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[ 19 mai 2016 ] Imprimer

Le Greffier

S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.

C'est un métier que l'on connaît tous. Proche du magistrat, il est le premier contact du justiciable au sein du très solennel Palais de justice. Le contenu de ses missions varie considérablement d'une juridiction à l'autre et son rôle est en passe d'évoluer vers une harmonisation pour un accueil amélioré du justiciable. C'est ce que nous a expliqué Lesly Sinclair, greffier au tribunal d'instance de Bobigny depuis deux ans.

Quel a été votre parcours universitaire et professionnel ?

J'ai effectué l'intégralité de mes études à l'Université des Antilles, en Guyane, de 2004 à 2008 et j'en suis sorti avec une maîtrise de droit privé. Après ma maîtrise, je me suis orienté vers les concours de la fonction publique, j'étais particulièrement intéressé par celui de surveillant pénitentiaire que je ne connaissais pas vraiment. Mais j'ai toujours été curieux. J'ai donc passé le concours que j'ai obtenu et j'ai intégré l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) en 2008. A ma sortie d'école j'ai été affecté en tant que surveillant pénitentiaire dans un établissement pour peine, qui concerne donc des détenus pour lesquelles les condamnations sont devenues définitives. C'était le centre de détention de Roanne (42) et j'y suis resté deux ans et demi. Par la suite, j'ai quitté le milieu fermé pour le travail en milieu ouvert au moment des réformes sur la prise en charge des peines de prison en milieu ouvert, et notamment le placement sous surveillance électronique auquel je me suis intéressé. Puis j'ai été muté en 2011 dans un centre de probation en Seine et Marne où j'ai exercé jusqu'en 2013.

C'est là que j'ai décidé de changer de métier. Ma compagne exerçait déjà le métier de greffier des services judiciaires. Je me suis rendu plusieurs fois à l'École nationale des greffes (ENG), notamment pour sa sortie d'école. En discutant, j'ai pu comprendre les exigences de la profession, la nécessité des stages, tout cela m'a beaucoup plu. J'ai concouru de nouveau pour devenir greffier, par curiosité encore une fois. J'ai suivi une formation initiale alternée de stages en juridictions à partir de 2013. A l'issue de la formation j'ai intégré le tribunal d'instance de Bobigny, en mars 2014. Je ne suis pas déçu.

Comment se déroulent les journées d'un greffier ?

Le travail est très différent d'un endroit à l'autre, par exemple, entre un TI ou un TGI. De plus, le quotidien est assez aléatoire. Pour ma part, je suis en charge d'une expérimentation de l'accueil et du PACS (pacte civil de solidarité, ndlr). J'ai la liberté d'organiser mon travail en accord avec mon directeur de greffe et j'ai des responsabilités telles que l'accueil du justiciable, des acteurs institutionnels, judiciaires, etc... Il faut être le plus clair et concis possible. Les interlocuteurs ne se ressemblent pas tous et d'une matinée à l'autre, vous pouvez avoir une dizaine ou une quarantaine de justiciables. Au TI de Bobigny en particulier, il y a beaucoup d'affluence. Ensuite il faut se coordonner avec les autres services parce que nous recevons des déclarations de greffe, des assignations déposées par les huissiers ou certains avocats, il faut réaffecter vers les services compétents en ayant effectué les formalités d'usage en fonction de l'urgence. On n'est pas seuls, il y a aussi les magistrats avec lesquels nous travaillons. Les greffiers mettent en état les affaires, les préparent, assistent aux audiences... Cela exige de la rigueur dans notre manière de travailler.

En tant que greffier, vous pouvez décider de changer d'affectation, de postes selon vos objectifs et vos choix de carrière. Avant je m'occupais du service des tutelles, il y avait beaucoup moins de contacts avec le public, ce qui n'est pas facile aussi. Il faut pouvoir écouter, prendre le recul nécessaire pour ne pas tomber dans l'empathie, comprendre ce qui nous est proposé, en dégager une réponse adéquate. Pour une personne qui arrive stressée, si en face son interlocuteur ne lui renvoie pas une image positive, son stress s'amplifiera. Ce n'est pas le but. Il faut amener les personnes à s'expliquer. Ce n'est pas toujours évident. Nous devons aussi adapter notre langage juridique aux personnes qui éprouvent des difficultés de compréhension. Cela demande un travail de reformulation quotidien. Il y a aussi la barrière de la langue mais on arrive à s'en sortir. Il m'arrive, mais j'évite, de parler anglais et espagnol. En général on arrive à se faire comprendre en français.

Vous êtes au cœur d'une expérimentation, le service d'accueil unique du justiciable (SAUJ), qui est censé être étendu à toutes les juridictions d'ici quelques mois. En quoi ce service consiste-t-il ?

C'est une sorte d'accueil approfondi. Auparavant, l'accueil était réparti dans différents services sauf dans les grandes cités judiciaires où vous aviez déjà un guichet unique du greffe mais il n'avait pas forcément vocation à traiter les requêtes hors de sa compétence. Au SAUJ, nous pouvons recevoir des requêtes qui ne sont pas de notre compétence territoriale, il nous appartient de retransmettre aux bonnes instances. Dans mon cas, je dispose d'un box individuel où je peux recevoir les personnes juste à côté de l'accueil classique ce qui me permet de les écouter et de mieux cibler leurs attentes et leurs demandes. Nous faisons des vérifications juridiques afin de savoir ce que souhaite la personne, contre qui elle souhaite ester et surtout si elle est devant la bonne juridiction. En fonction de tous ces éléments, je lui explique la procédure à suivre. Ensuite, si je dispose des éléments nécessaires type formulaire, requête, liste d'huissiers ou d'avocats, on les lui fournit et on lui explique comment remplir ces formulaires, vers quel interlocuteur s'adresser et toutes les informations nécessaires. A terme, notre expérience va déboucher sur la possibilité, pour un habitant de Bobigny qui souhaiterait ester à Narbonne, de le faire de chez nous. C'est l'idée du programme Justice XXI. Un portail permettra au justiciable de visualiser, grâce à ses numéros de procédure, où celle-ci en est, et de pouvoir démarrer sa procédure s'il est loin du lieu de la juridiction. 

Dans le cadre du SAUJ, nous avons revu et harmonisé l'ensemble de nos pratiques afin de pouvoir tout de suite fournir les bonnes informations, les bons formulaires et qu'en sortant de notre accueil, la personne sache ce qu'il lui reste à faire. Tout cela a évolué ses deux dernières années car l'expérimentation est en cours depuis 2014. Et maintenant on peut mesurer l'impact et comment améliorer encore le dispositif. De manière générale, nous avons pu mesurer par des enquêtes que les personnes sont beaucoup plus satisfaites. Elles sont moins désemparées lorsqu'elles sortent de chez nous. Dernièrement, une personne m'a dit que c'était la première fois qu'on lui expliquait vraiment tout ce qu'elle avait à faire. C'est un gage de satisfaction personnelle pour nous et cela aide à changer un peu l'image de la justice.

Qu'est-ce qui vous plaît/déplaît dans ce métier ?

En point positif, il y a la polyvalence qu'il s'agisse de changer de service, de juridiction, d'affectation géographique. C'est un peu le lot de la fonction publique d'État. Idéal pour ceux qui aiment voyager. Ca n'est pas toujours la même procédure non plus que nous avons à expliquer. Cela peut porter sur du droit du travail, du droit civil, des contrats. Je ne me dis jamais que cette journée a été éprouvante, que j'ai fait les mêmes choses. C'est assez vivant.

Sinon, il faut reconnaître que l'image du greffier est un peu archaïque mais ça évolue dans le bon sens. Le lien avec le justiciable aussi peut être compliqué. Pour arriver à bien informer dans le cadre de l'expérimentation SAUJ, il faut être compris, adapter son langage. La personne qui arrive peut être en panique et ne pas savoir expliquer clairement sa situation. Il faut avoir un certain recul, le temps disponible pour l'écouter, les qualités nécessaires pour synthétiser parce qu'on reçoit un flot d'informations dans certains cas. Il faut aussi faire attention à ne pas tomber dans le conseil, ce n'est pas notre métier. Pour moi c'est un des points négatifs : la frontière est mince et le justiciable s'attend souvent à ce qu'on lui donne des conseils. Il faut faire attention à ne pas empiéter sur le travail des avocats, des associations et des juristes. 

Le statut du greffier a évolué depuis la réforme d'octobre 2015. Comment percevez-vous de manière générale l'évolution de votre profession ?

Je pense que cette réforme était nécessaire. Il fallait améliorer notre façon d'accueillir et aussi de rendre la justice, la rapprocher des justiciables. Si je regarde l'aspect au jour le jour, je n'en tire que du positif dans la mesure où quand je discute à la fin d'une procédure avec une personne qui m'explique être contente d'être passée chez nous, je me dis qu'on a pris du temps mais cela s'est avéré utile. Avec la dématérialisation et le renfort d'effectif nécessaire, le travail des collègues dans les services sera plus efficace et plus rapide entre le dépôt de la demande et le moment où elle sera traitée. Ca ne sera que positif pour le justiciable et pour les juridictions. 

Ce ne sera pas le cas dans toutes les juridictions parce qu'on doit aussi rester réaliste et le flux d'affaires dans certains endroits sera toujours aussi intense voire même pire. Mais à terme je pense que ce sera beaucoup plus simple et rapide. C'est un peu le but pour lequel je me suis investi : aider les personnes à trouver le bon interlocuteur, à faire les bonnes démarches, fournir les bonnes pièces et rendre l'instruction du dossier beaucoup plus simple, et donc efficiente.

Sur l'avenir, je reste positif. Malheureusement, je ne sais pas s'il y aura une revalorisation de notre statut mais en tout cas, je pense que c'est une profession qui sera amenée à se renforcer en termes d'effectif, de responsabilité, puisque le statut a été adapté à et effet.

Questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre pire ou meilleur souvenir d'étudiant ?

Mon pire souvenir c'est le droit administratif. Aujourd'hui, j'aime beaucoup cette matière mais au départ, je ne la supportais pas. Je n'en voyais pas l'intérêt et l'impact quand j'étais en seconde année. Mes notes étaient catastrophiques. C'est quand on avance dans ses études et dans la pratique qu'on comprend parfois les implications du droit administratif, et son importance aussi.

Mon meilleur souvenir c'est l'obtention de ma maîtrise. J'avais du mal à y croire car j'étais fatigué.

Quel est votre héros de fiction préféré ?

Je fais partie des personnes qui aiment beaucoup les Marvel et les Comics, en particulier Superman, Spiderman. Ce ne sont pas des héros auxquels je m'identifie personnellement mais j'aime leur quête, leur idéal de protection, de service de la communauté. J'apprécie aussi les mangas. Et je suis de la génération Dragon Ball Z. 

Quel est votre droit de l'homme préféré ?

Je ne sais lequel serait plus important que l'autre car mais je constate que dans les pays où il y a un droit de l'homme qui est bafoué ou qui fait l'objet de restrictions, cela conduit la population à la révolte ou à la fuite vers de meilleures conditions de vie. Je pense qu'ils sont tous essentiels, on en a tous besoin et peut-être qu'on en découvrira ou qu'on en proclamera de nouveaux, dans les prochaines années.

Carte d'identité du greffier

Le greffier est un agent de catégorie B de la fonction publique, placé sous l'autorité du directeur des services de greffe judiciaire, ex-greffier en chef. Considéré comme un technicien de la procédure, il enregistre les affaires, constitue les dossiers, prévient les parties des dates d'audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, rédige des actes et met en forme les décisions. Toute formalité ou acte accompli en son absence pourrait être frappé de nullité. On attend également de lui qu'il dispose de qualités humaines pour accueillir le justiciable.

■ Les chiffres

-       Les services judiciaires comptent environ 9000 greffiers.

-       800 recrutements de greffiers en 2016.

-       250 à 300 greffiers sortent de l'école de Dijon chaque année, dont environ 80% de femmes et 20% d'hommes. L'ENG forme aussi les greffiers en chef, cadres des services judiciaires.

■ La formation et les conditions d'accès

La formation de dix-huit mois à l'école nationale des greffes de Dijon est accessible sur concours externe à tous les candidats à partir de Bac+2 ou sur concours interne aux agents publics justifiant de quatre ans d'exercice dans le service public.

■ Les domaines d'intervention

Le greffier intervient au civil comme au pénal ou aux prud’hommes où il est présent à toutes les étapes de la procédure. De manière générale, il assiste le magistrat au sein des juridictions de l'ordre judiciaire et authentifie les actes juridictionnels.

■ Le salaire

Un greffier stagiaire est rémunéré en début de carrière environ 1600 € net et peut terminer avec une rémunération d’environ 2600 €.

■ Les qualités requises

Réactivité, éthique, probité, rigueur, capacité d'écoute, intuition, mémoire, pragmatisme, pluridisciplinarité, engagement, goût pour l'international, pédagogie.

■ Les règles professionnelles

Selon l'article 25 de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, « Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Dans l'exercice de ses fonctions, il est tenu à l'obligation de neutralité. Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il doit notamment s'abstenir de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. Le fonctionnaire traite également toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité ».

■ Les sites Internet : 

-       École nationale des greffes : http://www.eng.justice.fr/

 

-       Syndicat des greffiers de France : http://lesgreffiers.com/

 

Auteur :A. C.


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