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L'avocat en droit du sport
Du fait de la multiplication des contentieux sportifs et le vote de la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques qui a ouvert à la profession d’avocat la fonction d’agent sportif, Dalloz Actu Étudiant a souhaité faire un point sur ce domaine émergeant. Antoine Séméria, jeune avocat inscrit au Barreau de Paris depuis 2008 et coauteurs d’un blog (www.avosports.fr), a accepté de répondre à nos questions. Féru de sport et ayant longuement pratiqué le rugby au niveau national, il avait opté pour un Master II à la Faculté d'Aix-Marseille au sein du Centre du droit du sport. Aujourd’hui, il continue donc naturellement d’associer le droit et le sport dans l’exercice de ses activités judiciaires.
Qui vient voir un avocat en droit du sport ?
De nombreux interlocuteurs sportifs du milieu professionnel ou amateur sont susceptibles de se tourner vers un avocat compétent en ce domaine.
Le droit du sport est un droit qui s’est façonné avec le temps et qui recoupe de nombreuses problématiques juridiques, essentiellement liées au droit des affaires.
Peuvent ainsi être exposées devant tel ou tel avocat pratiquant la matière, des questions relatives à l’organisation d’un événement, à la protection d’une marque associée à un sportif ou une organisation sportive, à l’utilisation de l’image d’un joueur, à l’optimisation fiscale des revenus générés par l’activité sportive, au dopage ou encore aux contrats de travail ou de parrainage du sportif.
Sans être exhaustive cette liste démontre que l’avocat spécialiste des questions juridiques appliquées au sport doit faire montre d’une grande variété de compétences pour répondre aux attentes de son client.
Quelle est la particularité de la procédure juridictionnelle dans ce domaine ?
Le sport s’est doté au fil des années d’une justice interne. Il s’agit là de la véritable originalité, propre au mouvement sportif.
Pour bien comprendre cette particularité, quelques explications s’imposent.
Sans trop entrer dans les détails, il y a lieu de retenir que le mouvement sportif français a progressivement confié aux fédérations sportives la charge d'organiser et de promouvoir la pratique de leurs disciplines.
Pour participer à l’exécution d’une telle mission de service public, les fédérations sportives doivent être agréées par le ministre de la Jeunesse et des Sports. Elles doivent adopter des statuts types et un règlement disciplinaire. Elles disposent donc de pouvoirs disciplinaires.
Les recours internes prévus par le règlement des fédérations doivent être exercés obligatoirement avant toute saisine du juge compétent. Ce n'est qu'une fois que ces voies ont été épuisées qu'il sera possible de saisir les juridictions.
Cette règle obligera par conséquent un sportif à former des recours devant toutes les commissions disciplinaires de première instance et d'appel avant d'envisager tout recours juridictionnel.
Dans certains cas, il s’agira également de saisir le Comité national olympique sportif français (CNOSF) aux fins de tentative de conciliation.
En effet, depuis les lois n° 92-652 du 13 juillet 1992 et n° 2000-627 du 6 juillet 2000, ce dispositif constitue un préalable obligatoire à toute saisine juridictionnelle dès lors que le conflit résulte d’une décision prise par une fédération - ou l’un de ses organes déconcentrés - dans l’exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts (art. R.141-5 C. sport).
En parallèle de ces organes nationaux, les parties pourront éventuellement opter pour l’arbitrage et soumettre leur litige au Tribunal arbitral du sport, situé à Lausanne. Ce tribunal, créé en 1984, est susceptible de trancher tous les litiges ayant un lien direct ou indirect avec le sport.
Pendant longtemps la loi interdisait à un avocat d’exercer l’activité d’intermédiaire en droit du sport. C’est désormais possible depuis la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 et surtout la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011. L’effet d’aubaine de ces nouvelles dispositions pour les avocats en droit du sport ne génère-t-il pas une concurrence ambiguë avec les agents sportifs ?
En effet, depuis la loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées du 28 mars 2011, l’avocat peut agir en qualité d’agent d’un sportif, d’un entraîneur ou d’un club sportif dans la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, ou d'un contrat prévoyant la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement.
La véritable innovation de cette loi se trouve dans la dispense accordée à l’avocat d’avoir à passer l’examen d’agent sportif, organisé chaque année par les fédérations et le CNOSF.
Pour le reste, cette loi n’est pas novatrice : elle ne fait que rappeler une des fonctions clés de l’activité d’avocat, celle de mandataire.
La loi ne souffle mot, en revanche, de l’activité de courtage qui consisterait pour l’avocat à mettre en rapport les parties intéressées à un contrat sportif.
Cette mission d’intermédiation entre un club et un joueur reste pour le moment celle des agents, et elle a vocation à le rester (art. L. 222-7 C. sport).
Il s’agit, à mon sens, non pas d’une concurrence mais d’une complémentarité entre deux fonctions bien distinctes : pendant que les agents continueront leurs activités de prospection et du cocooning auprès des joueurs, les avocats, eux, veilleront à négocier au mieux des intérêts pécuniaires et juridiques de leurs clients.
Loin d’être des concurrents, il faut voir cette ouverture de la profession aux avocats comme une chance, d’une part de renforcer la sécurité juridique des contrats conclus entre les clubs et les joueurs, et d’autre part, d’assainir un milieu qui a longtemps été décrié pour ses pratiques douteuses.
En effet, outre le fait que les avocats soient soumis à une déontologie stricte, la loi du 28 mars 2011 a prévu des sanctions pénales à l’encontre de l’avocat/agent sportif en cas de méconnaissance de ses obligations en matière de tarification et de secret professionnel ainsi que celles relatives à la conclusion d’un contrat sportif avec un mineur. Ce dernier encourt, en effet, en pareil cas, deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
En outre, il est prévu que le montant des honoraires de l’avocat ne pourra dépasser 10 % du montant du contrat signé par le sportif ou l’entraîneur, tout comme l’agent sportif licencié. Si plusieurs avocats, ou un avocat et un agent interviennent, le montant total de leur rémunération ne pourra également pas excéder 10 % du montant du contrat.
Le législateur a donc souhaité placer avocats et agents sportifs sur un même pied d’égalité face à leurs obligations respectives.
Est-ce qu’un avocat en droit du sport est souvent confronté à la question du dopage ?
J’ai effectivement déjà été confronté à ce type de litiges. Il s’agit de litiges sensibles dans lesquels il est difficile de faire admettre au sportif qu’ils ont enfreint les règles, toutes sévères et contraignantes qu’elles soient.
Cette sévérité sans cesse croissante a récemment connu un nouveau rebondissement avec l’entrée en vigueur de dispositions visant à obliger certains sportifs à fournir des renseignements précis et actualisés sur leur localisation. Un fichier de recensement de données personnelles sensibles a été instauré en France en application d’un nouveau standard de contrôle applicable depuis 2009. C’est contre l’existence d’un tel fichage et de ses modalités d’applications que l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) et d’autres organisations syndicales de joueurs professionnels ont saisi le Conseil d’État le 1er juin 2010 contre certaines dispositions d’une ordonnance du 14 avril 2010. Malgré les griefs sérieux soulevés par les requérants (atteinte à la vie privée, à la liberté d’aller et venir…), le Conseil d’État a, par arrêt du 24 février 2011, validé ces mesures contraignantes.
Après les nombreux cas de dopage, constatés, notamment dans le cyclisme, une nouvelle ère tournée vers la sévérité et la surveillance accrue des sportifs, semble s’être ouverte. Gageons que le sport puisse en sortir grandit et les tricheurs exclus du circuit !
N’y a-t-il pas eu récemment une remise en cause de l’autorité de la justice sportive dans un conflit opposant le club suisse FC Sion à l’UEFA ?
Vous avez parfaitement raison, un tribunal suisse vient d’ordonner à l’Union des associations européennes de football (UEFA) la réintégration du club suisse en Europa League. Il s’agit là d’une première dans l’histoire du football.
À l’origine de ce conflit : une décision de la Chambre de résolution des litiges de la FIFA sanctionnant le club suisse de « deux périodes d’inactivité sur le marché des transferts », suite au transfert d’un joueur, en février 2008, sans l’accord du club quitté.
Estimant avoir entièrement exécuté sa peine, le club du FC SION avait été très actif sur le marché des transferts en 2011 et avait recruté pas moins de 6 joueurs.
Engagé en Ligue Europa, le FC Sion avait éliminé, en août dernier, le Celtic Glasgow.
Le club écossais avait alors déposé une requête aux fins de contester la validité du résultat.
Par décision du 2 septembre 2011, la Commission de contrôle et de discipline de l'UEFA avait favorablement accueilli cette plainte contre la validité des matches de barrage joués face au FC Sion et donné les deux matches gagnés par forfait aux Ecossais.
Par conséquent, le Celtic était qualifié pour la phase de groupes de l'UEFA Europa League, en lieu et place du club suisse.
Estimant avoir été lésé par cette disqualification, le club suisse avait alors saisi la justice suisse, et ce en totale violation des statuts et règlements des instances fédérales internationales.
Le 27 septembre dernier, le tribunal cantonal vaudois avait ordonné à l’UEFA de réintégrer le FC Sion en Ligue Europa. De nouveau saisi de la question de la participation du club suisse à la Europa League, le Tribunal cantonal de Vaud avait ordonné, le 5 octobre 2011, la réintégration du FC Sion en Europa League.
Pour arriver à de telles mesures coercitives, le Tribunal suisse avait estimé que les mesures prises par l’UEFA à l’encontre du FC Sion étaient contraires à sa propre réglementation et, partant, injustifiées.
Reste à l’UEFA d’exécuter une telle sanction, et ce n’est pas chose aisée.
Selon moi, trois possibilités s’offrent à elle :
– soit elle réintègre le club et propose un match en 16e de finale mais cela semble très compliqué en terme d’organisation notamment ;
– soit elle indemnise le club ;
– soit elle rejette purement et simplement la demande de la juridiction étatique.
Quelle que soit sa décision, nous assistons ici à la naissance d’une jurisprudence importante en droit du sport.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Ma licence effectuée dans le cadre du programme Erasmus à Madrid ! L’immersion pendant une année au cœur de la Faculté de Complutense de Madrid a été source d’épanouissement juridique, culturel et personnel. J’encourage les nombreux étudiants qui vous lisent à suivre un tel programme que ce soit à Madrid ou ailleurs !
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Myron Bolivar, bien sûr, le fameux agent sportif que l’on retrouve dans de nombreuses sagas du non moins célèbre Harlan Coben.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Il est difficile d’en choisir un tant la Déclaration des droits de l’homme de 1789 est un texte référence et qu’aucun droit ne semble pouvoir être privilégié au détriment d’un autre.
Mais puisque vous me demandez de me prêter au jeu, je dirais la libre communication des pensées et des opinions. Cette liberté me permet en effet de défendre chaque jour un peu mieux les intérêts de mes clients.
Références
■ CE 24 févr. 2011, n°340122.
Code du sport
« L'activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d'une licence d'agent sportif.
La licence est délivrée, suspendue et retirée, selon la discipline concernée, par la fédération délégataire compétente. Celle-ci contrôle annuellement l'activité des agents sportifs.
Chaque fédération délégataire compétente publie la liste des agents sportifs autorisés à exercer dans sa discipline ainsi que les sanctions prononcées en application de l'article L. 222-19 à l'encontre des agents, des licenciés et des associations et sociétés affiliées. »
« La saisine du comité à fin de conciliation constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, lorsque le conflit résulte d'une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts. »
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