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[ 26 octobre 2012 ] Imprimer

Le Comité des disparitions forcées

La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées est entrée en vigueur le 23 décembre 2010. À cet effet, un Comité des disparitions forcées – composé de 10 experts indépendants élus par les États parties – a été mis en place au sein de l’Organisation des Nations unies. Son premier président, Emmanuel Decaux, a bien voulu répondre à nos questions.

Qui est à l’origine de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (CIPPDF) ?

L’origine de la Convention est ancienne. Les premières résolutions des Nations unies sur les disparitions forcées datent de la fin des années 1970, en réaction à la diffusion du phénomène, notamment en Amérique latine. Dès 1980, la Commission des droits de l’homme a créé un groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires qui fonctionne toujours, avec des « appels urgents » et des visites sur le terrain.

Les efforts de la communauté internationale, aussi bien d’États comme la France ou l’Argentine, que des ONG et d’associations de familles de disparus, ont débouché dans un premier temps, sur une Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale, il y a vingt ans, le 18 décembre 1992 ; dans un second temps, sur l’élaboration d’une Convention internationale du même nom jusqu’à son adoption fin 2006 et sa signature à Paris le 6 février 2007 par plus de 90 États…

 

Quelle est la définition de la disparition forcée ?

 

La Convention reprend la définition donnée par la Déclaration de 1992. Permettez-moi de la citer, puisque vos lecteurs sont des juristes. Il s’agit de « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de la liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi » (art. 2). C’est une définition complexe qui comporte plusieurs éléments constitutifs : l’arrestation ou la séquestration arbitraire, de la part d’agents étatiques ou para-étatiques, allant de pair avec le « déni » de la situation, ce qui prive la victime de toute protection légale.

Plusieurs points sont délicats : faut-il restreindre le phénomène aux actes imputables directement ou indirectement à l’État ? Cela a beaucoup été discuté lors de la conférence diplomatique qui a élaboré la Convention. L’article 3 de la Convention demande à l’État de « prendre les mesures appropriées » pour enquêter et poursuivre des agissements commis sans sa connivence. Le Comité des disparitions forcées a commencé à réfléchir sur le rôle des acteurs non étatiques sans que cela ne diminue en rien la responsabilité première de l’État qui doit assurer la sécurité juridique des personnes, que ce soit une responsabilité par action ou par omission.

 

Quels sont les principales missions et outils du Comité des disparitions forcées ?

 

La Convention donne au Comité une série de fonctions importantes. Certaines sont assez classiques, comme le fait de recevoir des rapports étatiques sur la mise en œuvre de la Convention, dans un délai de deux ans après l’entrée en vigueur. Cela permettra dès 2013 d’amorcer un dialogue constructif avec les États et l’ensemble des « parties prenantes », en particulier les ONG.

De même le Comité peut recevoir des communications individuelles ou étatiques, si les États ont fait la déclaration facultative prévue à cet effet, ce qui n’est encore le cas que de la moitié des États parties.

La Convention donne également aux « proches d’une personne disparue » la possibilité de saisir le Comité en urgence « d’une demande visant à chercher et retrouver la personne disparue » (art. 30). Il s’agit en quelque sorte d’un habeas corpus international qui concerne tous les États parties. Alors que la procédure de communication individuelle couvre tous les articles de la Convention, par exemple des questions de droit pénal ou de statut civil, la procédure d’urgence est avant tout une mesure d’enquête et de protection.

Enfin le Comité a des pouvoirs exceptionnels. Il peut demander à un État d’effectuer une visite sur place « sans retard » (art. 33). Il peut également, si la situation s’aggrave, saisir l’Assemblée générale des Nations unies. C’est une fonction inédite de surveillance et d’alerte rapide, lui permettant de mettre les États face à leurs responsabilités, en cas de violation systématique.

 

Ce qui est important, au-delà de cette gamme d’outils, c’est la compétence très large du Comité qui est le « gardien » de la Convention. Nous avons commencé à interpréter les obligations pesant sur les États, en particulier la nécessité pour eux d’inscrire la disparition forcée comme incrimination spécifique dans leur droit pénal. Il y a aussi tout un volet concernant le droit civil, en matière de protection des personnes disparues ou dans le cas des enfants, avec les questions d’adoption.

 

Ces missions s’appliquent-elles pour l’avenir ou pour le passé ?

 

C’est ici que l’on retrouve la complémentarité avec le Groupe de travail qui reste compétent pour tous les États, le passé comme l’avenir. Dans le cas du Comité des droits de l’homme, notre compétence est limitée au champ des États parties qui sont au nombre de 36, après les ratifications toutes récentes du Pérou et de la Mauritanie. Il s’agit d’un mouvement régulier, compte tenu de la complexité technique de la Convention, mais qui concerne tous les continents et tous les pays, aussi bien les démocraties occidentales que les États du Tiers monde. La ratification est une assurance tous risques pour l’avenir. Dans leur extrême prudence, les auteurs de la Convention ont pris soin de préciser que le Comité n’est compétent qu’en ce qui concerne « les disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l’entrée en vigueur de la convention à [leur] égard » (art. 35), mais les choses changent vite, comme on a pu le voir dans certains États parties depuis deux ans. La grande leçon que je veux retenir de cette expérience de plus de 30 ans, c’est la nécessité de combiner la patience de la longue durée et la vigilance de chaque instant.

 

 

 

 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

 

Quel est votre meilleur souvenir d'étudiant ? Ou le pire ?

L’éblouissement des cours de Paul Reuter et de Prosper Weil, c’est grâce à eux que j’ai aimé le droit international public et le va-et-vient entre l’enseignement et la pratique.

 

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Il y en a beaucoup, mais je citerai mon tout premier héros de lecture, le Mouron-Rouge…Et le dernier, si je ne craignais de paraître pédant ou prétentieux, Plantagenet Palliser, le héros des romans politiques d’Anthony Trollope.

 

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Là aussi, il est difficile de choisir, surtout après ce que je viens de dire, sans doute la liberté de conscience, car c’est le fondement de tout le reste…

 

 

 

Références

■ M. Emmanuel Decaux est coauteur avec Olivier de Frouville de l’ouvrage Droit international public, 8e éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2012.

 

■ http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/droits-de-l-homme/disparitions-forcees/

 

■ Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : http://www2.ohchr.org/french/law/disappearance-convention.htm

 

Article 2 

« Aux fins de la présente Convention, on entend par « disparition forcée » l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l'État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. »

 

Article 3

« Tout État partie prend les mesures appropriées pour enquêter sur les agissements définis à l'article 2, qui sont l'ouvre de personnes ou de groupes de personnes agissant sans l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État, et pour traduire les responsables en justice. »

 

Article 30

« 1. Le Comité peut être saisi, en urgence, par les proches d'une personne disparue, leurs représentants légaux, leurs avocats ou toute personne mandatée par eux, ainsi que toute autre personne ayant un intérêt légitime, d'une demande visant à chercher et retrouver une personne disparue. 

2. Si le Comité estime que la demande d'action en urgence présentée en vertu du paragraphe 1 du présent article : 

a ) N'est pas manifestement dépourvue de fondement, 

b ) Ne constitue pas un abus du droit de présenter de telles demandes, 

c ) A été préalablement et dûment présentée aux organes compétents de l'État partie concerné, tels que les autorités habilitées à procéder à des investigations, quand une telle possibilité existe, 

d ) N'est pas incompatible avec les dispositions de la présente Convention, et 

e ) N'est pas déjà en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement de même nature, 

il demande à l'État partie concerné de lui fournir, dans un délai qu'il fixe, des renseignements sur la situation de la personne recherchée. »

 

Article 33

« 1. Si le Comité est informé, par des renseignements crédibles, qu'un État partie porte gravement atteinte aux dispositions de la présente Convention, il peut, après consultation de l'État partie concerné, demander à un ou plusieurs de ses membres d'effectuer une visite et de l'informer sans retard. 

2. Le Comité informe par écrit l'État partie concerné de son intention de procéder à une visite, indiquant la composition de la délégation et l'objet de la visite. L'État partie donne sa réponse dans un délai raisonnable. 

3. Sur demande motivée de l'État partie, le Comité peut décider de différer ou d'annuler sa visite. 

4. Si l'État partie donne son accord à la visite, le Comité et l'État partie concerné coopèrent pour définir les modalités de la visite, et l'État partie fournit au Comité toutes les facilités nécessaires à l'accomplissement de cette visite. 

5. À la suite de la visite, le Comité communique à l'État partie concerné ses observations et recommandations. »

 

Article 35

« 1. Le Comité n'est compétent qu'à l'égard des disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente Convention. 

2. Si un État devient partie à la présente Convention après l'entrée en vigueur de celle-ci, ses obligations vis-à-vis du Comité ne concernent que les disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente Convention à son égard. »

 

Auteur :M. B.


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