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[ 11 décembre 2012 ] Imprimer

L’avocat, le blanchiment et le secret vus par la Cour de Strasbourg

Dans le cadre de la lutte européenne contre le blanchiment des capitaux, peut-on légitimement porter atteinte au secret professionnel, à la confidentialité des échanges entre un avocat et son client ? Dans son arrêt Michaud c. France rendu le 6 décembre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’obligation faite aux avocats français, de déclarer les soupçons qu’ils pourraient avoir en la matière à l’égard de leurs clients, ne portait pas une atteinte disproportionnée aux secrets professionnels (non-violation de l’art. 8 Conv. EDH). Au lendemain de cette décision, appelée à de nombreux commentaires, Dalloz Actu Étudiant a recueilli les propos du bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, président du Conseil national des barreaux.

« Au moment où s’élabore une quatrième directive anti-blanchiment à Bruxelles, cependant qu’en France les agents de Tracfin [NDLR : cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme] rêvent de voir les avocats contraints de dénoncer une infraction initiale, même lorsqu’ils ne prêtent pas la main à une opération qu’ils jugent douteuse, la Cour de Strasbourg vient, avec sagesse, remettre un peu d’ordre.

Elle a été saisie d’une action contre le règlement du Conseil national des barreaux du 12 juillet 2007 qui impose aux avocats la mise en place de procédures internes relatives aux diligences à accomplir lorsqu’une opération paraît susceptible de faire l’objet d’une " déclaration de soupçon ".

Certes, Patrick Michaud, ardent pourfendeur des excès des pouvoirs, n’a pas gagné son procès. Mais il a obtenu davantage pour l’ensemble des avocats.

On se souvient que la troisième directive anti-blanchiment du 26 octobre 2005 prétendait imposer aux avocats de dénoncer directement à la cellule de renseignements financiers de leur État des soupçons qu’ils pouvaient concevoir à l’encontre de leur client, y compris en matière de fraude fiscale, tout en se voyant interdire de l’en informer.

La transposition française de cette directive a pris d’heureuses libertés avec elle : dans la ligne d’un arrêt du Conseil d’État du 10 avril 2008, le filtre du bâtonnier a été consacré comme passage obligé de la déclaration de soupçon. Un avocat n’a pas le droit de s’adresser à Tracfin et Tracfin se voit interdire de solliciter directement  l’avocat ou d’utiliser les pièces qu’imprudemment il lui aurait adressées. Dans le même temps, un décret de juillet 2010 a circonscrit à seize cas les hypothèses de fraude fiscale justifiant une déclaration de soupçon.

Tracfin, pour autant, n’avait pas désarmé puisque, récemment encore, ses agents prétendaient que le bâtonnier ne disposerait d’aucune faculté d’appréciation de la pertinence ou non d’une déclaration de soupçon. Le filtre ne serait qu’une passoire.

Or, si la Cour de Strasbourg estime que l’obligation faite à l’avocat de déclarer un soupçon ne représente pas une atteinte disproportionnée à la nécessité impérieuse du secret, c’est précisément parce que la loi a mis en place un filtre protecteur de ce secret : le bâtonnier. Il ne transmet les déclarations à Tracfin qu’après s’être assuré que les conditions fixées par la loi sont remplies.

Les honorables agents du COLB [NDLR : Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme], comme ceux de Tracfin, sont désormais invités à plus de modestie : aux bâtonniers de jouer pleinement leur rôle et aux avocats de ne s’adresser qu’à eux, à peine de violer leur secret et, dans leur hâte à se faire miliciens fiscaux, à transformer les agents de Tracfin en receleurs. »

Références

■ CEDH 6 déc. 2012, Michaud c. France, n°12323/11.

■ Rappel de la procédure de déclaration de soupçon : Les déclarations des avocats, selon le cas, sont transmises au président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’Ordre auprès duquel ils sont inscrits, à charge pour ces derniers de les transmettre à la « cellule de renseignement financier national » (Tracfin).

 http://www.economie.gouv.fr/tracfin/accueil-tracfin

 http://www.tresor.economie.gouv.fr/3827_conseil-dorientation-de-la-lutte-contre-le-blanchiment-de-capitaux-et-le-financement-du-terrorisme

■ http://cnb.avocat.fr/

■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 CE 10 avr. 2008, n°296845, RTD civ. 2008. 444, obs. Deumier.

 


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