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Le juge de l'application des peines
S'orienter, étudier, passer des concours, suivre des stages, découvrir un métier, décrocher un contrat... Autant d'étapes importantes qui soulèvent, pour chaque étudiant, un foisonnement de questions. Afin de démêler les réalités des idées reçues, Dalloz Actu Étudiant a décidé de décrypter tous les mois les spécificités d'un métier du droit à partir du témoignage d'un professionnel.
C'est un métier de la magistrature qui a vu son rôle évoluer de manière considérable au tournant des années 2000. Le juge d'application des peines (JAP) est en charge de toute la phase d'exécution de la peine. Un rôle essentiel dans le travail de prévention de la récidive, de préparation à la sortie, de réinsertion des condamnés et dans le travail d'individualisation de la peine. Myriam de Crouy-Chanel, JAP à Beauvais, nous a expliqué les enjeux de cette spécialité.
Pouvez-vous décrire votre parcours depuis vos études jusqu'à ce poste de vice-président du TGI à Beauvais chargé de l'application des peines ?
J'ai un parcours universitaire assez classique avec cinq années passées à la faculté de droit puis l'entrée à l'école de la magistrature de Bordeaux. Mon premier poste a été celui de juge de l'application des peines, celui que j'exerce également aujourd'hui. A l'époque c'était à Amiens et je suis restée à ce poste cinq ans avant de rejoindre le parquet pendant huit ans. D'abord substitut au TGI d'Amiens puis substitut général à la Cour d'appel d'Amiens, ensuite je suis arrivée au TGI de Pontoise où je suis restée un an en tant que juge des libertés et de la détention puis trois ans et demi aux affaires familiales. Et depuis un an, je suis juge de l'application des peines à Beauvais.
Je suis vice-présidente du TGI mais c'est un statut. Au bout de sept ans on peut passer du 2e au 1er grade dans la magistrature ce qui correspond, au siège, à devenir vice-président. A Pontoise, presque la moitié des magistrats le sont. Cela ne change par fondamentalement les fonctions sauf pour quelques responsabilités qu'on ne peut exercer que lorsqu'on est vice-président comme juge des libertés et de la détention. Cela entraîne quelques contraintes comme les permanences du week-end. Et en tant que vice-président, on peut aussi être responsable d'un service, c'est mon cas actuellement car je suis responsable du service de l'application des peines. Je coordonne le travail de mes collègues et représente le service.
Vous avez fait partie du comité d'organisation de la Conférence du consensus sur la prévention de la récidive en 2013. Cet événement a-t-il été utile pour la profession ?
Cela a été très intéressant pour moi. J'ai été appelée, parce que tout au long de l'exercice de mes fonctions, j'ai toujours été intéressée par l'application des peines, tout ce qui concerne les questions pénitentiaires. La Conférence a permis en France de faire connaître un certain nombre d'études, plutôt étrangères, sur les mesures efficaces en matière de prévention de la récidive comme le suivi en milieu ouvert à certaines conditions. Cela a permis de mettre en avant toutes les règles européennes de la probation, assez mal connues jusque là et dont la pénitentiaire s'est emparée depuis. Cette conférence a laissé des traces et permet aux étudiants, chercheurs, praticiens de puiser à travers les fiches assez synthétiques, complètes que nous avons réalisées sur les différents thèmes.
Personnellement, j'y ai appris énormément de choses qui influent sur ma pratique encore aujourd'hui. Par exemple, je ne lis plus un casier judiciaire de la même manière. Avant, lorsque je voyais 22 condamnations, je me disais que c'était joué, qu'il n'y avait pas d'autre solution que l'emprisonnement ferme. Mais j'ai découvert le courant de la désistance qui montre que la sortie de délinquance n'est pas brutale et qu'on peut en percevoir les prémices en lisant le casier. On peut voir par exemple que si les condamnations sont très nombreuses, elles s'espacent sur les dernières années, deviennent moins graves, ne sont plus de la même nature. On peut alors penser que la personne est dans une phase propice à la sortie de délinquance, il faut donc mettre le paquet en terme d'accompagnement plutôt que réincarcérer. Ça n'est pas toujours facile à comprendre parce qu'avec une personne qui a un très long casier, on ne se pose en général pas trop de questions. C'est un retour en prison presque systématique.
Qu'appréciez-vous en particulier dans ce votre métier ?
De façon générale, en tant que juge, et même quand j'étais aux affaires familiales, j'ai toujours apprécié chercher la solution la plus juste, la plus équitable à une situation de conflit ou à un acte de délinquance. J'aime utiliser l'outil juridique avec bon sens, déontologie, avec mon sens de la justice. J'aime le côté assez rigoureux du droit, la relation avec le justiciable aussi bien à l'audience qu'au cours des entretiens individuels. C'est très riche de pouvoir comprendre la situation, de faire preuve de pédagogie et s'inspirer de modèles en France et à l'étranger, être à la recherche de systèmes qui fonctionnent mieux. J'aime bien l'aspect partenariat comme le fait de travailler sur des dispositifs innovants avec les avocats, l'administration pénitentiaire mais aussi le secteur associatif qui a une grande place en France sur tout le suivi des condamnés.
Il y a beaucoup d'échecs qui peuvent engendrer du découragement. On peut vite rentrer dans une routine. Par exemple, face à un alcoolique, une obligation de soin va lui être imposée: on va lui demander des analyses médicales pour contrôler sa consommation et des attestations de consultation chez son médecin. Mais on peut se rendre compte que la personne le fait de manière formelle, sans s'engager vraiment et alors on se demande à quoi ça sert. Pour donner du sens à l'obligation de soins, le juge doit être en dialogue avec les structures médicales spécialisées et réfléchir à des dispositifs adaptés. On est tellement pris dans la masse des dossiers qu'il est très compliqué de se dégager du temps pour tenir des réunions avec des partenaires, organiser des groupes de travail, de réflexion. C'est quasiment impossible en ce moment et c'est vraiment dommage.
Vous avez commencé comme juge d'application des peines (JAP), métier que vous avez retrouvé voilà un an. Ce métier a-t-il beaucoup évolué ?
Oui, énormément. Je pense que c'est une des fonctions qui a le plus évolué dans la magistrature. En 1997, quand j'ai pris mes fonctions, c'était un métier très artisanal, un peu considéré comme un sous-juge, il prenait à peine des décisions judiciaires. Il n'y avait pas du tout de contradictoire dans ses décisions, l'avocat n'était pas présent ni le procureur et les recours n'étaient quasiment pas possibles. L'application des peines dépendait un peu trop de la personnalité du juge, il y avait de l'arbitraire. Maintenant il existe véritablement une procédure judiciaire avec l'intervention de l'avocat, les réquisitions du procureur, un débat contradictoire, une motivation des jugements et la possibilité d'appel devant la chambre de l'application des peines. Les garanties du condamné sont plus fortes et la victime a davantage sa place. Néanmoins cela rallonge les délais, devient beaucoup plus technique et demande beaucoup plus de moyens.
A Amiens, en 1997, j'étais toute seule comme juge d'application des peines, maintenant ils sont quatre. Dans les promotions de l'ENM, beaucoup de collègues désormais se préparent à être JAP en premier poste. La formation sur le sens de la peine est plus nourrie de réflexions. Mais il reste beaucoup de magistrats que cela n'intéresse pas trop. Une fois que la peine est prononcée, ils considèrent que ce n'est plus tellement l'affaire des juges mais de l'administration pénitentiaire. Ils se sentent moins concernés. C'est pareil pour les avocats. Très peu interviennent encore en matière d'application des peines ce qui m'étonne toujours au regard de l'enjeu. On peut faire gagner au client trois, quatre années de détention. Je pense qu'ils ne réalisent pas ou qu'ils n'ont pas encore une bonne connaissance de toutes les possibilités qui s'offrent au condamné en matière d'aménagement de peine.
On dit parfois que le juge de l'application des peines est celui qui « défait » les peines prononcées par le tribunal en aménageant par exemple de la prison ferme. Qu'en pensez-vous ?
C'est en partie vrai mais le législateur l'a voulu. Il s'agit d'un principe inscrit dans le Code de procédure pénale à savoir que la peine doit en principe être aménagée, et en dernier recours seulement, exécutée en prison. Ceci dit, ça peut être mal compris. Il serait beaucoup plus clair que la peine soit aménagée dès l'audience. Le juge prononcerait par exemple quatre mois de prison qu'il proposerait d'effectuer à l'extérieur en surveillance électronique compte tenu de la situation du prévenu. D'ailleurs le Code de procédure pénale permet d'aménager la peine dès l'audience. Seulement les collègues qui siègent en correctionnel ont du mal à faire des aménagements ab initio parce qu'ils n'ont pas toujours les éléments suffisants sur la situation du condamné (notamment le contrat et les horaires de travail). C'est un peu compliqué de se demander dès l'audience correctionnelle si l'aménagement de peine sera matériellement possible. Ils préfèrent laisser ce travail au JAP. Et en terme d'affichage, ils trouvent important que la peine fasse un peu peur, que la perspective de faire de la prison ferme mobilise l'intéressé pour présenter devant le JAP une situation avec un début d'indemnisation des victimes, un début de soins, de recherche d'emploi. Cela incite la personne à se mobiliser.
A votre avis, comment ce métier peut-il évoluer à nouveau dans les dix prochaines années ?
Cela dépend beaucoup de l'évolution politique. Je pense que c'est un des domaines le plus sensible à l'actualité. On peut très vite avoir, à la suite d'un fait divers, une loi restreignant les possibilités d'individualisation, d'aménagement de la peine, multipliant les obstacles. La récidive est un domaine éminemment sensible où la loi peut évoluer très vite dans un sens comme dans l'autre. Ceci dit, certains principes comme l'individualisation de la peine et l'intervention du juge de l'application des peines sont bien ancrés maintenant dans le paysage judiciaire. Je pense aussi que l'influence des règles européennes est clairement établie.
L'évolution dépendra aussi beaucoup de celle, importante en ce moment, de l'administration pénitentiaire. Aujourd'hui, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation interviennent beaucoup plus pour évaluer le risque de récidive et avec des méthodes de prise en charge qui intègrent une réflexion sur le passage à l'acte. Notre avenir dépendra beaucoup de la façon dont l'administration pénitentiaire arrivera à gérer cette évolution. Je regrette un peu que le JAP devienne de plus en plus le juge de l'incident. Il y a des condamnés que je ne vois jamais. Je leur accorde par exemple une libération sous contrainte mais je ne les vois pas car ils sont directement pris en charge par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Et je ne les vois finalement que s'il y a une violation des obligations, que s'il y a un incident. Alors même que beaucoup de pays reviennent sur cette question en se disant que l'intervention du juge est capitale à plusieurs moments de l'exécution de la peine. Elle recadre les choses, symboliquement.
Questionnaire de Désiré Dalloz
Quel est votre meilleur/pire souvenir d'étudiant ?
Mon pire souvenir d'étudiant : devoir réviser l'été le concours de l'ENM alors qu'il faisait beau dehors et que mes cousins partaient se baigner.... Mon meilleure souvenir : le travail d'équipe avec une amie en master 2 (anciennement DEA) - nous nous répartissions les lectures (et aussi l'assistance au cours parfois) et faisions des fiches.
Quel est votre héros de fiction préféré ?
Sherlok dans la série anglaise adaptée de Sherlok Holmes
Quel est votre droit de l'homme préféré ?
Nul ne peut être soumis à un traitement inhumain ou dégradant (Conv. EDH, art. 3).
Carte d'identité du service de l'application des peines
Le métier de JAP été créé en 1958 dans un souci d’individualisation de la peine. La profession de juge de l'application des peines a considérablement évolué au début des années 2000 en se judiciarisant avec des audiences non publiques au sein du Palais de justice ou de la prison et le développement d'une jurisprudence. Les JAP interviennent lorsqu'une condamnation a été prononcée et décident de la manière dont elle sera appliquée. Ils fixent les modalités d'exécution de la peine et en contrôlent le déroulement (V. C. pr. pén., art. 712-1 s.).
■ Les chiffres
En 2012 en France, un délit sur cinq est puni par de l'emprisonnement ferme.
Dans 80% des cas de récidive légale, la justice ordonne de la prison ferme.
Les deux-tiers des personnes condamnées étaient suivies en milieu ouvert et 250000 personnes prises en charge par l'administration pénitentiaire.
En 2014, les JAP ont décidé un certain nombre de mesures d'individualisation des peines : 48481 permissions de sortir (-12,3% par rapport à 2013), 2235 placements à l'extérieur (+2,7%), 4238 placements en semi-liberté (-8,9%), 7949 libérations conditionnelles (-0,6%) et 28524 placements sous surveillance électronique (-0,4%).
■ La formation et les conditions d'accès
Des études de droit sont évidemment nécessaires et celle-ci sont dans la majorité des cas suivies d'un cursus à l'ENM.
■ Les domaines d'intervention
Le contrôle ne se limite pas aux peines d'emprisonnement, il concerne le suivi socio-judiciaire, l'interdiction de séjour, le travail d'intérêt général, les mesures de sursis avec mise à l'épreuve notamment. Le JAP est également compétent pour octroyer, contrôler et sanctionner les mesures de placement sous surveillance électronique, de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de libération conditionnelle. Il peut accorder des réductions de peine, des autorisations de sortie sous escorte, des permissions de sortir. Il peut également renvoyer une affaire devant le tribunal de l'application des peines s'il l'estime nécessaire. La chambre de l'application des peines est le deuxième degré de juridiction.
■ Le salaire
Ils suivent les grilles des agents de la fonction publique, selon la hiérarchie et l'ancienneté.
■ Les qualités requises
Éthique, rigueur, probité, réactivité, écoute, impartialité, adaptabilité, sens des responsabilités, serviabilité, capacité d'analyse, sens critique, ouverture.
■ Les règles professionnelles
Le magistrat est en particulier tenu à l'indépendance, l'impartialité, l'intégrité, la légalité, l'attention à autrui, la discrétion et la réserve. Ils ne peuvent exercer la plupart des mandats politiques et ne peuvent critiquer la forme républicaine du Gouvernement ni ne disposent du droit de grève.
En 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un recueil des obligations déontologiques des magistrats à l'attention des citoyens, consultable sur son site Internet.
■ Les sites Internet
Conseil supérieur de la magistrature : http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/
Association nationale des juges de l'application des peines : http://www.anjap.org/
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