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[ 8 octobre 2020 ] Imprimer

Le harcèlement en meute

Un youtubeur au nombre d’abonnés conséquent vient d’être condamné en septembre 2020 par le tribunal correctionnel de Versailles à une peine d’emprisonnement ferme d’un an. Il avait « influencé » sa communauté à envoyer des messages haineux à d’autres youtubeurs. Patrick Mistretta, professeur à l’Université Jean-Moulin Lyon 3, répond à nos questions sur les raids numériques, le harcèlement en meute.

Quelles sont les particularités du « harcèlement en meute » ?

L’expression « harcèlement en meute » fait référence à une nouvelle modalité de harcèlement qui est apparue récemment sur les réseaux de communication au public en ligne. Ce harcèlement ou, pour reprendre les termes du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ces « raids numériques » consistent dans la publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible. Dans cette forme de criminalité, même si chaque internaute n’envoie qu’un unique message, la totalité des messages reçus par une victime forme un « raid numérique » qui prend souvent la forme d’une campagne de dénigrement. Cette forme de harcèlement en meute ne se caractérise donc pas par l’envoi de messages isolés, mais bien par un déluge de propos composé de messages individuels provenant de divers internautes.

Quelles sont les dispositions législatives qui le punissent ?

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a modifié les délits de harcèlement lorsque la répétition se conjugue à la pluralité d'auteurs. L'objectif de la loi de 2018 est ainsi de lutter contre le cyber-harcèlement afin notamment de sanctionner pénalement les raids numériques réalisés par plusieurs personnes agissant de façon concertée. Désormais l’article 222-33-2-2 du Code pénal sanctionne de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende le harcèlement moral lorsque les propos ou comportement répétés constitutifs du harcèlement sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée. Il en est de même lorsque les propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition. 

Comment le juge le sanctionne ?

La jurisprudence semble très sensibilisée face à cette nouvelle forme de harcèlement et n’hésite pas à entrer en voie de condamnation. Dans l’affaire de la journaliste Nadia Daam qui avait été la cible de menaces répétées et d’un déferlement de haine, des cyberharceleurs ont été condamnés à six mois d’emprisonnement avec sursis et 2 000 euros d’amende. Si généralement les peines prononcées consistent en une peine d’emprisonnement avec sursis, une amende, voire une obligation de soins, il est certain que l’affaire du youtubeur qui vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Versailles marque un cap supplémentaire dans la répression puisque le prévenu a été condamné à deux années d’emprisonnement, dont une année ferme avec mandat de dépôt. Il est également frappé d’une interdiction d’exercer une activité de création sur les réseaux sociaux ou sur tout site Internet. 

Faut-il craindre pour la liberté d’expression ?

La liberté d’expression est attaquée de toute part et de tout temps, mais il est certain que les réseaux de communication au public en ligne (Facebook, twitter, Instagram, youtube, etc) et l’appétence notamment des jeunes générations pour cette forme de communication a exacerbé les atteintes susceptibles d’être portées à cette liberté si précieuse qu’est la liberté d’expression. Le dispositif répressif instauré par la loi du 3 août 2018 permet déjà de sanctionner les délinquants tentés par cette nouvelle forme de harcèlement, et l’on peut espérer que le juge pénal soit particulièrement vigilant en prononçant des peines exemplaires car, on l’a vu au procès de Versailles, il faut s’attendre à ce que les délinquants condamnés dénient la réalité du harcèlement ouvrant alors la voie au risque bien réel de récidive. 

Le questionnaire de Désiré Dalloz

Quel est votre meilleur souvenir d’étudiant ?

Ils sont nombreux et il est difficile d'en isoler un en particulier. Il y a d'abord tous ces instants du quotidien de l'étudiant où l'on dévore le droit en écoutant de grands professeurs qui ont le talent de parvenir à passionner un auditoire en amphithéâtre. Avoir cette capacité de transmettre la flamme aux étudiants, c'est sans doute cela qui m'a le plus impressionné dans mes études de droit. Et lorsque, à la fin de ma première année de chargé de travaux dirigés, j'ai eu la surprise et le plaisir d'être applaudi par mes premiers étudiants, j'ai ressenti la douceur de cette flamme. J'ai pensé intensément à ce moment-là à mon tuteur, à la fin du premier trimestre commun de droit et AES en première année, qui m'avait vivement conseillé d'oublier le droit pour la suite de mes études … Rien n'est écrit d'avance quand on est étudiant … 

Quels sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ? 

Sans la moindre hésitation Chloé et Colin dans L’Écume des jours de Boris Vian. Il y a tout ce que la vie recèle de merveilleux et de dramatique dans ce conte enchanteur plein de fantaisie, de douceur et de noirceur : l’amour bien évidemment, mais aussi le monde du travail, la musique, la religion, et les malheurs de la vie comme la maladie. Mais il y a aussi beaucoup de messages d’espoir notamment pour nos étudiants en droit qui ont tendance à être obnubilés par l’instantanéité de leurs études, de leurs examens et d’une carrière trop souvent préconçue. « J'ai le sentiment que toute ma vie dépend de cet instant précis. Si je le rate... Moi je pense le contraire. Si on rate ce moment, on essaie celui d'après, et si on échoue on recommence l'instant suivant. On a toute la vie pour réussir » (Boris Vian, L’Écume des jours). 

Quel est votre droit de l’homme préféré ?

J’ai une vraie attirance, et depuis le début de mes études de droit, pour les droits de l’homme en construction. J’ai milité très tôt dans ma thèse de doctorat pour le droit à un environnement sain ; je suis également un fervent partisan de ce droit matriciel qu’est le droit à la dignité trop souvent dénigré en doctrine alors qu’il est possible d’appréhender la notion comme d’autres standards juridiques plus ou moins opaques que le pénaliste utilise pourtant volontiers et sans s’infliger le moindre état d’âme. Je me réjouis donc que ce droit vient à nouveau d’être consacré au profit des détenus dans une décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020. Aujourd’hui ma faveur va vers le droit à la liberté corporelle qui émerge progressivement parce qu’il repose sur des concepts fondamentaux de notre société contemporaine comme le consentement et l’autonomie personnelle. 

 

Auteur :Marina Brillé-Champaux


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