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Crédit photo : C. Anaya-Gautier.
L’avocat pénaliste
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Les avocats sont de plus en plus nombreux à s'orienter, dès le début de leur carrière dans une discipline ou plusieurs spécialités. La rédaction de Dalloz Actu Étudiant a interrogé un professionnel du droit pénal, maître Emmanuel Mercinier, jeune avocat collaborateur au sein d'un important cabinet du 8e arrondissement de Paris. Secrétaire de la Conférence du stage en 2009, il commente les enjeux de la profession d'avocat pénaliste et confie ses inquiétudes quant à l'utilisation de la privation de liberté.
Qu'appréciez-vous dans le métier d'avocat et plus particulièrement dans le droit pénal ?
Comme beaucoup, j'aime plaider. C'est là-dessus que je cristallise une bonne partie de mon énergie. Je n'avais pas de vocation. J'ai fait des études de droit un peu par paresse mais je suis devenu avocat parce que ce métier m'a plu. Je me suis forgé une sensibilité et des convictions que je n'avais pas à dix-huit ans. J'étais beaucoup moins sensible aux dérives sécuritaires. Aujourd'hui je fais un métier dont je n'ai pas honte. Je suis heureux d'avoir le sentiment de ne pas faire de mal et de faire œuvre d'humanité.
Le droit pénal m'intéresse parce qu'il soulève des questions fondamentales, philosophiques. C'est le rapport entre l'individu et le groupe, le heurt entre l'homme et la société représentée par le ministère public. Le procès pénal est nourri d'un enjeu énorme qui est la liberté d'aller et venir. Cela vaut le coup d'y passer du temps. Aucun intérêt pécuniaire n'atteindra jamais les valeurs que sont la justice, l'égalité et la liberté.
Comment exerce-t-on ce métier, humainement ?
Défendre quelqu'un ne veut pas dire lui donner raison. C'est d'abord le faire juger pour ce qu'il a réellement fait. Je défends actuellement Fourniret qui a été inculpé pour deux nouveaux meurtres (ndlr meurtrier condamné en juin 2008 à une peine incompressible de réclusion criminelle à perpétuité pour sept meurtres de jeunes filles, il en a avoué neuf au total). Manifestement, ce n'est pas lui qui a commis ces derniers meurtres. Dans ce cas, ça ne me pose aucun problème, c'est dans l'intérêt de la société qu'il soit défendu et que la peine soit le plus juste possible.
Il y a un an j'ai été désigné en tant que commis d'office par un homme à qui il était reproché d'avoir séquestré et violé une femme. Je n'avais aucun doute sur sa culpabilité, tous les éléments l'accablaient mais au bout d'un mois, il refusait toujours de plaider coupable. Par décence pour la victime j'ai refusé de le défendre. On ne ment pas lorsqu'on plaide. Je ne vais pas dire d'un individu qu'il est innocent alors que je n'ai aucun doute sur sa culpabilité. Je ne pense pas que l'avocat doive adhérer à tout ce que demande son client mais je plaide le doute sans problème de conscience quand je ne suis pas sûr de la culpabilité d'un homme.
Quelles sont les difficultés de ce métier ?
C'est très désagréable de défendre un assassin d'enfant mais c'est la réalité qui est désagréable. C'est pareil si vous êtes médecin et que vous devez amputer la jambe d'une fillette après un accident de la route. Cela fait partie du métier.
Ce qui est difficile, c'est le poids de la responsabilité. Il faut être à la hauteur de ses prétentions. Les enjeux sont parfois énormes en matière économique ou quand les peines encourues sont de dix, vingt, trente ans, voire perpétuité. Vous êtes engagé, lié à quelqu'un. Vous n'êtes plus libre de faire ce que vous voulez ponctuellement. C'est difficile parce qu'il y a parfois du mépris de la part de juges qui disent que vous ne pensez qu'à l'argent. Les avocats sont l'objet de certaines images injustes. Or, il faut un peu de conviction dans ce métier. Sans cela, je n'irai pas voir les détenus en prison le samedi.
Vous vous insurgez régulièrement contre les atteintes aux libertés à travers vos combats judiciaires ou vos tribunes dans la presse. Que reprochez-vous au système judiciaire actuel ?
Je suis horrifié par la dérive sécuritaire de nos lois et je le fais savoir par des actions ponctuelles à la barre, par la presse ou au cours de discussions. Je suis convaincu que c'est une erreur de taper fort. Il suffit de se retourner vers le passé pour s'en rendre compte, avec la suppression de la peine de mort ou de la torture.
Ca cogne très très fort et de manière inefficace. Il suffit de voir les peines planchers de la loi Dati. Il n'y a pas moins de délits. Il y a peut-être moins de morts sur les routes mais pas moins de violence ou de délinquance. La justice est un but, un idéal politique vers lequel on tend. Et quand on instaure des peines planchers, on se trompe.
Ce mois-ci se tiennent les dernières épreuves du concours d'éloquence ouvert par le barreau de Paris. Que représente le statut de secrétaire de la Conférence du stage ?
Les douze jeunes avocats élus obtiennent pendant un an, un monopole pour être commis d'office dans les dossiers d'affaires criminelles et de délinquance économique au pôle financier. Le barreau de Paris a considéré qu'il était opportun de confier les affaires les plus graves et les plus complexes à des commis d'office qui ont fait l'objet d'appréciations. Ils représentent également le jeune barreau de Paris et voyagent beaucoup. Chaque année, les premier et deuxième secrétaires font leur discours de rentrée solennelle du barreau de Paris.
Vous bénéficiez d'une reconnaissance grâce à cette institution. Mais vous n'avez rien à attendre en terme de clientèle car vous défendez les plus démunis. C'est déjà une expérience. Vous plaidez toutes les semaines, vous vous enrichissez au contact permanent de vos alter ego, plus âgés ou de votre promotion de la Conférence du stage. Beaucoup de secrétaires sont devenus des grands pénalistes : MMe Leclerc, Vergès, Kiejman, entre autres.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur ou pire souvenir d'étudiant ?
Mon pire souvenir d’étudiant remonte à mon premier TD, en première année à Assas. Le chargé de TD était odieux, menaçant, et rapidement il a glissé vers des réflexions racistes à l’endroit de certaines personnes dans l’assistance. Mon voisin m’indiquait l’avoir déjà eu l’année précédente et « avoir redoublé à cause de lui ». Une étudiante a fini par se lever et a quitté la salle de cours en claquant la porte et en nous indiquant, à nous qui étions tous restés assis, que nous étions lâches de rester silencieux. Puis un homme est entré dans la salle, il s’agissait du véritable chargé de TD. Le faux chargé de TD, mon voisin, la jeune femme qui avait quitté la salle et les victimes des réflexions racistes étaient tous de mèche. Étudiants de 4e année, ils avaient monté ce bizutage pour nous ouvrir les yeux sur les dangers de la chose. Aujourd’hui j’y pense souvent et j’ai encore honte de ne pas m’être levé, d’être resté assis à avoir peur.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Raskolnikov (ndlr personnage central du livre Crimes et Châtiments de Dostoïevski) parce qu’il prouve que n’importe qui peut commettre le pire des crimes. Il est a priori comme tout le monde, comme nous tous, et pourtant il commet un crime horrible, ce qui n’est pas un pléonasme. Cela montre que nous pouvons tous, chaque jour, être amené par le hasard de la vie à commettre le pire des crimes.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Le droit à un procès équitable car tous les droits n’existent que parce qu’ils sont sanctionnés, c'est-à-dire que leur atteinte est sanctionnée le cas échéant. Or cette sanction intervient dans le cadre d’un procès. Aussi, le droit à un procès équitable est le premier doit, sans lequel tous les autres seraient virtuels, vains, absurdes. Que deviendrait la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté d’association, le droit de propriété, la liberté d’aller et venir, l’égalité, si lorsque ces droits étaient violés la victime ne bénéficiait pas d’un procès équitable ? Rien. Le droit au procès équitable est nécessaire au respect de tous les autres droits.
Carte d'identité de l'avocat pénaliste
Chaque année, entre 2500 et 3000 jeunes avocats viennent renforcer les rangs d'une profession bien représentée sur le territoire français. La France demeure néanmoins loin derrière ses proches voisins européens qui, en proportion de leur population, recensent entre 2 à 5 fois plus d'avocats (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie).
■ Les chiffres
– 50314 avocats au 1er janvier 2009
– Un avocat pour 1239 habitants
– 158 barreaux au 1er janvier 2011 (suppression de 22 TGI avec la nouvelle carte judiciaire)
– 2,98 Mds d'euros de bénéfice pour l'ensemble de la profession en 2005 selon l'Observatoire du CNB
– 72,7% de revenus moyen supérieur pour les avocats parisiens que leurs confrères de province
■ La formation et les conditions d'accès
Le candidat doit justifier d'un Master 1 ou 2 puis passer le concours d'entrée dans un centre régional de formation professionnel des avocats (CRFPA). S'en suivent 18 mois entre école et stage. Un examen de certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) valide la formation. Les avocats prêtent ensuite serment devant la Cour d'appel et s'inscrivent au barreau.
Il existe également une voie d'accès professionnel qui dispense de la formation les titulaires d'une expérience professionnelle, de diplômes, d'une carrière dans le domaine du droit (Dominique de Villepin et Rachida Dati ont ainsi pu récemment accéder à la profession).
■ Les domaines d'intervention
L'exercice du droit pénal peut être général, orienté dans le domaine de la presse, du droit des affaires... Il existe en dehors du pénal, 14 mentions de spécialisation : droit des personnes, droit fiscal, droit rural, droit de l'immobilier, droit de l'environnement, droit public, droit de la propriété intellectuelle, droit social, droit des sociétés, droit commercial, droit économique, droit des mesures d'exécution, droit communautaire, droit des relations internationales.
■ Le salaire
45 654 euros de revenu médian annuel en 2005. Le tarif honoraire dépend de la structure, du cabinet, du statut libéral ou salarié, de la notoriété de l'avocat. 43% des jeunes avocats gagnent plus de 45,7 K€.
■ Les qualités requises
Dignité, conscience, indépendance, probité et humanité selon le serment d'avocats.
■ Les règles professionnelles
Ils sont tenus par une obligation « d'information de conseil et de diligence », par le secret professionnel et le principe de confidentialité. Ils promettent de ne pas suivre leur intérêt personnel ou une pression extérieure et d'assurer un procès équitable et un débat contradictoire.
■ Sites utiles
Site du Conseil national des barreaux : http://www.cnb.avocat.fr/
Site de la Conférence des avocats du barreau de Paris : http://laconference.typepad.fr/conf2/
Pour préparer l’examen du CRFPA : http://www.prepa-dalloz.fr/
■ Ouvrages à paraître aux éditions Dalloz
H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat 2011-2011, 13e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2011.
D. Jensen, Cabinet d’avocat. Création et stratégie – organisation et gestion, 1re éd., Dalloz, coll. « Dalloz Référence », 2011.
J.-Ch. Crocq, Le guide des infractions 2011, 12e éd., Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2010.
Fr. Martineau, Petit traité d’argumentation judiciaire 2011-2012, 4e éd. Dalloz, coll. « Praxis Dalloz », 2010.
Fr. Saint-Pierre, Le guide de la défense pénale 2011-2012, 6e éd., Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2010.
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