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Le directeur adjoint des affaires juridiques de l'AP-HP
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
Après le droit pénal, le droit des successions ou le droit de la propriété intellectuelle, la rédaction de Dalloz Actu Étudiant a décidé de s'intéresser au très vaste droit de la santé, en particulier à la façon dont il se répercute dans la gestion des hôpitaux publics. À la Direction des affaires juridiques (DAJ) de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), la rédaction a suivi le très actif directeur adjoint, Marc Dupont, auteurs de nombreux ouvrages de référence.
Pouvez-vous nous détailler votre parcours professionnel ?
J'ai d'abord passé le concours de directeur d'hôpital, qui donne lieu à une formation de trois ans à l'École nationale de la santé publique de Rennes (devenue depuis École des hautes études en santé publique, EHESP) d'où je suis sorti en 1987. Ensuite, j'ai été affecté dans différents hôpitaux, successivement au Centre hospitalier d'Annecy et à l'hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris. En 1990, j'ai rejoins l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), où j’ai été chargé du budget des hôpitaux, avant d’être l'adjoint du directeur de l’hôpital Saint-Louis pendant cinq ans. Puis, je suis venu au siège de l’AP-HP pour m'y occuper des problématiques des droits des malades à la direction générale, au moment de la préparation de la loi « Kouchner » du 4 mars 2002. Pour trois ans, de 2003 à 2006, j’ai rejoins la Mission interministérielle de lutte contre le cancer, qui portait le premier Plan cancer. Enfin, je suis de nouveau au siège de l’AP-HP, à la Direction des affaires juridiques. Parallèlement, depuis une quinzaine d'années, j'assure un enseignement de droit de la santé à la Faculté de droit Paris-Descartes.
Comment gère-t-on juridiquement toutes les demandes des hôpitaux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ?
Nous sommes confrontés aux situations concrètes, dans des domaines très variés, de la gestion hospitalière, que nous devons analyser avant d’apporter des réponses juridiques opérationnelles. Notre rôle est à la fois de défendre les intérêts des patients (nous sommes un service public !) et ceux de l'Institution. Les équipes médicales ont notamment besoin de conseils juridiques à très bref délai, dans des conditions comparables aux services d’un avocat : nous agissons souvent dans l'urgence, la réponse étant parfois attendue dans les 15 minutes, car au-delà, elle ne servira plus à rien. Il peut s'agir de dire la règle de droit dans certains cas ; dans d’autres, il faut voir comment on peut s’en écarter et mesurer les risques juridiques. Il y a une forme d'autorité du « juridique » qui est importante pour les directions des hôpitaux de l’AP-HP, lorsqu’elles sont amenées à prendre des décisions difficiles. Il faut préciser que nous sommes fréquemment dans un registre très émotionnel : ce sont souvent des choses graves et nos conseils ont des conséquences directes sur les décisions prises, qui vont concerner les patients et leurs familles.
Le Code de la santé a explosé ces vingt dernières années. Quelles en sont les raisons ?
Récemment encore, il n'existait pas véritablement de droit des malades, tout reposait sur quelques textes et une poignée de décisions de jurisprudence. Et puis, l’encadrement de la recherche biomédicale — essentielle dans des hôpitaux universitaires comme ceux de l’AP-HP — a beaucoup évolué et la sécurité sanitaire est devenue une préoccupation majeure, notamment après différents drames sanitaires tels que l'affaire du sang contaminé. La volonté des pouvoirs publics a été d’établir et de promouvoir des droits précis pour mieux protéger les patients. Aujourd'hui, l’exigence de notre société vis-à-vis de la qualité des soins est très forte : chacun souhaite bénéficier du meilleur. Toute une pression en résulte, portée le plus souvent par les médias, qui a abouti à doter le secteur sanitaire d’une quantité de normes très importante, dans de multiples aspects de l’activité médicale. Toute cette matière est devenue touffue et difficilement accessible pour de nombreux professionnels, qui doivent pourtant vivre avec au quotidien. Notre rôle est aussi de les aider à s’y retrouver.
Vous écrivez beaucoup, vous préparez d'ailleurs la réédition d'un ouvrage sur le thème du décès à l'hôpital. Des choses ont-elles évolué à ce sujet ?
Aujourd'hui, près de 70 % des personnes meurent à l'hôpital, et environ 90 % à Paris. Les problématiques de la loi « Léonetti » sur l’accompagnement de la fin de vie se posent dans de nombreux services. Par ailleurs, nous devons nous préparer d'ici 4 ou 5 ans à une augmentation très significative du nombre des décès en France, qui correspondra à la disparition naturelle de la première génération du baby-boom, née dans les années 1940. Comment gérer cela ? Qu'en sera-t-il des pratiques entourant la mort à l'hôpital ? Devra-t-on redimensionner les chambres mortuaires des hôpitaux ? Ces questions sont rarement évoquées, tant la mort demeure souvent un sujet tabou, mais il s’agit d’un vrai sujet d'organisation, qui nous projette jusque dans les années 2050. Cette question sera abordée en octobre dans le cadre d'un colloque que nous organisons à l’Hôpital européen Georges-Pompidou.
Quels sont les prochains enjeux de l'AP-HP ?
L'AP-HP est comme l'État, dans une situation budgétaire très tendue, et pour plusieurs années. Notre préoccupation majeure, après bien sûr le fait de bien soigner les patients, est donc le retour à l'équilibre. Ensuite, il y a la nécessité de s'adapter à la médecine moderne. Dans quelques années, les patients ne seront plus soignés à l'hôpital dans les organisations qu’ils connaissent aujourd'hui. La médecine « ambulatoire », par laquelle les patients rentrent chez eux le soir parfois même après une intervention chirurgicale, devient l’un des grands enjeux du système de santé, avec l'hospitalisation à domicile et les soins « de jour ». Cette évolution est commune à tous les pays développés. Parallèlement, l'hôpital se concentre de plus en plus sur ses missions de soins, ce qui implique la sous-traitance croissante des activités de transport sanitaire, de restauration, d'entretien informatique ou de gardiennage. Tout ceci n’est pas sans impact sur notre Direction des affaires juridiques…
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur ou pire souvenir d'étudiante ?
Les cours magistraux (dans les deux sens du terme) du grand médiéviste Georges Duby au Collège de France.
L’ennui profond de certains cours magistraux sur les bancs de la faculté, dans les premières années des études de droit.
Quel est votre personnage de fiction préféré ?
Robinson Crusoe.
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Exercice impossible que de privilégier telle ou telle disposition en la matière. Disons que je suis particulièrement sensible à l’article XI de la Déclaration de 1789 :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. »
Carte d'identité de l'AP-HP
Créée en 1849, l'AP-HP est actuellement répartie en 12 centres hospitaliers et emploie quelques 92 000 personnes, soit près de 150 métiers (médecins, internes, professeurs, préparateurs en pharmacie, cuisinier, blanchisseur, informaticien…), l'institution étant désormais l'un des plus gros acheteurs d'Île-de-France. À la différence de la plupart des hôpitaux de France, il a été décidé que les affaires juridiques de cette superstructure seraient traitées dans un service administratif centralisé, la Directions des affaires juridiques (DAJ ; 43 personnes y travaillent), et que celle-ci serait son propre assureur.
■ Les chiffres
– 800 demandes indemnitaires sont transmises à la DAJ chaque année selon ses propres chiffres, beaucoup n'aboutissant pas.
– 20 millions d'euros ont été versés en 2011, avec 13 dossiers de plus de 150 000 euros, contre 9 en 2009.
– 15 millions d'euros par an sont mis de côté en prévision des indemnisations à payer.
– 75 % des demandes indemnitaires sont réglées à l'amiable contre 50 % pour les assureurs classiques.
La neurochirurgie est la matière qui génère les cas les plus lourds : 48 dossiers en 2011 pour un montant de 9 068 549,54 euros.
Globalement, le coût moyen d'un dossier indemnitaire amiable s'élevait à 17 000 l'an dernier, il était de 38 000 euros pour un dossier au contentieux.
Sur la région Île-de-France, l'AP-HP s'étend sur « 130 hectares », soit « 3,5 millions de m2 de bâtiments hospitaliers ».
■ La formation et les conditions d'accès
Il existe aujourd'hui peu de spécialistes de toute l'étendue des questions juridiques touchant au domaine de la santé publique en France vu l'inflation législative en la matière. Les juristes embauchés à la DAJ sortent souvent directement de leurs études. « Lorsqu'ils sont recrutés, les jeunes étudiants juristes connaissent le code mais sont complètement déconnectés de la réalité », souligne le directeur adjoint de la DAJ. Un temps d'adaptation s'avère nécessaire dans cet environnement guidé par l'urgence des réponses sollicitées. Par ailleurs, la directrice de la DAJ est maître des requêtes au Conseil d'État et l'autre directeur adjoint est une magistrate.
■ Les domaines d'intervention
Extrêmement variés : la fugue d'un patient, un problème de bioéthique, la transfusion d'un témoin de Jéhovah, un contentieux en droit immobilier, une grève du personnel, une interrogation sur un dépassement d'honoraire, un accident médical, une infection nosocomiale, une demande de consultation du dossier médical d'un patient par sa famille... La DAJ est divisée en 5 départements qui gèrent ces questions, le plus important étant celui de la responsabilité médicale.
■ Le salaire
Relatif aux grilles de la fonction publique.
■ Les qualités requises
Probité, rigueur, célérité, autonomie, pédagogie, confidentialité, connaissance pointue des textes, expérience, détermination, écoute, discrétion, capacité à trancher vite.
■ Les règles professionnelles
Un règlement intérieur s'impose au sein de l'AP-HP. Les employés sont tenus à divers principes fondamentaux : le secret professionnel, l'obligation de réserve et de discrétion professionnelle, le respect de la liberté de conscience et d'opinion, la sollicitude envers les patients, l'accueil et le respect du libre choix des familles, la promotion de la bientraitance. Quant aux principes de bonne conduite professionnelle, ils font référence au désintéressement, à la ponctualité et à l'assiduité des professionnels, à l'interdiction d'exercer une activité privée lucrative, à la formation, l'exécution des instructions du personnel et l'information de la hiérarchie en cas d'incident, au bon usage des biens du groupe hospitalier ou à la lutte contre le bruit.
■ Sites Internet
L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) : http://www.aphp.fr/
École des hautes études en santé publique : http://www.ehesp.fr/
■ Marc Dupont et Françoise Salaün Ramalho, L'Assistance Publique Hôpitaux de Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 2010.
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