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Le droit et l’animal
Jean-Pierre Marguénaud est professeur de droit privé à la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges et directeur du Centre de recherche sur les droits de la personne. Sa thèse de doctorat sur L’animal en droit privé a été publiée au PUF, en 1992 et il est aujourd’hui directeur de la Revue semestrielle de droit animalier. Il répond aux questions du site Dalloz Actu Étudiant sur les relations de l’homme et de l’animal, qui sont depuis longtemps au cœur de la mise en œuvre des interdits sociaux, et plus encore.
Quels sont les différents dispositifs juridiques applicables à l’animal en France ?
La France est le pays de Descartes qui est, notamment, célèbre pour être à l’origine de la théorie de l’animal-machine dont les cris n’exprimeraient pas davantage la douleur que ne le font les grincements d’une charrette mal graissée. Les règles juridiques qui lui sont applicables reflètent encore largement cette conception et se trouvent donc, pour la majorité d’entre elles, au sein du Code rural et de la pêche maritime, qui est un code plus particulièrement destiné à quelques professions qui ont besoin de tuer les bêtes pour vivre. Un article de ce Code reconnaît néanmoins que tout animal est un être sensible devant être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. La sensibilité de l’animal est également prise en compte par le Code pénal qui protège les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité contre les mauvais traitements et les actes de cruauté même lorsqu’ils ne leur ont pas été infligés publiquement. La sensibilité des animaux sauvages n’est pas prise en compte si bien que le Code de l’environnement se préoccupe essentiellement de la protection des espèces menacées de disparition. Le droit français est, en outre, soumis au droit de l’Union européenne qui, de manière encore plus éclatante depuis le traité de Lisbonne, vise à promouvoir le bien être des animaux en tant qu’êtres sensibles.
Prennent-ils la forme d’obligations pour les hommes, de règles de protection et de conservation des espèces ou de droit à un traitement respectueux pour qui est vivant ?
Ils prennent un peu chacune de ces formes sauf celles du droit à un traitement respectueux pour qui est vivant. Une des grandes questions en discussion est celle de savoir s’ils ne devraient pas prendre aussi la forme de droits pour les animaux.
Quelles sont les autorités chargées de les appliquer ?
Elles sont très diverses selon l’activité concernée. Il peut s’agir d’autorités administratives délivrant des autorisations ou des agréments, des comités ou commissions d’éthiques, sans oublier les autorités judiciaires. Il faut souligner l’importance particulière des vétérinaires et des services vétérinaires ainsi que celle des associations régulièrement déclarées depuis au moins 5 ans que l’article 2-13 du Code de procédure pénale habilite à exercer devant les juridictions répressives les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne la plupart des infractions destinées à protéger les animaux.
Existe-t-il un conflit entre celles-ci et les autorités religieuses au sujet des pratiques rituelles d’abattage des animaux élevés pour la consommation alimentaire ?
Le souci de préserver le développement de la filière viande semble de nature à estomper les conflits avec les autorités religieuses. Néanmoins, il s’en élève parfois quelques-uns pouvant se prolonger jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme comme dans l’affaire Cha’are Shalom Ve Tsedek qui a donné lieu à un important arrêt du 27 juin 2000 favorable à la liberté d’exercice des cultes. D’une manière générale, la question de l’abattage rituel, à laquelle la Revue semestrielle de droit animalier a consacré un dossier dans son numéro 2/2010, ne doit pas se poser en termes de stigmatisation de communautés religieuses mais au regard de l’objectif de protection des animaux. Or, de ce point de vue, il est, fort heureusement, loin d’être assuré que les autorités des deux religions concernées soient catégoriquement et définitivement hostiles à toute évolution des méthodes d’abattage rituel.
Faut-il craindre l'application des droits de l'homme à l'animal ou du XIIIe amendement qui abolit l'esclavage (v. le rejet de la plainte récemment portée sur ce fondement devant les tribunaux américains pour des orques travaillant au sein d’un parc aquatique) ?
Avant de répondre, il faut bien prendre conscience de ce que, dans le monde anglo-saxon, la réflexion sur la condition animale est si développée, grâce à des auteurs comme Peter Singer, Tom Regan, Gary Francione, Joël Findberg, ou Steven M. Wise, qu’il est possible d’y poser tout à fait sérieusement de telles questions qui, en France, sont encore invraisemblables. Plutôt que de brouiller les repères en conférant aux animaux des droits identiques aux droits de l’homme, il serait sans doute plus efficace et plus commode de leur attribuer, suivant une conception tournant résolument le dos à l’anthropomorphisme, des droits équivalents à ceux qui sont techniquement attribués aux personnes morales.
Le questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ? ou le pire ?
Dans mon meilleur souvenir d’étudiant se confondent les cours éblouissants, au sens fort du terme, de Jacques Phytilis (v. Vertiges du droit, Mélanges franco-helléniques à la mémoire de Jacques Phytilis, L’Harmattan, 2012) et de Claude Lombois (v. Apprendre à douter, Questions de droit, questions sur le droit. Études offertes à Claude Lombois, PUL, 2004) et le profond humanisme universitaire de Pierre Couvrat (v. La sanction du droit, Mélanges offerts à Pierre Couvrat, PUF, 2001).
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Le cadet des Thibault, Jacques.
Quel est votre droit de l’homme préféré ?
Le droit à l’autonomie personnelle.
Références
■ Article 2-13 du Code de procédure pénale
« Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l'objet statutaire est la défense et la protection des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves ou actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d'un animal prévus par le code pénal. »
■ CEDH 27 juin 2000, Cha'are Shalom Ve Tsedek c. France, no 27417/95.
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