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[ 5 juillet 2018 ] Imprimer

Le droit animalier

Alors que le « Projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », adopté en première lecture par les députés le mercredi 30 mai 2018, suscite un intense débat sociétal, Lucille Boisseau-Sowinski, maître de conférences à l’Université de Limoges, coauteur du Code de l’animal (LexisNexis), a bien voulu répondre à nos questions.

Que pensez-vous du projet de loi en cours de lecture ?

Cela fait longtemps qu’un texte sur le bien-être animal était attendu à la suite des révélations relatives à la manière dont notre société traite les animaux d’élevage et aux vidéos chocs qui ont permis une prise de conscience collective sur ce sujet. Plusieurs tentatives visant à améliorer le bien-être des animaux ont cependant échoué. La discussion du projet de loi sur le respect de l’animal en abattoir a par exemple été abandonnée en raison du renouvellement des députés composant l’Assemblée nationale. De plus, l’extension du délit de mauvais traitements commis par des professionnels aux activités de transport et d’abattage, activités qui n’étaient pas visées par l’article L. 215-11 du Code rural, avait été adoptée par la Loi Sapin II avant d’être finalement retoquée par le Conseil constitutionnel (n° 2016-741 DC du 8 déc. 2016). Le texte actuellement en discussion portant sur « l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » était l’occasion attendue de prendre des dispositions importantes en matière de bien-être animal. La déception est d’autant plus grande que la question du bien-être animal reste très secondaire dans le texte dont l’objectif est davantage de soutenir le secteur agricole que de lui imposer de nouvelles contraintes. Les dispositions sur le bien-être animal sont presque inexistantes et très peu ambitieuses. Certes, on retrouve l’extension du délit de mauvais traitement aux transporteurs et abatteurs, mais il s’agit d’une disposition qui était presque déjà acquise. On s’attendait à trouver par exemple des dispositions bien plus contraignantes sur la vidéosurveillance en abattoir puisque le président Macron, au cours de sa compagne, avait déclaré y être favorable. Le texte initial du projet ne l’avait pas prévu et les différents amendements discutés n’ont permis d’aboutir qu’à une solution de compromis selon laquelle une expérimentation volontaire de la vidéosurveillance pourrait être mise en œuvre dans les abattoirs qui y consentent, ce qui n’a qu’un intérêt fort limité. On remarquera tout de même que de nombreux amendements sur le bien-être animal ont été discutés (interdiction de la castration à vif des porcelets, interdiction du broyage des poussins mâles, etc.). Tous ces amendements ont été rejetés mais au moins, la discussion aura été ouverte. La seule avancée que l’on retiendra de ce texte en termes de bien-être animal est l’extension de la possibilité pour les associations de protection animale de se constituer partie civile pour le délit de mauvais traitements commis par des professionnels et réprimé par le Code rural et le doublement des sanctions portées à un an d'emprisonnement et à 15 000 euros d'amende.

Quelle législation est la mieux protectrice des animaux dans le monde ?

Tout dépend du critère sur lequel se fonder. Certaines législations étrangères sont très protectrices d’un animal en particulier, comme c’est le cas de l’Inde en ce qui concerne la vache ou de l’État de Californie (USA) à l’égard des truies. Si l’on se fonde sur la protection globale des animaux par les législations étrangères, on remarque que l’Europe et plus particulièrement l’Union européenne fait figure de modèle en ce qui concerne la protection du bien-être animal, notamment des animaux de ferme en termes d’élevage, de transport et d’abattage et des animaux d’expérimentation. Au sein même de l’Union européenne, certains États sont particulièrement avancés, ne se contentant pas du cadre minimal garanti par les dispositions communautaires mais allant bien plus loin. C’est notamment le cas de l’Autriche qui s’est doté dès 2004 d’une loi fédérale de protection animale (Österreichisches Tierschutzgesetz, BGBl I n ° 118/2004, art. 2) particulièrement avant-gardiste qui a par exemple imposé pour le bétail (bovins, ovins, et équins) qu’il dispose d’une liberté de mouvement appropriée selon l’espèce et d'un pâturage pendant au moins 90 jours par an (art. 16) et qui a interdit l’utilisation d’animaux d’espèce sauvage dans les cirques (art. 27). Récemment, le Luxembourg a révisé sa loi de protection animale pour y intégrer une nouvelle considération de l’animal en le définissant comme « être vivant non humain doué de sensibilité » et en reconnaissant légalement que sa dignité doit être respectée. Cette loi intègre également de nombreuses dispositions destinées à garantir le bien-être animal et prévoit notamment une liste positive des animaux dont la détention est permise ; l’interdiction de la mise à mort des animaux à des fins économiques tels que la destruction de poussins mâles « inutiles » dans le contexte d’élevages industriels de poules pondeuses ou encore de veaux mâles issus de vaches laitières ; l’obligation d’étourdissement préalable de tous les animaux avant leur abattage sans exception pour l’abattage rituel ; etc. Enfin, la Wallonie devrait bientôt se doter d’un Code du bien-être animal qui interdira l’installation ou la mise en service de cages pour l’élevage de poules pondeuses ; la détention de cétacés en captivité ; l’expérimentation sur des animaux des produits d’entretien et des biocides finis ou leurs ingrédients ; et imposera l’installation de caméras de vidéosurveillance dans les abattoirs et la mise à disposition des images. Plusieurs pays ont donc déjà adopté les avancées qui viennent d’être rejetées en France… 

Quel est le statut juridique de l’animal en droit français ?

L’animal dispose aujourd’hui d’un statut juridique sui generis puisqu’il n’est ni bien ni personne. Son extraction de la catégorie des biens est marquée par la place de l’article 515-14 du Code civil définissant l’animal comme être vivant et sensible, qui a été inséré avant le Titre premier du Livre II du Code civil portant sur « La distinction des biens ». On note également la disparition de toute référence à l’animal dans la définition des biens et l’effacement systématique des références ou des exemples animaux dans les dispositions relatives aux biens, et notamment au sein des articles 524 et 528 du Code civil. Pour autant, même s’il ne fait aucun doute que l’animal n’est pas reconnu comme personne juridique, il n’en est pas moins titulaire de droits puisqu’il est protégé pour lui-même et dans son intérêt propre, ce qui découle notamment du fait qu’il puisse être soustrait à son propriétaire malveillant le cas échéant. Ainsi, l’animal dispose d’un statut hybride, à la fois sujet de droit mais objet du droit de propriété puisqu’il reste « soumis au régime » des biens. Le statut de l’animal sera donc très certainement encore amené à évoluer, afin que la chrysalide encore coincée dans son cocon prenne enfin son envol.

Quelles évolutions juridiques sont souhaitables selon vous ?

Le droit animalier, s’il s’est beaucoup développé ces soixante dernières années, reste aujourd’hui encore très imparfait. Les évolutions souhaitables sont donc particulièrement vastes.

De manière immédiate et très concrète, il serait souhaitable qu’il soit mis fin à certaines pratiques barbares et d’un autre temps que notre droit tolère encore aujourd’hui, non sans contradictions. C’est notamment le cas de toutes les pratiques qui conduisent à des souffrances animales intenses pour le seul plaisir et divertissement de l’homme : spectacles de corridas et combats de coq, production de fourrure, chasse de loisir ou détention d’animaux sauvages dans les cirques par exemple. Il est en effet difficile de reconnaître d’un côté que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » et qu’à ce titre il ne peut leur être infligé des mauvais traitements ou qu’il ne peut être porté atteinte à leur vie « sans nécessité » (C. pén., art. R. 654-1 et R. 655-1) et de considérer à l’inverse que tout plaisir de l’homme, même le plus insignifiant (porter de la fourrure ou assister à une corrida) puisse justifier de pareilles atteintes.

À plus long terme, il serait souhaitable de se donner les moyens de conférer à l’animal un régime juridique autonome et correspondant à son statut d’être vivant et sensible en réorganisant le rapport homme/animal autour de nouveaux droits. C’était la voie que je préconisais dans ma thèse intitulée La désappropriation de l’animal (PULIM, 2013), dont la réalisation effective est notamment rendue possible par le second alinéa de l’article 515-14 du Code civil. En effet, le droit de propriété n’est désormais plus applicable que « sous réserve » des lois qui protègent l’animal. La multiplication des dérogations à l’application du droit de propriété sur l’animal pourra donc conduire à sa remise en cause par la création de nouveaux droits.

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? 

Il s’agit du jour où j’ai compris ce qu’était vraiment un commentaire d’arrêt ! Comme beaucoup d’étudiants, je me contentais de commenter avec tiédeur des arrêts, sans trop m’engager pour ne froisser personne et surtout pas mon correcteur. À l’examen de droit civil de 4e année, je n’arrivais pas à construire un commentaire « tiède » sur un arrêt qui ne l’était pas. À la moitié de l’épreuve, j’ai déchiré mon brouillon et recommencer intégralement, en osant dire réellement ce que je pensais de l’arrêt. Lors des résultats, je m’attendais au pire, pensant que ma franchise allait me coûter cher. J’ai eu 16/20 et j’ai compris ce jour-là ce qu’est un commentaire d’arrêt. Je remercie le professeur Thierry Revet, l’enseignant qui m’a prouvé qu’à l’université on peut oser penser par soi-même !

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Robin des bois, pour son sens de l’équité, de la justice sociale et du partage. Et parce que, de manière très irrationnelle, j’aurais adoré vivre en communauté au milieu des bois !

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

Je ne pense pas que l’on puisse préférer un des droits fondamentaux puisqu’ils sont tous essentiels, complémentaires et interdépendants. Pour garantir le droit à la liberté et à la sûreté, encore faut-il ne pas permettre les détentions arbitraires en garantissant les droits de la défense, ne pas permettre la torture, les traitements dégradants et inhumains, etc. Or, tous ces droits ne peuvent être effectifs qu’à condition que leur violation puisse être dénoncée grâce notamment à la liberté d’expression et au travail des associations (liberté de réunion et d’association). Tous les droits de l’homme sont donc essentiels et il m’est impossible de n’en préférer qu’un.

 

Auteur :M. B. C.


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