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Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?
Quand 17 universitaires s’intéressent au temps qu’il fait, la force imaginante et régulatrice du droit surgit. Mathilde Hautereau-Boutonnet, professeure à l’Université Jean Moulin – Lyon 3 (Institut de droit de l’environnement) vient de codiriger avec Stéphanie Porchy-Simon un ouvrage collectif à lire absolument pour une meilleure lutte juridique contre le réchauffement climatique.
Quel est l’enjeu aujourd’hui de la lutte contre le réchauffement climatique?
On le sait, et les évènements relatés dans la presse ne cessent de le confirmer, la lutte contre le changement climatique s’inscrit dans l’urgence. Ses effets se ressentent déjà. Les scientifiques n’hésitent pas à faire le lien entre la canicule que nous vivons aujourd’hui et le réchauffement climatique. Dans une interview parue récemment dans Le Monde, le climatologue Robert Vautard explique que, si nous ne diminuons pas drastiquement nos rejets de gaz à effet de serre, les épisodes de forte chaleur seront dès 2030 plus intenses et plus longs. À la fin du siècle, nous vivrons avec des températures qui pourront aller jusqu’à 50°C. Nous avons déjà un avant-goût des difficultés. Les experts scientifiques du GIEC ne disent pas autre chose. Depuis le premier rapport datant de 1990, les données scientifiques ne cessent de se préciser et les causes et effets du réchauffement climatique sont mieux connus. Si depuis 2001 (date du 3e rapport du GIEC), les scientifiques reconnaissent l’origine anthropique du réchauffement, l’on sait aussi que le dernier rapport du GIEC (2018) est alarmant : les réductions de gaz à effet de serre demeurent insuffisantes au regard des objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat (« l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et la poursuite de « l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ») et le seuil fatidique de 1,5 °C sera franchi entre 2030 et 2052. Toute augmentation des températures au-delà de 1,5 °C aggravera encore la situation et la vie des hommes sur terre, mettant à mal sa capacité à se nourrir. L’enjeu est donc clair : baisser de manière drastique nos rejets de gaz à effet de serre pour que nous puissions (et les générations futures) vivre dans un monde encore vivable...
Quel est le rôle du droit privé actuellement ?
Il est vrai que d’emblée, ce rôle ne va pas de soi. Face à un tel enjeu, l’on pense immédiatement au droit international. L’enjeu est mondial et il est nécessaire de mobiliser tous les États. C’est ainsi que s’est construit depuis une vingtaine d’années un régime international du climat d’une grande complexité avec à l’origine la Convention-cadre des Nations Unies, précisée par le Protocole de Kyoto et plus récemment par l’Accord de Paris (pour la période post-2020). Toutefois, le droit privé n’est aucunement absent dans ce combat. N’oublions pas que les États, pour répondre aux obligations fixées par le droit international, doivent prendre des mesures en droit interne. Branche du droit interne, le droit privé peut alors être vu comme un moyen de concrétisation de la lutte contre le réchauffement climatique insufflée au niveau international. Cela est d’autant plus vrai que, aujourd’hui, le régime international du climat, même s’il n’a pas pour destinataire les acteurs privés, n’hésite pas à les encourager à agir. La décision COP 21 s’adresse maintenant aux entités non parties, à savoir notamment la société civile, le secteur privé et les institutions financières. Et il est vrai que tous ces acteurs privés ont un rôle à jouer. Les choses sont même d’emblée assez évidentes au regard des acteurs qui pour produire, consommer, financer, se loger, émettent des gaz à effet de serre. Le droit privé se loge ainsi dans les dispositions légales incitant ces acteurs à réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’on pense par exemple aux diverses obligations d’information énergétique supposées inciter les intéressés à modifier leur comportement en faveur du climat ou aux normes thermiques imposées en matière de construction pour favoriser les économies d’énergie. L’on voit aussi de plus en plus se dessiner le rôle du droit de la responsabilité civile au regard des contentieux se déroulant à l’étranger. Il est mobilisé pour réparer les dommages climatiques, mais aussi pour les prévenir. L’on pense aussi au droit des contrats qui, dans la pratique, donne à voir l’émergence de clauses invitant les contractants à s’engager dans la réduction des rejets de gaz à effet de serre.
Quel constat pessimiste faites-vous aujourd’hui ?
Bien sûr le pessimisme peut largement nous envahir lorsque l’on regarde de plus près les chiffres et l’enjeu dans ce combat. Il est facile de tomber dans un « aquoibonisme »… Et concernant le droit privé, le rôle qu’il pourrait et devrait jouer est trop méconnu, sous-estimé et donc insuffisamment mobilisé. Les dispositions sont surtout incitatives (mieux connaître pour mieux agir) et peu prescriptives. Mais il est vrai que la place de l’enjeu climatique dans les relations entre personnes privées est très difficile à envisager car elle contredit nos modèles juridiques. Notre droit privé est un soutien de la société dans laquelle nous vivons : produire, acquérir, conduire, consommer, se divertir, voyager, etc. Or derrière tous ses aspects du quotidien — qui reflètent eux-mêmes nos grandes libertés fondamentales comme le droit de propriété ou la liberté d’entreprendre — se cachent des actes à l’origine du réchauffement climatique.
Comment le droit privé peut-il y remédier ?
La réponse relève du piège car, après vous avoir dit que la difficulté réside dans le fait que le droit privé est incidemment un soutien du changement climatique, je devrais logiquement vous répondre qu’il doit devenir un soutien de la lutte contre le réchauffement climatique ! Mais alors cela nécessite de repenser en profondeur tous nos modèles : un droit des contrats au service des contractants mais aussi du climat pour l’intérêt de tous et des générations futures, un droit de la responsabilité tourné vers l’indemnisation mais surtout et dès aujourd’hui vers la prévention des dommages climatiques, un droit de la propriété soucieux du droit de jouir de sa chose mais alors dans le respect de la lutte contre le changement climatique. On le voit, la conciliation à trouver entre nos modèles traditionnels et les nouveaux modèles à mettre en place est une équation plus que délicate. Selon moi, la solution ne peut pas venir uniquement d’en haut. Le projet de loi sur le climat et l’énergie présenté hier à l’Assemblée nationale est nécessaire et indispensable pour renforcer la lutte entreprise par l’État dans ce domaine. Mais il est fort possible (pour retrouver ici de l’optimisme) que l’évolution et le changement de modèle viennent de la société civile elle-même qui, porteuse de nouvelles manières de penser les relations sociales, nous invitera à prendre acte de nouveaux usages et d’un nouveau droit en construction. Ce sont les nouveaux récits sociaux qui pourraient former le nouveau droit.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Mon premier cours de droit des contrats. Certes pour la matière, mais surtout pour la manière de l’enseigner, de l’imager, de l’enraciner. La clarté de mon professeur, la précision et la portée des mots que l’on utilise, le « d’une part « / « d’autre part » etc. Je me rappelle parfaitement que pour la première fois j’ai su profondément ce que je voulais faire de ma vie. Ce premier cours était une rencontre avec à la fois ma future directrice de thèse et moi-même.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Martin Eden, le héros (ou double) de Jack London, pour ce qu’il est, sa ténacité, son instinct, sa soif de justice, son regard d’une lucidité implacable sur le monde, sur la brutalité de la société dans laquelle il vit, son réalisme et pour cette phrase extraordinaire qu’il en viendra à prononcer… Je n’en dis pas plus, car il faut lire Martin Eden.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Tous… Pour n’en citer qu’un : le droit de la nature. Il n’est pas mon préféré mais il est celui qui m’intéresse le plus actuellement. J’ai longtemps douté de l’opportunité des droits de la nature reconnus dans certains pays et qui font aujourd’hui l’objet d’un certain engouement. Mais j’en viens aujourd’hui à me demander s’il n’est pas nécessaire de franchir cette étape au moins pour l’importance du symbolisme.
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