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[ 24 septembre 2015 ] Imprimer

Le Déontologue de l’Assemblée nationale

Il y a maintenant plus d’une année que Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit à l’Université de Bordeaux, a été nommé Déontologue de l’Assemblée nationale, sur proposition de Claude Bartolone, à l’unanimité des membres du Bureau, et avec l’accord des présidents des groupes d’opposition. En effet, en vertu de la décision du Bureau du 6 avril 2011, l’Assemblée nationale s’est dotée d’un dispositif d’ensemble destiné à prévenir les conflits d’intérêts. Dalloz actu étudiant a souhaité vous présenter l’homme qui l’incarne.

Quelle est l’origine des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts ?

L’origine de cette prise de conscience de la nécessité de prévenir plus efficacement les conflits d’intérêts y compris dans la sphère publique, peut être datée assez précisément. Elle remonte à 2010, lorsque le Premier ministre de l’époque, M. François Fillon a confié à M. Jean-Marc Sauvé, vice-Président du Conseil d’État, une mission de réflexion sur le sujet, d’une part ; et aux assemblées parlementaires françaises le soin de créer en leur sein des organes chargés spécifiquement de la déontologie parlementaire afin de respecter la séparation des pouvoirs et le principe d’autonomie des assemblées qui en découle. C’est à la suite de cette impulsion que l’Assemblée nationale, présidée alors par M. Bernard Accoyer, a décidé par une décision du Bureau du 6 avril 2011 de se doter d’un Code de déontologie et d’une institution chargée d’en contrôler le respect. Ce mouvement ne s’est pas enrayé depuis lors. Il s’est même considérablement accéléré.

En effet, quelques mois après son élection, le Président de la République, M. François Hollande, a créé une Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par l’ancien Premier ministre, M. Lionel Jospin. Parmi ses recommandations, figurait la création d’une Haute autorité de la déontologie. Cette recommandation a abouti à la création par les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) dont l’existence et l’action s’avèrent déterminantes pour faire progresser la prise de conscience de la nécessité d’un questionnement déontologique. 

Dans le même temps, l’Assemblée nationale, à l’initiative de son Président, du Bureau ou du Collège des questeurs, a adopté une série de mesures en faveur de la transparence et de l’éthique qui, mises en perspective, représentent indéniablement des avancées. Parmi celles-ci, on peut relever notamment la consolidation du statut et l’élargissement des missions du Déontologue dans le Règlement de l’Assemblée nationale par une résolution du 28 novembre 2014.

Comment s’insèrent vos fonctions dans le cadre du dispositif mis en place à l’Assemblée nationale ?

Pour l’essentiel, il s’agit de vérifier que les députés se conforment aux prescriptions du Code de déontologie. Plus précisément, mes missions sont définies par la décision du Bureau de l’Assemblée du 6 avril 2011 et par le nouveau Règlement de l’Assemblée nationale. Elles peuvent être regroupées en trois catégories.

Une mission de suivi des obligations déclaratives qui consiste, de manière classique, en matière de déontologie parlementaire, à vérifier que les députés satisfont à deux obligations : celle de déclarer les voyages effectués à l’invitation de tiers, d’une part ; celle de déclarer les dons et avantages d’une valeur estimée supérieure à 150 euros, d’autre part.

Une mission de conseil qui témoigne non seulement de la prise de conscience par les députés de ce qui est admissible ou non sur le plan éthique dans le cadre de leur mandat, mais encore du fait que l’existence au sein même de l’Assemblée d’une autorité indépendante chargée de la déontologie parlementaire constitue une solution simple et efficace répondant à une attente. En un an, j’ai ainsi procédé à plus de soixante consultations, portant sur une grande variété de sujets concernant la vie parlementaire, tels que l’usage de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), l’organisation de colloques, la possibilité de cumuler une activité avec le mandat parlementaire, l’activité des « clubs parlementaires », etc… 

Une mission de proposition qui est prévue par l’article 80-3, alinéa premier, du Règlement de l’Assemblée nationale selon lequel : « Le Bureau consulte le déontologue pour la détermination des règles du code de déontologie en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts ». C’est dans ce cadre que j’ai été consulté par le Collège des Questeurs au sujet de la détermination des règles d’usage de l’IRFM et que le Bureau de l’Assemblée a fait évoluer ces règles à la suite d’une décision intervenue le 18 février 2015.

Quels sont les risques courus par ses principaux acteurs ?

Tout d’abord, il faut rappeler qu’il existe deux approches différentes, mais nécessairement complémentaires, dans la lutte contre les conflits d’intérêts : la voie normative, qui suppose l’obligation et la sanction ; le droit souple¸ qui implique le questionnement et la recommandation. L’institution du Déontologue de l’Assemblée nationale relève évidemment de cette seconde catégorie. Cela signifie que le Déontologue ne saurait être assimilé ni à un juge, ni à la HATVP. Il s’agit d’une institution dont la mission, très originale dans la tradition juridique française, consiste à prévenir les conflits d’intérêts et, d’une manière plus large, à fournir aux députés des réponses conformes au Code de déontologie aux questions que peuvent susciter leur situation personnelle ou leur comportement. En ce sens, le rôle du Déontologue est principalement celui d’un conseiller ou d’un aiguilleur.

Cependant, droit souple ne signifie pas droit mou. C’est pourquoi, il a été jugé nécessaire par la représentation nationale de prévoir une procédure en cas de manquement afin de s’assurer que les recommandations du Déontologue puissent être suivies d’effets. Ainsi, le nouvel article 80-4 du Règlement de l’Assemblée nationale, adopté le 28 novembre 2014, fixe la procédure applicable en cas de manquement par un député à ses obligations déontologiques. Au terme d’une procédure contradictoire, initiée par le Déontologue, le Bureau de l’Assemblée nationale peut, en cas de refus du député concerné de mettre fin à la situation de manquement, rendre publique cette situation, mais aussi prononcer une peine disciplinaire, dans les conditions prévues aux articles 70 à 73. En cas de manquement, les sanctions prévues peuvent donc être de différente nature : en premier lieu, la publicité du manquement, inspirée de la pratique du « name and shame » à l’anglo-saxonne, qui consiste à livrer le député au jugement de l’opinion publique. Ensuite, le recours à des mesures plus classiques, telles que le rappel à l’ordre, le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, la censure puis la censure avec exclusion temporaire, ces trois dernières sanctions emportant de plein droit la privation d’une partie de l’indemnité parlementaire. 

Avec ce renvoi aux sanctions disciplinaires, la déontologie à l’Assemblée nationale est définitivement assurée d’une effectivité. Ce faisant, l’Assemblée s’inscrit dans le droit commun des règlementations adoptées en Europe, qui prévoient toutes, après le rappel à l’ordre, la possibilité de prononcer des sanctions financières, et éventuellement des peines d’exclusion temporaire, pour les cas de manquement au Code de déontologie. 

Quelles surprises vous apportent cette mission par rapport à l’idée que vous vous en faisiez ?

Ce qui me frappe le plus est que, contrairement à l’idée préconçue que je m’en faisais, cela marche ! 

En effet, avant ma nomination, en bon juriste positiviste, je doutais quelque peu de l’efficacité du droit souple. Or, force est de constater que cette institution propre à l’Assemblée nationale produit des effets vertueux en son sein. Bien évidemment, le succès de cette institution, attesté par un net accroissement de l’activité dont témoigne mon rapport annuel remis au Bureau le 17 juin dernier, tient beaucoup à l’adhésion de l’ensemble des acteurs et, au premier chef, des députés eux-mêmes. Au départ, cette institution, a sans doute suscité davantage d’étonnement, voire d’agacement, que d’enthousiasme. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Les députés ont parfois discuté l’opportunité des mesures adoptées depuis 2011, souvent adhéré et, pour finir, dans l’ensemble, intégré dans leur quotidien ces nouvelles contraintes qui pèsent sur eux, conscients des attentes légitimes des citoyens en la matière. L’acquisition progressive d’une culture déontologique est incontestablement en bonne voie au Palais-Bourbon. Il n’est pas inexact de dire aujourd’hui que l’on vit un « moment déontologique », une prise de conscience sur la nécessité d’apporter des réponses à la hauteur des enjeux.  

L’acceptation d’un Déontologue au sein de l’Assemblée démontre ce nouvel état d’esprit. Il n’était pas évident, au départ, de parier sur le succès d’une telle innovation. Beaucoup estimaient la mission périlleuse. Certains prédisaient la fin programmée de cet objet parlementaire non identifié. Il faut pourtant constater aujourd’hui que le Déontologue fait désormais partie du paysage, qu’il est totalement intégré dans la « communauté parlementaire. La réussite de cette institution doit certainement beaucoup aux modalités particulières d’exercice de sa mission.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? Ou le pire ?

Puisqu’il faut faire un choix, je pourrais citer le nom de ceux qui m’ont (heureusement) détourné de mes premières amours. Alors que j’étais étudiant en DEUG de lettres modernes à l’Université de La Réunion et me destinais au journalisme, j’ai assisté par curiosité, et pour tout dire par chance, à un cours de droit constitutionnel du professeur Jean Gicquel alors en mission dans l’île où j’ai passé mon enfance. Cela a constitué le premier déclic. Deux ans plus tard, poursuivant mes études de lettres à Aix-en-Provence, je me suis inscrit en auditeur libre en première année de Faculté de droit et j’ai eu alors le bonheur de suivre les enseignements du doyen Louis Favoreu. C’est ensuite sous sa direction bienveillante que j’ai accompli le reste de mon parcours académique. En toute hypothèse, la passion du droit constitutionnel que ces deux maîtres ont su me transmettre ne m’a jamais quitté depuis lors.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Corto Maltese, le gentilhomme de fortune créé par Hugo Pratt, dont les aventures placées sous le signe du Capricorne me font toujours rêver.

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Sans aucune hésitation, le principe d’égalité, non seulement parce que j’y ai consacré ma thèse de doctorat, mais aussi et surtout parce que je crois au plus profond de moi que, sans égalité il ne peut pas y avoir de véritable liberté. C’est la reconnaissance fondamentale de l’égalité, à travers l’abolition des privilèges, qui constitue l’acte de naissance de la Nation française moderne. Après Condorcet, je persiste à croire que « l’égalité est le dernier but de l’art social », même si je mesure bien à quel point réaliser l’égalité réelle représente toujours un combat.

Référence

■ F. Mélin-Soucramanien, Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Économica, 1997.

 

Auteur :M. B.


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