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L’avocat en droit des étrangers
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
C'est un droit très mal connu en France et qui ne bénéficie d'aucune formation spécifique dans les Facultés de droit. Pourtant, le droit des étrangers qui recouvre beaucoup de domaines de compétences, présente de nombreux débouchés. Isabelle Lendrevie a fait de ce droit un peu particulier son métier, qu'elle exerce entre son cabinet parisien, quelques préfectures et tribunaux.
Quel a été votre parcours avant de devenir avocate indépendante en droit des étrangers ?
J'ai fait une thèse en histoire du droit égyptien et en droit comparé. J'ai vécu en Égypte, j'ai appris l'arabe. J'ai aussi été bénévole pendant cinq ans au sein de groupe de permanence juridique de la Cimade, à Massy. À cette période, je faisais des allers-retours en préfecture pour l'association, j'aidais les gens à faire des recours contre les refus de titre de séjour, je leur rédigeais aussi des lettres d'accompagnement. De près ou de loin, j'ai donc toujours été intéressée par le droit des étrangers. Cela m'a orientée vers la profession d'avocat. Je me suis rendue compte ce que c'était d'être dans un milieu international qui me plaisait, plus particulièrement le milieu des migrants. J'ai fait l'École du barreau vraiment pour faire du droit des étrangers. Ensuite, j'ai fait un stage au tribunal administratif de Paris, déterminant dans la mesure où j'ai vu ce qui se passait de l'autre côté de la barre avant de devenir avocate et ça m'a beaucoup aidée pour trouver mon stage. Par la suite j'ai été collaboratrice et aujourd'hui je suis à mon compte depuis un an.
En quoi consiste précisément le droit des étrangers ?
C'est une matière qui n'est pas du tout enseignée à l'Université. On en fait sans le savoir lorsqu'on étudie le droit administratif, le droit européen, le droit civil et le droit pénal puisque nous allons souvent devant le juge des libertés pour les reconduites à la frontière. C'est donc un droit hybride qui nous amène à entrer dans tous les ordres juridictionnels, administratifs ou judiciaires. De plus, cette clientèle nous apporte d'autres contentieux comme le droit commercial ou le droit international privé pour les cas de divorce. Je fais aussi beaucoup d'ordonnances de protection en matière de violences conjugales. Le droit des étrangers, pour moi, ce n'est pas seulement ce qui concerne l'entrée, le séjour des étrangers et le droit d'asile comme le dit le Ceseda. C'est bien plus riche, vivant et large que ça. C'est très vaste et ça dépend des zones d'intérêts de l'avocat et de la clientèle qu'il a au départ. J'ai vécu dans le monde arabe et j'ai une clientèle essentiellement d'origine arabe, du Proche Orient, du Maghreb et aussi de l'Afrique subsaharienne parce que je travaille beaucoup sur l'Essonne.
Le changement de gouvernement a-t-il entraîné des changements de pratique pour les étrangers ?
À ce sujet, je distinguerai les reconduites à la frontière des OQTF (NDLR : obligation de quitter le territoire français). Pour aller souvent en préfecture, il me semble qu'il y a un grand changement en matière d'éloignement du territoire avec l’avis de la Cour de cassation qui interdit la garde à vue pour défaut de papiers. On n'arrête plus les gens de manière intempestive à présent ou alors cela se fait dans un cadre plus légal sur le lieu de travail ou lorsqu'ils sont détenteurs de faux papiers. Aussi, pour des raisons de quota, d'autres stratégies sont adoptées comme les contrôles routiers. Par ailleurs, beaucoup de Maghrébins ou d'Africains qui quittent l'Espagne ou l'Italie à cause de la crise n'arrivent pas à faire valoir leur titre de séjour européen et sont reconduits à la frontière. Néanmoins par rapport à tout cela, je n'ai pas de recul, je ne sais pas si c'est spécifique à la banlieue où je vais régulièrement ou à certains commissariats vides.
Au niveau des titres de séjour, il n'y a pas une grande différence avec le gouvernement précédent selon les préfectures. Cela doit sûrement être très compliqué pour eux avec toutes les notes en interne, les instructions du ministère, des chefs de service mises en place sous le gouvernement Sarkozy. C'est très difficile de savoir s'ils respectent la procédure. Il me semble qu'ils ont fait des efforts pour prendre un maximum de dossiers à la suite de la circulaire (du 28 novembre 2102, NDLR). Mais de mon point de vue, les premières victimes de ce nouveau système sont les jeunes salariés ayant peu de présence en France. Ils ont cru remplir les critères de la circulaire mais selon ceux de la préfecture, ils se voient remettre des refus. On a l'impression qu'ils s'attaquent d'abord à ces gens-là qui ont présenté leurs fiches de paie. Cela permet sûrement aux ministères de l'Intérieur et du Travail de faire des enquêtes et d'en savoir plus sur l'embauche des sans-papiers.
À quels types de problèmes êtes-vous confrontée ?
Connaître le pays d'origine des gens facilite les choses. Dans mon cas, de connaître le monde arabe, d'avoir voyagé, m'aide beaucoup. Le gros problème c'est l'instruction des dossiers, c'est-à-dire que si nous avons la chance d'avoir des personnes qui viennent nous voir en début de parcours, nous pouvons mettre en place des stratégies, envoyer des notes, avoir des contacts avec les guichetiers, les chefs de service. Mais ce n'est pas toujours vrai. Parfois il y a des heurts, des vives discussions. Pour les titres de séjour et la préfecture, le rôle de l'avocat est très important. J'arrive à régulariser beaucoup de gens en préfecture car je plaide des dossiers comme si j'étais devant le juge. Très souvent, le problème c'est que la préfecture a des catégories juridiques, elle met les gens dans des cases. De mon côté j'ai une approche de l'immigré totalement différente. Il faut bien connaître la personne pour en savoir le maximum sur elle. Je fais valoir généralement plusieurs éléments ; la préfecture a tendance à orienter les étrangers quand ils sont seuls vers un titre, un article du Code ; souvent ces derniers ne donnent pas tous leurs documents attendus. Les préfectures ont elles aussi leurs contraintes : problèmes de temps, de personnel. Donc elles ne traitent pas toujours les dossiers de manière humaine, il y a souvent des problèmes de communication. Pour moi, le service des étrangers a tendance à ne pas respecter la charte Marianne, les principes généraux du droit, du contradictoire.
Selon vous, quelle est la perception du droit des étrangers en France ?
L'opinion publique est alertée sur ce qui se passe entre Europe et les pays du Sud avec les associations qui font leur travail de sensibilisation du public et la médiatisation des affaires de sans-papiers et de réfugiés. Mais je crois que nous avons une mauvaise image de l'étranger. Généralement, et même dans mon entourage, on me demande comment je fais pour en vivre. Car beaucoup de personnes croient que les avocats en droit des étrangers ne vivent que de l'aide juridictionnelle alors que nous avons des étudiants, des docteurs en droit ou en économie, des médecins, des ingénieurs. Nous n'avons pas seulement des femmes de ménage ou des plongeurs dans les restaurants. Les médias ne reflètent pas la réalité de l'immigration. Nous avons aussi beaucoup de personnes qui vivent en France depuis très longtemps. Aujourd'hui, la main-d'œuvre étrangère est diplômée et beaucoup plus féminine qu'avant, je pense que c'est une vision nouvelle qu'il faudrait montrer de l'immigration. Notre image des étrangers est complètement fausse. C'est très ethnocentrique, lié à notre façon de voir le monde en tant qu'Européens : soit de façon misérabiliste, soit en voyant les immigrés du Sud comme des quémandeurs. Il y a du travail à faire, dans les Facultés de droit aussi.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?
Mon meilleur souvenir d'étudiant c'est d'avoir pu vivre à l'étranger, en Égypte en l'occurrence. J'y faisais ma thèse et j'apprenais l'arabe. Quand on est jeune on est insouciant, moi je suis allée à Gaza en bus, je ne le referai pas aujourd'hui.
Mon pire souvenir ce sont les enseignements de droit privé, sauf l'histoire du droit. C'est bizarre parce qu'aujourd'hui, c'est presque ce que je préfère, c'est en tout cas ce que je fais le plus.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Ma sorcière bien aimée. J'ai vu toutes les saisons avec ma fille et ça me fait rire. J'aime bien le côté décalé des années 1960, un peu conservateur, avec la femme au foyer qui essaie de s'émanciper. J'espère qu'on a fait du chemin depuis.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
La liberté d'aller et venir, surtout aujourd'hui. Il y a beaucoup de personnes enfermées injustement, même en France, qui ne peuvent pas voir leur famille, qui ont perdu un membre de leur famille sans même pouvoir aller aux obsèques ou les voir une dernière fois. C'est ce qui est le plus révoltant ou émouvant alors que nous-mêmes européens pouvons prendre l'avion et aller en vacances voir les poissons rouges. C'est ce qui revient le plus souvent, j'ai beaucoup de clients qui s'effondrent à cause de ça.
Carte d'identité de l'avocat en droit des étrangers
Si le droit des étrangers en France ne constitue pas aujourd'hui une spécialité juridique reconnue comme telle, il existe pourtant un Code dédié à l'entrée, au séjour des étrangers et au droit d'asile (le Ceseda) ainsi que de nombreuses associations actives nationales créées pour soutenir cette population (la Cimade, France Terre d'Asile…) et lutter contre les mesures gouvernementales discriminatoires en matière d'immigration. C'est un droit aujourd'hui peu représenté sur le territoire mais qui est amené à se développer.
▪ Les chiffres (statistiques du ministère de l'Intérieur sur l'immigration)
– 193 600 personnes ont obtenu un titre de séjour en France en 2012, un chiffre comparable à la situation de 2011.
– 2,5 millions d'étrangers avec une carte de séjour résidaient en France en 2012, soit 70 000 personnes de plus qu'en 2011.
– Parmi ces résidents, 1,7 million bénéficiaient d'une carte de dix ans, 500 000 d'une carte d'un an renouvelable et 150 000 de titres provisoires.
– 8 % seulement de l'immigration était économique en 2012.
– Une chute de 16,5 % des naturalisations françaises a été observée entre 2011 et 2012.
▪ La formation et les conditions d'accès
Il n'existe pas de formation spécifique pour devenir avocat en droit des étrangers actuellement, hormis la condition d'avoir obtenu le diplôme d'avocat. Le profil est généralement celui de juristes intéressés par l'international, polyglottes, aimant voyager et/ou ayant vécu à l'étranger.
▪ Les domaines d'intervention
Le droit administratif, le droit européen, le droit civil et le droit pénal puisque l’avocat est souvent amené à aller devant le juge des libertés pour les reconduites à la frontière. C'est donc un droit hybride qui fait entrer dans tous les ordres juridictionnels, administratifs ou judiciaires. De plus, la clientèle apporte d'autres contentieux comme le droit commercial ou le droit international privé.
▪ Le salaire
Il n'est pas nécessairement plus faible que celui de cabinets exerçant dans d'autres secteurs mais il n'est pas réputé pour être aussi rémunérateur que le droit des affaires.
▪ Les qualités requises
Réactivité, éthique, probité, rigueur, capacité d'écoute, intuition, mémoire, pragmatisme, pluridisciplinarité, engagement, goût pour l'international, pédagogie.
▪ Les règles professionnelles
Elles sont identiques pour tous les avocats. Il s'agit en particulier des principes d'indépendance, de loyauté, de confidentialité, du secret professionnel, du devoir d'information et des devoirs de conseil et de diligence.
▪ Les sites Internet
– GISTI (groupe d'information et de soutien des immigré-e-s) : www.gisti.org
– Cimade (service oecuménique d'entraide) : www.lacimade.org
– France Terre d'Asile : www.france-terre-asile.org
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