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Le droit de la guerre
La guerre en Ukraine nous horrifie tout particulièrement parce qu’elle est aux portes de l’Union européenne. Mais des conflits armés se tiennent depuis si longtemps et dans tant d’endroits qu’il existe même un droit de la guerre. David Cumin est maître de conférences (HDR) à la Faculté de droit de l'Université Jean Moulin Lyon 3 ; il est l’auteur d’un manuel de Droit de la guerre (LGDJ, 2020) ; il a bien voulu répondre à nos questions.
Quelles sont les sources du droit de la guerre ?
La guerre est probablement aussi ancienne que l’histoire humaine. L’Europe ne connaît plus la guerre classique (entre États, entre armées étatiques) depuis 1945. Encore qu’il y eût les guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990, guerres civiles internationalisées ou guerres intercommunautaires plutôt que guerres entre États, ainsi que des conflits armés sur les pourtours de l’ex-URSS. Depuis le 24 février, nous avons l’invasion directe d’un État par un autre État : c’est cela qui nous choque. Il faut bien comprendre qu’autrefois était normale l’alternance de la paix et de la guerre, et non pas la paix, à l’exclusion de la guerre. Il y avait des déclarations de guerre ou acte équivalents, le déroulement des hostilités et des traités de paix, précédés par la cessation des hostilités (armistices…). Le droit de la guerre est un droit international, qui procède largement d’usages militaires devenus coutumes, celles-ci « codifiées » par des conventions (des traités), négociées, signées, ratifiées par des États, réunis ou non en Organisations intergouvernementales, dont l’ONU depuis 1945. Les sources du droit de la guerre sont les sources du droit international : conventions, coutumes, jurisprudence, doctrine. Avant 1945, les manuels de droit international avaient deux parties (comme tout livre de droit) : le droit du temps de paix, le droit du temps de guerre. Depuis la Charte des Nations Unies, succédant au Pacte de la Société des Nations, la compétence de guerre des États a été restreinte à la légitime défense (individuelle ou coalisée) face à l’agression, et, hors légitime défense, elle a été transférée au Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU). Mais le CSNU ne dispose pas de force armée. Il autorise – ou non – les États à recourir à la force armée, en leur donnant mandat. De plus, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a créé le droit à la décolonisation à main armée, au bénéfice des mouvements de libération nationale (MLN), c’est-à-dire les mouvements de lutte armée anticoloniaux, postcoloniaux et anti-apartheid (notions définies précisément). C’est ce qu’on appelle le jus ad bellum (« droit de la sécurité internationale »). Existe d’autre part le jus in bello (« droit international humanitaire » ou « droit des conflits armés »). Lui traite des combattants et des modalités des conflits armés. Ses sources conventionnelles principales, issues du droit coutumier et créant du droit coutumier, sont les Conventions de La Haye de 1907, les Conventions de Genève de 1949, les Protocoles additionnels de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, plus certaines Conventions particulières sur la protection des biens culturels ou sur certains armements.
Qu’est-ce qu’une guerre légale ?
Comme nous sommes en droit international, il n’y a pas de légalité stricto sensu. Il y a des guerres licites ou illicites, en jus ad bellum et/ou en jus in bello. En jus ad bellum, la guerre licite est, d’une part, celle ordonnée par un État ou une Organisation intergouvernementale (OIG) compétente militairement ou un MLN ou encore une organisation armée reconnue (par l’État adverse, des États tiers ou le CSNU), d’autre part, celle livrée pour la défense du pays face à une agression ou livrée avec l’autorisation du CSNU ou livrée pour l’autodétermination d’un peuple face au « colonialisme ». En jus in bello, la guerre licite est, d’une part, celle menée par des combattants habilités (militaires ou combattants réguliers, non militaires ou combattants irréguliers s’ils remplissent les conditions conventionnelles prévues), d’autre part, celle effectuée selon les moyens permis (pas d’armes prohibées) et les modalités permises (conformément aux principes généraux du droit des conflits armés). Les principes généraux ont valeur coutumière ; on les lit aussi dans les diverses dispositions conventionnelles passées et présentes. Parmi les plus importants principes généraux, figure le principe de distinction des combattants et des non combattants, des objectifs militaires et des objectifs non militaires : il est interdit de viser les civils ; il n’est pas interdit de les toucher si les dommages collatéraux ne sont pas inutiles ou excessifs par rapport à l’avantage militaire direct et concret attendu. Si les civils participent directement aux hostilités, il est licite de les attaquer ; s’ils participent indirectement ou s’ils sont suspects d’une participation, il est licite de les surveiller, évacuer ou interner.
Quelles sont les limitations juridiques à la guerre ?
Les limitations résultent des deux branches du droit de la guerre : limiter les auteurs et les buts licites, les acteurs et les modalités licites. En jus in bello, le droit de la guerre sert à limiter la guerre pour mieux l’instrumentaliser. Il s’agit fondamentalement de maîtriser la violence armée pour qu’elle demeure un instrument (de la) politique, pour soi, vis-à-vis de l’ennemi, eu égard aux tiers (autres États, opinion publique, etc.). Toujours en jus in bello, les limitations se confondent avec les principes généraux : distinction entre guerre et paix (limiter les effets des hostilités au temps de guerre), distinction des belligérants et des neutres (limiter les hostilités aux territoires des belligérants à l’exclusion des territoires tiers, inviolables, à moins que les tiers prêtent leur territoire à l’un des belligérants, ce qui les expose à l’exercice du droit de suite par le belligérant adverse), distinction des combattants et non combattants et des objectifs militaires et non militaires, loyauté (pas de perfidie, autrement dit, pas d’actions de combat menées en tenue civile…), humanité (pas de cruauté, autrement dit, droit à la reddition et au quartier…), précaution, nécessité et proportionnalité (dans l’usage des armes), sécurité de l’environnement (pas de destructions écologiques étendues, durables et graves).
Qui peut les faire respecter ?
Les États eux-mêmes : un État agressé répondra militairement par l’exercice du droit de légitime défense, ainsi que ses alliés le cas échéant. Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut condamner et « sanctionner » tel État recourant à tort à la force armée ou autoriser les États tiers volontaires à recourir à la force armée contre l’État agresseur ou ayant rompu la paix. Mais il faut une résolution adoptée par neuf voix sur quinze sans le veto exprès de l’un des cinq membres permanents. L’Assemblée générale des Nations Unies aussi peut condamner voire « sanctionner », mais il faut les deux tiers des États membres et les résolutions n’ont valeur que de recommandation. Les résolutions du CSNU peuvent être recommandatives ; elles peuvent être aussi obligatoires. Le CSNU est paralysé en cas de conflit mettant aux prises l’un des membres permanents (usant du veto). Un État = un État en droit, si bien que les allégations des États sont également souveraines. En jus in bello, il appartient aux belligérants eux-mêmes de faire respecter le droit applicable en menaçant l’autre de représailles ou en procédant à des représailles, c’est-à-dire des réactions armées dérogatoirement permises pour faire cesser les actions armées illicites préalablement commises par l’ennemi. On devine que ce « talion » est fort délicat et pourrait nourrir l’escalade. Les tiers peuvent réagir, de même que l’ONU, toute OIG ou toute ONG humanitaire : le belligérant a intérêt à respecter les règles s’il ne veut s’attirer la réprobation des tiers. Autrement, il y a la réparation des dommages illicites et la répression des infractions graves (crimes de guerre par exemple) : si l’État n’est responsable qu’au plan de la réparation et pas au plan pénal, les individus, subordonnés comme supérieurs, sont responsables au plan pénal, autrement dit, s’ils commettent des crimes de guerre (ou autres crimes internationaux, crimes contre l’humanité, crimes de génocide). Un tribunal compétent de leur propre État ou de l’État adverse ou d’un État tiers ou, éventuellement et subsidiairement, la Cour pénale internationale (CPI), pourra les poursuivre et les juger. Cela suppose qu’ils soient arrêtés…
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Les grèves de 1986.
Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
James Bond. Natacha (BD).
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit à la dignité. Il devrait être le premier.
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