2019 qui sera transposée avant le fin de l’année 2021.
Pourquoi les mécanismes de prévention n’ont pas pu fonctionner ?
Plusieurs catastrophes sanitaires ont démontré les importantes difficultés d’assurer une pharmacovigilance adaptée, c’est-à-dire une surveillance des médicaments ainsi qu’une prévention des risques d’effets indésirables consécutifs à leur utilisation. D’ailleurs, les principales réformes sont consécutives à ces scandales sanitaires qui provoquent des nécessaires réformes. En effet, une agence de santé était alors compétente pour assurer cette fonction, notamment délivrer l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Malheureusement, l’affaire du Médiator a mis en lumière les dysfonctionnements de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), compétente à l’époque, provoquant son remplacement par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), en 2011, avec des pouvoirs réadaptés. Parmi les différentes difficultés régulièrement relevées, une des principales critiques reste le conflit d’intérêts des experts, qui a incité à une plus grande transparence (notamment par des obligations de déclaration), critique restant encore très forte dans l’appréhension des relations entre les professionnels de santé et les laboratoires.
Quels différents types de réparations ont donc ensuite dû être activés ?
Les patients ayant développé des pathologies à la suite de la prise régulière du Médiator ou leur famille, quand ceux-ci sont décédés, ont agi en justice en réparation des dommages corporels, moraux et pécuniaires en résultant. Des actions en responsabilité civile ont été diligentées contre les laboratoires Servier, devant les juridictions pénales et devant les juridictions civiles. Des actions en responsabilité administrative ont également été menées contre les autorités publiques de santé. Ces actions ont abouti à l’allocation de dommages et intérêts au profit des victimes. Le volet pénal de l’affaire — poursuite des prévenus sur le fondement des délits de tromperie aggravée, d’homicides involontaires et de blessures involontaires — a donné lieu, le 29 mars 2021, à des sanctions prononcées à l’encontre des laboratoires Servier et de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), des peines de prison avec sursis et de lourdes amendes.
À l’issu de ce procès, quel changement constatez-vous dans le système français en ce qui concerne l’éthique médicale ?
Si la question est particulièrement délicate, il y a des constats objectifs évidents d’une amélioration en ce sens : la conscience des dysfonctionnements dans le domaine de la sécurité sanitaire et le processus d’amélioration de l’accès à la santé, la volonté de renforcer la pharmacovigilance illustrée par la réforme de l’agence de contrôle, l’alourdissement des règles de transparence et de moralisation des relations entre les industriels et les professionnels de santé par l’obligation de déclaration de tous les cadeaux d’une valeur supérieure à 10 euros. Malheureusement, cette affaire démontre également l’inadaptation du droit, plus particulièrement du droit pénal, dans de tels cas ce qui n’est pas propice à la préservation d’une éthique médicale (et plus encore face à la puissance des laboratoires pharmaceutiques). La principale crainte à la suite de tels scandales est une perte de confiance des usagers, pouvant considérer que leurs droits ne sont pas préservés par les praticiens. Que penser alors des contestations à l’encontre des vaccins contre la covid 19 — se servant parfois de l’affaire du Médiator pour illustrer les inquiétudes voire la défiance contre le système médical — et de la nécessaire prise de parole de médecins, dont Irène Frachon, pour défendre la médecine ? À la suite de cette affaire, l’éthique médicale apparaît encore plus précieuse et doit être défendue. Il faut nous appuyer sur l’engagement des jeunes générations, à l’écoute des avertissements du Docteur Frachon, pour une formation et une activité plus indépendante.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
ADF : C’est difficile de n’en citer qu’un. Les cours de mes professeurs de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne m’ont éblouie par leur savoir et leur capacité à le transmettre, pour n’en citer que quatre : Geneviève Viney, Suzanne Carval, Rémi Libchaber et Laurent Aynès.
FXRD : Les souvenirs sont nombreux, rendant difficile la sélection du meilleur souvenir. Je vais conserver plutôt un lieu, la bibliothèque (et plus précisément la grande salle du rez-de-chaussée non surveillée de la BU Droit de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne), source de nombreux souvenirs : entre recherches documentaires, tentative ou réel travail personnel ou en groupe, bavardage et fou rires entre camarades.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
ADF : Richard Dalleau dans Le tour du malheur de Joseph Kessel et Anne Dubreuilh dans Les mandarins de Simone de Beauvoir.
FXRD : Les hésitations sont nombreuses, pour des raisons bien différentes : Obélix, Bart Simpson, Goldorak, le Doyen Craig Pelton de Community pour les tenues que je n’ai pas porté pendant mon décanat… J’ai toujours été marqué par Piel et les autres personnages (notamment les Ouin Ouin) dans Les Maîtres du temps, mais je crains que peu ne connaissent cette référence. Je vais donc retenir Monsieur Jack (et son étrange Noël).
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
ADF : La liberté d’expression, d’autant plus fondamentale depuis que se multiplient les procédures bâillon.
FXRD : Le principe d’égalité, fondement du respect de tous les citoyens, de la lutte contre les discriminations et de la liberté d’être soi, peu importe son identité de genre, son orientation sexuelle, sa nationalité, sa religion…
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